Alors que les allers et retours diplomatiques se prolongent pour arriver à une trêve dans la bande de Gaza, fatigue, peur et colère règnent des deux côtés de la frontière.
En Israël, la colère des familles d’otages envers le gouvernement
Roni Miran a presque 3 ans. La dernière fois qu’elle a vu son père Omri, il était menotté, enlevé de leur maison du kibboutz de Nachal Oz, le 7 octobre, par des hommes du Hamas. La petite fille a tenté de courir vers lui, c’est sa mère Lishay qui l’a retenue au dernier moment. «Elle sait que son père est à Gaza. Elle en parle souvent, explique son oncle, Moshe Lavi. Mais la semaine dernière, elle a demandé à ma sœur : “Est-ce qu’Omri est toujours mon papa ?”» Ses yeux se voilent. Pour la famille Lavi-Miran, comme au moins 132 autres familles d’Israéliens encore retenues dans Gaza, la vie s’est arrêtée le 7 octobre. «Nous sommes épuisés», dit le trentenaire, alternant entre bonhomie printanière et dépression orageuse.
Depuis dix jours, il est, comme tout le pays, accroché aux informations, attendant cette annonce de libération qui ne vient pas. Les rues de Tel-Aviv portent les stigmates de la colère. Graffitis sur les murs du QG du Likoud, restes de pneus brûlés dans les rues : les manifestations sont devenues quotidiennes et laissent de plus en plus place à la colère. Cela fait dix jours que le Forum qui représente la plupart des familles d’otages demande à rencontrer le cabinet de guerre pour savoir où vont ces négociations. Benyamin Nétanyahou refuse pour ménager ses alliés d’extrême droite, qui demande une guerre totale à Gaza. Cela tient presque de l’insulte.
Mais Moshe, impliqué à fond dans les efforts des familles d’otages auprès de la communauté internationale, veut relativiser. «Nétanyahou est d’abord un politicien avant d’être un homme d’Etat. Ce n’est pas surprenant qu’il ménage sa base. Les déclarations politiques ne devraient pas nous distraire de ce qui se passe à huis clos», se rassure le jeune homme. Il pense que les manifestations contre le gouvernement sont le fait d’une minorité de familles, dont il partage la frustration, mais pas l’analyse. «La majorité d’entre nous comprend qu’il y a ce que nous voulons en tant que familles, et ce qu’Israël peut se permettre en tant qu’Etat», souligne-t-il.
«Construire une paix durable»
La famille Lavi-Miran a pu revoir Omri dans une vidéo publiée par le mouvement islamiste le 27 avril. Une preuve de vie récente, rare pour les familles d’otages. Omri est émacié, la barbe fournie, «vidé de sa joie coutumière, ce qui me fait une peine extraordinaire», confiait Lishay dans des propos diffusés après la publication de la vidéo. «Nous sommes fatigués de marquer des anniversaires avec des posters et des pleurs.» Pendant ce temps, «nous continuons à vivre dans l’horreur», dit Moshe, «ma sœur et mes parents ne sont toujours pas rentrés chez eux, mon père a désormais des problèmes cardiaques. Et puis il y a la culpabilité, celle de simplement boire un café ou un verre de vin».
En tant qu’homme de moins de 50 ans, en bonne santé, Omri ne fera pas partie des 33 premiers otages qui devraient être libérés si l’accord tient. Mais sa famille veut espérer que cela ne sera qu’une première étape. «Il ne faut pas s’arrêter là, soutient Moshe. Il faut que nous fassions preuve de vision, pour construire une paix durable. C’est une conversation très dure à avoir en tant que société, et nous n’avons pas forcément les leaders pour.»
Une vie sans blocus
Alaa al-Harazin ne se rappelle plus d’une vie sans blocus, sans guerre, même avant le 7 octobre. «Mais celle-ci n’a rien à voir avec les autres, dit le jeune infirmier, joint par téléphone dans l’appartement qu’il loue avec le reste de sa famille dans la ville de Rafah, à la frontière avec l’Egypte. C’est l’enfer avec de nouvelles armes et une destruction inimaginable.»
Ils sont 1,3 million de Palestiniens à se serrer dans cette ville conçue pour 300 000 habitants, alors que l’été promet d’être caniculaire et que la trêve entre Israël et le Hamas se fait toujours désirer. «Dans la rue, tout le monde vit dans l’attente. Je consulte les sites d’informations jusqu’à la nausée pour voir ce qu’il va se passer. Les gens sont exténués, coincés entre espoir et désespoir. Une minute, on se dit qu’on va pouvoir rentrer chez nous. L’autre, on craint une offensive imminente. Où irons-nous ? Nous craignons qu’ils nous poussent vers l’Egypte. C’est ce qu’il y aurait de pire. Nous préférons mourir que d’y aller.»
Infirmier, Alaa travaillait à l’hôpital Al-Shifa, le plus grand du territoire, ciblé à deux reprises par des opérations d’envergure de l’armée israélienne, qui soutient que le Hamas y avait un quartier général. «Je travaillais en chirurgie surtout, mais avec la guerre on est tous passé aux urgences. Le manque de moyens et le nombre de cas critiques rendaient la situation impossible. Tu t’effondres, tu sens ton impuissance, et puis tu te relèves et tu continues parce que c’est ton devoir», exprime-t-il. Au 45e jour, l’hôpital est encerclé par Tsahal, Alaa et les siens fuient «à pied, puis en charrette». Ils paient 700 euros pour se serrer à 35 dans un petit appartement, «plus du double du loyer normal». «Nous avons fait des séparations avec des draps, pour avoir un peu de vie privée», dit-il, presque soulagé de ne pas se retrouver à la rue avec «l’été qui vient», loin «des insectes et les serpents».
Une trêve qui ne vient pas
Une déflagration retentit, Alaa se tait. En arrière-plan, des conversations chuchotées, nerveuses, trahissent l’angoisse. Il envoie une vidéo – de la fumée noire s’élève dans le crépuscule, à une centaine de mètres. A Rafah, frappes et rumeurs de frappes se sont intensifiées, comme c’est souvent le cas avant un cessez-le-feu. Pourtant, la trêve ne vient pas, et la guerre continue, tuant chaque jour des dizaines de Gazaouis, «et tellement d’enfants», s’étrangle le jeune homme.
«Quand une bombe tombe, j’essaie d’aider. J’identifie les blessés pour qui on peut encore faire quelque chose pour qu’ils puissent être évacués en premier», explique-t-il. La vie quotidienne est difficile, la nourriture est chère, et les médicaments difficiles à trouver. «Le matin, on se divise les tâches, et après chacun part en mission pour trouver ce dont nous avons besoin. J’ai généralement fini vers 13 heures. Après, on attend.» Dans la rue, les critiques envers le Hamas montent, mais Alaa pense que le mouvement islamique serait prêt à accepter d’échanger les otages contre la fin de la guerre s’il le pouvait. «C’est Israël qui ne veut pas arrêter. Et la communauté internationale ne veut pas, ou ne peut pas, les y forcer, ou offrir les garanties nécessaires à la fin des combats.» Les Gazaouis observent, via les réseaux sociaux, les manifestations sur les campus américains et européens : «Peut-être que cela peut faire une différence», espère Alaa.
Lundi, Alaa a publié sur Instagram la photo d’un balcon repeint en jaune au milieu d’un bâtiment calciné. Beaucoup l’ont relayé. «Pour moi, cela montre que malgré les circonstances, les Palestiniens ne partiront pas de leurs terres. Nous nous battrons, et nous reconstruirons Gaza.»
par Nicolas Rouger, correspondant à Tel-Aviv