Le rapport annuel d’Amnesty International sur les droits humains, à charge contre Israël, est aussi d’une mansuétude béate au sujet de Gaza et du Hamas.
La promesse du propos liminaire a fait sourire ceux qui observent depuis plusieurs années la lente dérive d’Amnesty International. Dès la première page de son rapport annuel sur les droits humains dans le monde, publié le 24 avril, le mouvement assure être « impartial » et ne pas prendre position « sur les questions de souveraineté et les conflits territoriaux ».
C’était compter sans les chapitres intitulés « Israël et territoires palestiniens occupés » et « État de Palestine », respectivement cinq et quatre pages (toutes rédigées en écriture inclusive). Oubliée, l’impartialité. Noëlle Lenoir, avocate, membre honoraire du Conseil constitutionnel et ancienne ministre des Affaires européennes, n’est pas surprise. « Amnesty soutient les mouvements palestiniens depuis des années », amorce-t-elle.
Sur les massacres du Hamas dans le sud d’Israël, on trouve quelques lignes à peine : « À la suite d’une attaque lancée par le Hamas le 7 octobre, au cours de laquelle au moins 1 000 personnes ont été tuées, dont 36 enfants, et quelque 245 personnes ont été prises en otage ou faites prisonnières, Israël a répliqué par d’intenses opérations militaires qui ont fait 21 600 morts parmi la population palestinienne de Gaza, dont un tiers d’enfants, et détruit 60 % des habitations de ce territoire ». Si tout est matière à analyse dans cette phrase, il convient, avant de la disséquer, de mentionner celle qui précède et ouvre le chapitre : « En mai, Israël a mené une offensive de cinq jours dans la bande de Gaza, territoire occupé et sous blocus, tuant 11 civil·e·s palestiniens ».
Un langage subliminal « très choquant » selon Noëlle Lenoir. La juriste explique qu’à travers ce choix de mots, Amnesty inverse l’ordre des responsabilités dans ce qui a conduit au 7 octobre. « Ici, ce n’est pas le Hamas qui a déclenché les hostilités, mais Israël qui a lancé des offensives », décrypte Noëlle Lenoir, rappelant que Gaza n’est plus occupé par Israël depuis 2005. Concernant le 7 octobre, Amnesty, qui refuse de qualifier le Hamas de groupe terroriste, parle « d’attaque », un vocable largement en deçà de la réalité de ces massacres au cours desquels, selon les derniers décomptes, 1 139 personnes ont été tuées dans des conditions barbares, parfois brûlées vives, torturées, mutilées. (Les viols subis par des femmes israéliennes le 7 octobre ne sont d’ailleurs mentionnés à aucun moment dans le rapport.)
Des valeurs « foulées aux pieds »
Pourquoi minimiser le nombre de morts côté israélien ? « Nous sommes en train de documenter ce qu’il s’est passé le 7 octobre, les travaux de recherches sont en cours mais n’ont pas totalement abouti. Notre enquête n’a pas été suffisamment étayée pour obtenir l’ensemble des informations sur Israël », répond Jean-Claude Samouiller, président de la section française d’Amnesty depuis 2022.
Une précaution qui n’est pas de rigueur en ce qui concerne le Hamas, décrit sous son nom officiel de Mouvement de la Résistance islamique. Les chiffres du « ministère de la Santé de Gaza » – il n’est nulle part précisé que ce dernier est contrôlé par le Hamas –, sont repris tels quels, purgé d’une douzaine de milliers de morts pour une raison inexpliquée. Mercredi 24 avril, le Hamas chiffrait le nombre de morts à Gaza à plus de 34 000.
D’où vient ce chiffre de 21 600 Palestiniens tués avancé par l’ONG ? « N’ayant pas pu faire le décompte nous-mêmes, étant interdits de territoire à Gaza depuis seize ans, nous nous basons sur le ministère de la Santé de Gaza », développe Jean-Claude Samouiller. Dans ce cas, pourquoi ne pas aller au bout de la démarche et donner le chiffre avancé par le Hamas ? Peut-être a-t-il été pris en compte cet aveu du groupe terroriste, qui, le 6 avril, a déclaré en toute discrétion qu’il disposait de « données incomplètes » pour 11 371 Palestiniens dont le décès a été annoncé. Le président de la branche France d’Amnesty indique ne pas pouvoir apporter plus de précisions sur ce point.
« Si l’on n’est pas en mesure d’étayer les accusations qu’on porte, alors on ne fait pas de rapport sur un sujet aussi complexe, qui nécessite de la précision et de la nuance tant il fait l’objet d’instrumentalisations multiples dans un contexte déjà hautement inflammable », regrette David Khalfa, codirecteur de l’Observatoire de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient de la Fondation Jean-Jaurès. D’un point de vue général, ce dernier s’interroge sur le caractère biaisé du rapport. « Les valeurs cardinales d’Amnesty que sont l’impartialité, l’indépendance et la solidarité sont foulées aux pieds », estime David Khalfa. Il déplore aussi une vision « manichéenne » du conflit, qui jette le discrédit sur l’ensemble du travail de l’ONG.
