Ce lundi 6 mai 2024 s’est tenu à Créteil le procès d’un chauffeur de taxi, jugé pour menaces de mort antisémites commises à Orly. Il a été condamné à huit mois de prison.
« Sale chômeur », ou « sale juif ? ». Ce lundi 6 mai 2024 s’est tenu au tribunal correctionnel de Créteil le procès d’un chauffeur de 55 ans, jugé pour avoir menacé et refusé dans son taxi une famille de confession juive à Orly (Val-de-Marne). Une audience peu commune où la victime était absente et non représentée, et quatre associations présentes sur les bancs des parties civiles.
Bien que le prévenu ait livré une version aux antipodes de celles de la victime, le tribunal l’a condamné à une peine de huit mois de prison avec sursis.
« Je ne te prends pas sale juif »
Tout commence à l’aéroport le 11 octobre 2023. Quatre jours après les massacres du Hamas en Israël, une famille arrivant de Tel Aviv atterrit à Orly après une escale au Maroc. Il est 14 heures lorsqu’ils se rendent à la zone des taxis. Alors qu’ils comptent monter dans un van, le prévenu, conducteur du véhicule, aurait refusé de les laisser entrer. « Je ne te prends pas sale juif », aurait-il dit au père de famille.
Il aurait ensuite proféré à plusieurs reprises des menaces d’égorgement à l’encontre des victimes. Après ces faits, le père de famille a dénoncé le chauffeur aux services de la préfecture, mais a refusé toute poursuite, par peur des représailles.
La version du prévenu
Costume cintré et chemise immaculée, le prévenu est venu ce lundi à la barre s’expliquer sur ces accusations graves, dans un contexte où les violences antisémites ont bondi en France après le 7 octobre. Comme lors de ses précédentes auditions, le chauffeur a réitéré avec émotion la même version : c’est la victime qui l’a insulté. Lui n’a proféré aucune parole antisémite.
Dans le récit du prévenu, qui s’estime « insulté » par ces accusations, la victime est venue fumer une cigarette à ses côtés dans la file des taxis, souhaitant ensuite monter dans son véhicule avant de se rétracter. « Il m’a dit à l’oreille que si je n’étais pas pressé, il prendrait un autre taxi », détaille le conducteur.
Après ces échanges, la version du prévenu bascule dans la violence verbale. La victime aurait commencé à l’insulter de « sale chômeur » en lui faisant des doigts d’honneur, et sa femme aurait sorti son téléphone pour filmer le chauffeur de taxi. « On ne comprend pas trop. Tout va bien, et d’un coup, on part dans la violence », s’étonne la présidente du tribunal.
Le conducteur serait ensuite parti à bord de son véhicule et, recroisant la famille dans un autre taxi, aurait subi d’autres invectives en arabe, avant de rétorquer. « Il a insulté ma sœur et je lui ai répondu, mais je ne lui ai pas dit un dixième de ce qu’il m’a dit », précise l’interrogé.
Vidéosurveillance et témoignages
Deux récits très divergents donc, mais des éléments d’enquête qui mettent à mal celui du prévenu. D’une part, la vidéosurveillance. Les images montrent un échange verbal entre les deux parties et le père de famille prenant une photo de la plaque d’immatriculation du taxi. En revanche, pas de doigts d’honneur. « Je suis sûr qu’il y a les vidéos. Il y a des caméras partout », justifie le chauffeur, qui ne peut expliquer pourquoi l’ensemble des images n’a pas été exploité.
D’autre part, les témoignages. Le chargé de régulation de la file des taxis, présent lors des faits, a été interrogé lors de l’enquête. Selon lui, le prévenu aurait bien proféré des insultes à caractère antisémite à l’encontre de la victime. Le deuxième témoin, chauffeur ayant finalement pris en charge les victimes, aurait entendu le prévenu lancer un « sale juif » au père de famille. Là aussi, le conducteur ne peut expliquer ces dépositions.
« Pensez-vous à un complot ? »
Face à cet embrouillamini, les avocats des quatre associations parties civiles ont assailli le prévenu de questions. « Est-ce que la victime avait une attitude anormale ? », demande l’un. « Étiez-vous ennemi du témoin chargé de régulation ? », demande l’autre. « Pensez-vous qu’il y a un complot de la part de la famille ? », ira jusqu’à demander l’un des conseils. « Ce n’est pas à moi de juger », répond l’intéressé.
Du côté des parties civiles, aucun doute possible, le prévenu ment. « Dans cette affaire, on a deux hypothèses. Soit, on a complot où se mêlent les victimes, les témoins et la police. Soit, on a les infractions commises réellement par le chauffeur de taxi », s’est indigné l’un des avocats. Dans toutes les plaidoiries, on a rappelé l’explosion des actes de haine à l’égard de la communauté juive depuis le 7 octobre.
Neuf mois avec sursis requis
Le ministère public a également penché vers la culpabilité du prévenu, en sursis pour des faits de violences conjugales. « Je ne comprends pas trop ce qui explique l’explosion de violence de la victime dans la version de monsieur. Quel intérêt d’aller dénoncer les faits à la préfecture et se rétracter après », déclare la procureure. La magistrate a aussi tenté dans son réquisitoire de répondre à cette question qui ressort dans le dossier : comment le chauffeur de taxi a-t-il pu savoir que la victime était juive ? « Il n’y avait pas de signes distinctifs. On peut supposer que le prévenu l’a su au moment où il discute avec le père de famille sur la vidéosurveillance », suggère la procureure.
Le parquet a finalement requis neuf mois de prison avec sursis, ainsi que trois ans d’inéligibilité et l’obligation de suivre un stage de citoyenneté.
« Il n’y a que des on dit dans cette affaire ! »
À la défense, on a dénoncé une procédure bien légère pour condamner le prévenu : « On ne voit rien sur la vidéosurveillance et la déclaration de la victime tient sur cinq lignes ! Après ça, elle n’est plus entendue. Même chose pour sa femme qui a filmé ! Il n’y a que des « on dit » dans cette affaire ! On veut faire de mon client le symbole de l’horreur du 7 octobre ! », a plaidé Me Boris Rosenthal.
Ce dernier a aussi rappelé les difficultés du conducteur de taxi à retrouver du travail, sa carte professionnelle lui ayant été retirée. « On vous dit : la communauté juive a peur, il faut condamner. Je vous dit, au vu des éléments du dossier, il faut relaxer ». Le tribunal a finalement suivi les réquisitions à un mois près. Le chauffeur de taxi pourra continuer en revanche à exercer.
Par Antoine Blanchet