Nous avons infiltré le spectacle de Dieudonné près de Montpellier

Abonnez-vous à la newsletter

Interdit de représentation dans l’espace public, le sulfureux humoriste a donné rendez-vous à ses fans dans un terrain privé de Viols-le-Fort, près de Montpellier. Récit.

« D’habitude, on est accueilli par les gendarmes…” Il règne une ambiance bon enfant, celle des balades improvisées, dans la lumière finissante de ce samedi 7 octobre. Les personnes qui arpentent les chemins du petit village de Viols-le-Fort, à une trentaine de kilomètres au nord de Montpellier, ne sont pas des randonneurs nocturnes mais des spectateurs venus voir Dieudonné, l’humoriste condamné à de multiples reprises pour antisémitisme et incitation à la haine raciale.

Mais aussi, en 2021, à trois ans d’emprisonnement, dont deux ferme, pour avoir détourné un million d’euros de recettes de ses représentations. Une peine aménagée en détention à domicile avec un bracelet électronique, d’où le titre de son dernier spectacle, Sous bracelet, actuellement en tournée dans toute la France.

Avant de donner rendez-vous dans la garrigue héraultaise, Dieudonné M’Bala M’Bala a joué au chat et à la souris avec les autorités. À l’origine, son spectacle devait avoir lieu dans le “Dieudo bus », une scène ambulante qu’il projetait d’installer à la ZAC Garosud, à Montpellier.

Mais le maire, Michaël Delafosse, s’y est opposé par arrêté municipal, afin de « garantir le respect de l’ordre public » . Dieudonné a réagi et introduit un référé-liberté devant le tribunal administratif. Et a finalement eu gain de cause : vendredi 6 octobre, l’instance a ordonné que cet arrêté soit suspendu au motif que « le maire de Montpellier ne rapporte la preuve d’aucune attitude ni propos récent de la part du requérant qui aurait été de nature à porter un trouble à l’ordre public”. C’est finalement le préfet de l’Hérault qui a eu raison du comique en publiant un arrêté d’interdiction du spectacle le même jour.

Chaise de camping

La routine pour l’humoriste et son équipe, dont les tournées sont rythmées par ce genre de péripéties juridiques. Ils l’ont même intégrée à leur organisation, conférant aux spectacles de l’artiste maudit une aura de clandestinité qui caresse dans le sens du poil les penchants complotistes de son public. La marche à suivre pour assister à un spectacle de Dieudonné est relativement simple : on achète une place à 34,90 € sur le site dieudosphère.com. Puis on reçoit un SMS indiquant que “l’adresse exacte sera communiquée au plus tard quelques heures avant la représentation par e-mail et par SMS » . Avec une consigne originale : « Emmenez votre chaise.”

C’est ainsi qu’environ deux cents personnes se retrouvent un peu avant 20h à sillonner les ruelles de Viols-le-Fort, chaises pliantes sous le bras, suivant, comme dans un jeu de piste, les indications reçues quelques heures plus tôt par SMS : “Chemin des Roumets, 34380 Viols-le-Fort. Garez-vous en ville, finissez à pied, ce sera tout au bout du chemin du Patus.« 

Le point de rendez-vous se situe après un petit lotissement, à l’endroit où la rue se transforme en sentier et où l’éclairage public disparaît. Un membre de l’équipe vérifie les billets en scannant les QR codes tandis que deux comparses boivent des bières sur le côté. Le service d’ordre, sans doute. Une fois le point de contrôle franchi, le parcours se poursuit dans l’obscurité d’un chemin de terre bordé de deux murets de pierre pour déboucher dans un champ mis gracieusement à disposition par un membre « de la tribu”, comme Dieudonné surnomme sa communauté.

Cet accueil au débotté est bien rodé : sur son site, un onglet “Accueillez Dieudonné sur votre propriété, proposez votre lieu” en appelle à la générosité de ses fans pour organiser les spectacles quand ils ne peuvent pas se dérouler dans son bus ou dans une salle.

Des plans B indispensables pour l’humoriste dont les spectacles sont désormais systématiquement interdits dans les lieux publics. Ce soir-là, la scène a été improvisée dans un pré irrégulier serti de ronces : une petite estrade avec un pupitre, deux micros et quatre projecteurs pour éclairer le tout.