Apartheid, génocide, blocus…
« Le narratif du rapport fait écho à celui des nationalistes palestiniens », juge David Khalfa, qui regrette l’emploi des termes « personnes faites prisonnières », au sujet des otages, dont 129 sont encore retenus dans la bande de Gaza, ou encore de celui « d’apartheid » pour qualifier l’État d’Israël, issu de la réalité sud-africaine d’avant 1994. Le rapport affirme qu’après le 7 octobre, les autorités israéliennes ont « renforcé le système d’apartheid qui opprimait les Palestinien·ne·s en Israël et dans les territoires palestiniens occupés, en appliquant des lois et des politiques de ségrégation, de privation et de déplacement forcé ».
Le statut de la Cour pénale internationale, rédigé en 1998, décrit « l’apartheid », comme un ensemble « d’actes inhumains », visant à perpétuer un « régime institutionnalisé d’oppression systématique et de domination », d’un groupe racial sur un autre. Le traitement des Palestiniens par Israël est-il identique ou comparable à la manière avilissante dont la minorité blanche sud-africaine opprimait les Noirs ? « Oui », répond Jean-Claude Samouiller. Le président d’Amnesty France renvoie à un rapport publié en 2022, qui documente selon lui un « système de domination d’un groupe sur un autre ». « Il y a bien une volonté de faire souffrir la population pour qu’elle n’ait pas accès à des ressources primaires », argue-t-il.
« Amnesty se cache derrière l’absence de consensus international s’agissant de la définition du terrorisme pour ne pas avoir à qualifier comme il se doit le plus grand massacre de Juifs commis depuis la Shoah alors qu’elle n’hésite pas à employer, dans le même temps, un vocabulaire hyperbolique et peu précautionneux s’agissant d’Israël, accusé de commettre les pires crimes. C’est une vision à géométrie variable », soutient David Khalfa.
Sur la question du droit international, Amnesty fait mention à plusieurs reprises du risque de génocide encouru à Gaza : « Le 29 décembre, l’Afrique du Sud a saisi la CIJ pour demander qu’une procédure soit engagée à l’encontre d’Israël concernant les violations de la Convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide commises à Gaza. » Pourquoi employer ce terme ? Selon Jean-Claude Samouiller, il est légitime dans la mesure où une plainte pour génocide a été déposée par l’Afrique du Sud contre Israël, quand bien même cette dernière n’a pas été déclarée recevable et l’État hébreu n’a pas été condamné.
« Gaza a été restitué il y a presque 20 ans »
Concernant la notion de « blocus », Noëlle Lenoir rappelle que des camions humanitaires pénètrent tous les jours dans l’enclave palestinienne. « Tsahal empêcherait les camions transportant de l’aide humanitaire de franchir la frontière ? Mais ce sont des militants du Hamas qui s’emparent des chargements des camions entrant dans Gaza », pointe l’ancienne ministre. L’avocate entend restituer la notion même « d’aide humanitaire », car elle illustre le fait que Gaza est toujours peuplé de réfugiés depuis 1948, date à laquelle le territoire était sous domination de l’Égypte : « Zone tampon occupée par Israël après la guerre des Six Jours, Gaza a été restitué il y a presque vingt ans aux Palestiniens, qui se sont empressés d’élire le Hamas, groupe qui n’a jamais voulu créer une entité où les gens auraient été capables d’être autonomes, les laissant vivre de la mendicité internationale, qui verse des centaines de millions par an. »
Le rapport revient aussi sur le prétendu sort de l’hôpital Al-Amal de Khan Younès, géré selon Amnesty par le Croissant-Rouge. Il est notamment écrit qu’il a été « pris pour cible par un drone le 24 décembre ». David Khalfa rappelle que les miliciens du Hamas ont opéré à l’intérieur même d’hôpitaux de Gaza, où ils cachaient des armes et préparaient de nouvelles attaques. « Sans parler des barrages de roquettes tirées à proximité de ces mêmes bâtiments hospitaliers, information avérée et connue de tous. C’est d’autant plus surprenant que l’ONG avait dénoncé dans un rapport controversé les tactiques de combat de l’armée ukrainienne qui opéraient près des zones d’habitations civiles alors que Kiev subissait les assauts de l’agresseur russe. »
Ce rapport est d’une « partialité flagrante », résume-t-il. Selon lui, le 7 octobre y est présenté comme un énième soubresaut d’un conflit débuté en 1948 par une injustice systémique qui reposerait sur l’expulsion des Palestiniens, une thèse « simpliste » qu’embrasse volontiers Amnesty International. Face à l’absence de contextualisation et cette manière aveugle de reprendre le narratif palestinien, très fragile sur le plan historique, David Khalfa juge qu’Amnesty « dessert la cause de la paix » et contribue à « effacer le 7 octobre ».