La chanteuse, qualifiée pour la finale du concours de chant ce samedi soir, affronte depuis plusieurs mois les polémiques autour de sa participation. Par Danièle Kriegel.
En Israël, le JT du vendredi, quelle que soit la chaîne, est un rendez-vous incontournable pour beaucoup d’Israéliens non pratiquants. Des journaux télévisés, qui, depuis le 7 octobre 2023, n’ont rien qui puisse remonter le moral de ceux qui les regardent. Ce vendredi 10 mai au soir, les sujets d’actualité surfaient entre la guerre à Gaza avec la mort de quatre soldats tués, le matin, dans le nord de l’enclave, les échanges de tirs avec le Hezbollah, à la frontière nord, la crise avec les États-Unis, les querelles intestines ou les nouvelles augmentations des prix.
Seule lumière au bout du tunnel : la qualification en finale du concours de l’Eurovision d’Eden Golan, la représentante israélienne, et sa remontée spectaculaire sur la liste des favoris. De la huitième place à la seconde, juste après celui qui reste le n° 1 des bookmakers, le candidat croate. Une nouvelle incroyable pour les Israéliens qui suivent depuis des semaines la litanie d’obstacles et de difficultés rencontrées par la jeune chanteuse de 20 ans, depuis l’annonce de sa candidature.
Un texte remanié
Dès décembre dernier, l’association islandaise des compositeurs et paroliers demande à ses membres de ne pas participer à l’Eurovision si Israël n’est pas exclu du concours. Un mois plus tard, les artistes islandais sont rejoints par 1 400 confrères finlandais qui publient ce communiqué : « Il n’est pas conforme à nos valeurs qu’un pays, commettant des crimes de guerre et poursuivant une occupation militaire, dispose ainsi d’une tribune publique pour enjoliver son image au nom de la musique. »
Ce sera finalement l’UER, l’organisateur du concours, qui mettra fin à la polémique en concluant sur ses mots : « Le concours Eurovision de la chanson reste un événement apolitique qui unit les publics du monde entier par la musique. » Mais en parallèle, l’UER retoque la chanson interprétée par la jeune Eden Golan. Intitulée, au départ, « Pluie d’octobre », elle est jugée par les organisateurs trop politique, dans la mesure où elle fait clairement allusion au massacre du 7 octobre commis par le Hamas. Scandale en Israël ! Mais finalement, à la troisième version et avec un nouveau titre, « Hurricane » (ouragan), la chanson est acceptée.
12 000 manifestants contre la présence d’Israël
Toutefois pour Eden Golan, ce n’est qu’un avant-goût de ce qui l’attend à Malmö, la ville suédoise où va se dérouler le « télécrochet » le plus célèbre du monde. Venus en repérage, des journalistes israéliens se font cracher dessus, injurier par des habitants parlant arabe. Depuis des mois, les militants propalestiniens défilent dans les rues pour réclamer l’exclusion d’Israël du concours. Des rassemblements qui grossissent de semaine en semaine et ont atteint un point culminant ces derniers jours : 12 000 manifestants jeudi après-midi, non loin de la salle où dans quelques heures se tiendra la demi-finale à laquelle participe Eden.
« Libérez la Palestine », « L’UER légitimise le génocide », « On ne peut blanchir le colonialisme » sont quelques-unes des pancartes brandies par les protestataires. Interviewés, des participants au défilé, des fans de l’Eurovision déclarent qu’à leurs grands regrets, ils n’ont pas le choix : cette fois, ils boycotteront. D’autres affirment qu’ils ne peuvent pas s’amuser « en sachant qu’Israël participe, alors que tous ces enfants meurent à Gaza ». Enfin, il y a ceux qui estiment que si en 2022, la Russie a été écartée pour cause d’invasion de l’Ukraine, c’est possible de le faire pour Israël.
Du côté de la délégation israélienne, chaque jour apporte son lot de difficultés. Le plus souvent confinées dans leur hôtel, la chanteuse et son équipe doivent aussi faire face à des mesures de sécurité draconiennes. Pour Eden, ce sont des mesures dignes d’un chef d’État, affirment les médias israéliens, qui évoquent le voyage éclair à Malmö du chef du Shin Beth, le service de renseignement intérieur israélien. S’agissait-il de vérifier la protection accordée à la jeune femme ou de mesurer l’ampleur de la menace ? On ne le sait pas.
Une prestation toute en énergie et en sensibilité
Avant-hier, jeudi 9 mai, la tension était à son comble au sein de la représentation israélienne à Malmö. Une guerre des nerfs dominée par une double interrogation : ce qui s’est passé dans la salle, lors de la répétition générale, avec les huées lors du passage d’Eden va-t-il se reproduire ? Quel peut-être l’impact sur la jeune chanteuse ? Deux questions auxquelles et la salle et la candidate israélienne ont répondu. Huées et applaudissements ont bien accueilli l’arrivée en scène d’Eden. Mais celle-ci n’a pas tremblé. Elle a offert une performance toute en énergie et en sensibilité. « Je ne m’y attendais pas. Mais elle m’a bluffé. Surtout sa musicalité et sa puissance vocale. Rien ne l’a déstabilisée », m’a confié, Tal, un jeune musicien, pas forcément fan du concours.
En attendant, les attaques à l’encontre de la chanteuse israélienne se poursuivent. En Espagne, le parti d’extrême gauche Sumar, qui fait partie du gouvernement de Madrid, réclame l’exclusion d’Israël de la finale. En quelques heures, le texte a recueilli plus de 7 000 signatures.
Après sa qualification et lors d’une conférence de presse, nouvelles avanies pour la chanteuse. Chaque fois qu’elle prend la parole, le concurrent des Pays-Bas (disqualifié depuis) se couvre la tête du drapeau national pour ne pas l’entendre. Ou bien il y a ce journaliste polonais qui la prend à partie : « N’avez-vous pas compris qu’en venant ici, vous faites courir des risques aux autres participants et même au public ? » Armée d’un joli sourire, elle a répondu sans ciller : « L’UER prend toutes les précautions. Donc, je pense que tout le monde est en sécurité. Sans cela, nous ne serions pas ici. » Fin de la séquence. Visiblement, ni les humiliations ni les attaques ne la feront renoncer. N’avait-elle pas répondu à une journaliste scandinave qui l’interrogeait sur la pertinence de sa place à Malmö : « Je représente mon pays. Ma mission est de le faire au mieux. Je suis là pour la musique. J’irai jusqu’au bout. »
Dans tous les cas, depuis vendredi, Israël se prend à rêver. Et si Eden Golan allait faire mentir les pronostics, renverser la table et remporter la compétition. Un espoir fou que Yoav Tsafir, le metteur en scène du show israélien, vient tempérer : « Je ne m’attends pas à ce que nous recevions beaucoup de points des différents jurys. En revanche, tout peut se jouer avec le jury populaire. » Qu’elle gagne ou pas, Eden a conquis une place particulière dans le cœur de beaucoup d’Israéliens : celle du courage et de la persévérance. Concluant son reportage, un journaliste de la chaîne 12 a évoqué son comportement exemplaire dans l’adversité. Et s’est pris lui aussi à rêver : « Si elle devait gagner l’Eurovision de la chanson, elle accomplirait ce qui, hier encore, semblait impossible à réaliser.
Danièle Kriegel