Public populaire

Une buvette, posée sur deux tréteaux, propose à la vente bières (3 €) et sodas sortis d’une glacière à côté d’un stand où s’amoncellent tee-shirts, DVD, livres, peluches et autres produits dérivés à la gloire de l’artiste, devenu gérant d’une petite entreprise bien organisée.

Les premiers spectateurs sont déjà installés devant la scène, tandis que les autres cherchent un endroit stable pour poser leurs chaises de camping en balayant le sol avec la lumière de leurs portables. Un public populaire et bigarré – des jeunes, des vieux, des familles, des bandes de potes, des couples – qui n’est pas sans rappeler celui qui occupait les ronds-points durant la crise des Gilets jaunes. Dieudonné a d’ailleurs fait de cet événement le thème de l’un de ses spectacles en 2019 et édité en série des gilets jaunes floqués d’une croix christique et d’un ananas (5 €), en référence à sa chanson polémique  » Shoananas  » *.

Certains mangent un morceau, fument une cigarette ou roulent un joint tandis que la star de la soirée se fait attendre, retenue par les gendarmes venus lui notifier l’interdiction préfectorale.

Le voilà enfin qui arrive avec une heure de retard sous les acclamations du public, ironisant sur le fait qu’il ne pourra pas jouer son spectacle Sous bracelet. Il fera donc autre chose. De fait, si l’arrêté stipule bien l’interdiction de ce spectacle précis, “rien ne l’empêche de jouer autre chose devant un public sur un terrain privé » , reconnaît un gendarme anonyme. « J’ai bien envie d’aller lui dire des choses, au préfet, par exemple d’aller se faire… » , lance l’humoriste, rappelant que le maire de Montpellier « l’a eu dans le cul” puisque son arrêté a été retoqué par le tribunal administratif.

Dieudonné démarre le show. Sur la forme, il n’a rien perdu de son talent pour incarner des personnages, imiter les accents et trouver le juste tempo pour faire rire. Sur le fond, il se sert de la scène comme exutoire à ses propres déboires, laissant allègrement glisser son texte vers la vulgarité crasse, loin de la finesse de ses débuts.

L’État en prend pour son grade. “On lui confie l’éducation de nos gosses alors que la moitié » des profs « sont des francs-maçons pédophiles. Autant leur apprendre à se faire enculer » , lance-t-il depuis son pupitre. Les vannes s’enchaînent devant un public hilare : vaccin qui tue ( « Du poison dans le sang. » ), État « qui nous accule » , transgenre « hystérique » , couple d’homos qui « achète son enfant sur Internet”

Mauvais goût, transphobie, complotisme… Sous couvert de ses personnages, Dieudonné insulte aussi copieusement la police dans un sketch sur l’affaire Nahel et un agent du fisc dans un autre. Pas un mot sur l’attaque du Hamas en Israël, en revanche.

Quenelle

Avant de quitter son estrade de fortune, Dieudonné annonce deux nouvelles dates à Montpellier en janvier et mars 2024. Il en profite également pour faire la promo de son dernier livre intitulé Bigard-Dieudo, qui raconte sa tentative de monter un spectacle avec Jean-Marie Bigard (15,99 € sur sa boutique en ligne), et de la peluche musicale «  Petit poney” (34,99 €), du nom de l’une de ses chansons ayant cartonné sur le Net. « J’en ai commandé 300, elles sont parties comme des petits pains, dépêchez-vous si vous en voulez”, incite-t-il.

Quittant la scène sous les applaudissements, “Dieudo » part se « réchauffer et passer un truc contre les moustiques » avant de revenir pour une séance de dédicaces et de photos. « Dieudo, c’est le meilleur, il y va fort », dit l’un d’entre eux. « C’est comme un médicament, il est trop drôle » , explique un autre qui attend pour se faire photographier avec son idole.

La plupart posent avec lui en mimant une « quenelle”signe de ralliement antisystème et antisémite devenu la marque de fabrique de l’humoriste. Non loin, d’autres fans achètent tee-shirts (20 €), mugs (5 €), livres, DVD et autres produits dérivés à l’effigie de leur héros qui fustige la bienpensance. De quoi renflouer les caisses pour payer ses frais de justice.

* Dieudonné a été condamné en appel à 28 000 € d’amende pour diffamation, injure et provocation à la haine et à la discrimination raciale pour cette chanson polémique.

Par Cyril Durand