Tags, menaces, réunions pro-Palestine : des militants d’extrême-gauche y font régner un climat toujours plus hostile.
«Israël tue», «Israël, état criminel», «Mort à Israël, mort aux juifs». Depuis le 7 octobre, Max baisse la tête quand il passe devant ces tags qui ont fleuri un peu partout sur son campus universitaire de Nanterre (Hauts-de-Seine). «C’est assez simple, le matin lorsque j’arrive devant les bâtiments, je vois des inscriptions antisémites. Lorsque je m’assois en amphi, je vois des croix gammées gravées sur les tables. Lorsque je veux écouter mon cours, je dois assister à des interventions d’étudiants pro-Palestine qui viennent nous expliquer que le Hamas a raison», souffle l’étudiant de 21 ans, de confession juive. Depuis les massacres opérés par le Hamas en Israël, la multiplication des interventions hostiles à sa religion a rendu son quotidien «pesant». «Je me faisais déjà discret en tant que juif mais désormais je rase les murs. Je fais en sorte de ne jamais être seul sur le campus parce que je trouve cela trop dangereux», note le jeune homme.
Max est loin d’être le seul étudiant de confession juive à avoir le sentiment d’évoluer dans un climat hostile. «Les juifs se cachent. Nous sommes fatigués d’être en hypervigilance. Même s’il n’y a eu aucun passage à l’acte, nous craignons que cela arrive un jour», déplore Annaëlle, présidente de l’Union des étudiants juifs de France (UEJF) Nanterre. Avant d’ajouter : «Pour la première fois, une étudiante m’a raconté qu’elle avait menti sur sa religion pour ne pas être embêtée. J’ai recommandé à une autre de cacher un pendentif sur lequel son prénom était écrit en hébreu. On est fier d’être juifs, mais on ne fait pas les fiers à Nanterre.» Une crainte partagée par les enseignants. «Un professeur m’a indiqué être soulagé de ne pas avoir un nom à connotation juive. Et qu’elle s’autocensurait sur certains sujets liés à des pays en guerre», précise Annaëlle.
Des cours en amphi perturbés
Ces dernières semaines, de nombreuses interventions en amphithéâtre de la part de militants d’extrême gauche, ont perturbé les cours. «On n’a aucun problème à dire “Israël assassin, Macron complice, et solidarité avec le peuple palestinien”», affirmait fièrement, début octobre, un militant du NPA Jeunes (Nouveau parti anticapitaliste), largement applaudi.
Le 10 octobre, le député LFI-Nupes Antoine Léaument donnait, lui, une conférence improvisée sur la pelouse de l’université pour dénoncer les «bombardements d’Israël sur les civils». Deux semaines plus tard, le 26 octobre, le NPA Jeunes programmait une «réunion ouverte» en faveur de la Palestine, aux côtés du syndicat de gauche Unef. «L’État d’Israël prend appui sur les attaques du Hamas et de la résistance palestinienne pour continuer leur entreprise de colonisation (…) et pour commencer un réel nettoyage ethnique», lançait une militante, face caméra depuis l’amphithéâtre, dans une vidéo diffusée sur le compte X (ex-Twitter) du NPA Jeunes 92 -celui-ci a depuis été suspendu par le réseau social. Souhaitant assister à cette réunion, le président de l’UEJF, Samuel Lejoyeux, s’en est vu refuser l’accès.
Le 14 novembre, Le Figaro s’est à son tour rendu sur place, pour assister à une réunion publique. La présence de notre journaliste, inconnu des étudiants, a rapidement posé problème aux organisateurs, qui lui ont refusé l’accès. Contacté, Mouhammad Benussi Thioune, responsable de l’Unef pour la région Île-de-France, affirme que le syndicat «condamne l’antisémitisme et refuse de faire l’amalgame entre le gouvernement de Benyamin Netanyahou et la jeunesse juive.» «Si un filtrage est parfois mis en place dans les réunions auxquelles l’Unef participe, c’est avant tout pour éviter que des militants d’extrême droite ne viennent agresser les participants», ajoute le syndicaliste.
Ce sentiment d’insécurité des étudiants juifs de Nanterre ne date pas du 7 octobre. En juin dernier, déjà, des tags représentant des croix gammées ont été découverts dans les toilettes de l’université. «Et puis, il y a toujours eu des affiches en faveur de la Palestine sur le campus», complète Annaëlle de l’UEJF. «Une étudiante marquée très à gauche m’a déjà expliqué que les juifs n’étaient pas une minorité discriminée mais une minorité dominante qui détient les médias, la finance, le pouvoir. Je m’en souviendrai toute ma vie», relate Max à son tour.
Un climat tendu depuis plusieurs années
Pour Yonathan Arfi, président du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), ce climat délétère n’est pas une surprise. «Nous savons que Nanterre a toujours été un point chaud au sujet de l’antisémitisme dans le monde universitaire. Il y a une influence islamiste historique depuis les années 2000 chez les jeunes étudiants militants d’extrême gauche», explique-t-il. Avant de préciser : «Il y a une responsabilité de la présidence et du corps enseignant qui doit être mise au clair. Ce sont eux qui doivent maintenir le cadre.»
L’université, elle, affirme soutenir ses étudiants juifs. «Nous avons été alertés au sujet des tags et des croix gammées et avons réagi immédiatement», indique l’établissement au Figaro. Avant de poursuivre : «Les étudiants qui se sentent en insécurité ont été directement reçus afin de comprendre l’objet de leurs inquiétudes. Tout signalement sera pris très au sérieux et les élèves qui le souhaitent pourront être accompagnés psychologiquement». Au sujet des interventions dans les amphithéâtres et des réunions «publiques», Nanterre tempère : «C’est toute la question de la frontière entre la liberté d’expression et les propos à caractère antisémites. Toutes les vidéos que nous recevons sont attentivement étudiées afin de ne rien laisser passer».
Le ministère reste attentif à la situation
La ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Sylvie Retailleau, semble prendre ce sujet à bras-le-corps. Ce mardi, au micro d’Europe 1, elle a déclaré, aux côtés de Samuel Lejoyeux : «Nous avons un réseau de référents antisémitisme-racisme dans toutes les universités. J’ai réuni ce réseau travail (…) après le 7 octobre. On les a écoutés donner leurs premières analyses et on a regardé comment améliorer, comment agir.» Ces référents, déployés dès 2015, avaient déjà été réunis trois ans plus tard par la ministre de l’époque, Frédérique Vidal, à la suite d’une multiplication de tags et graffitis antisémites dans plusieurs établissements.
Le 8 octobre, Sylvie Retailleau avait par ailleurs écrit une lettre à l’attention des présidents d’université et directeurs d’établissements d’enseignement supérieur, les invitant à «prendre toutes les mesures nécessaires» pour «veiller au respect de la loi et des principes républicains» face à des «dérives». «Je vous invite à apporter à tout manquement les sanctions disciplinaires et suites judiciaires appropriées, y compris en les signalant au Procureur de la République», avait poursuivi la ministre. C’était une semaine après les résultats d’une enquête commandée par l’UEJF à l’Ifop, qui indiquait que 91% des étudiants juifs de France disent avoir déjà été victimes d’un acte antisémite au cours de leur scolarité.