Dans sa chronique, Eliette Abécassis raconte la nuit de l’attaque de drones de l’Iran contre Israël dans la nuit de samedi 13 à dimanche 14 avril vécue depuis son appartement de Tel-Aviv, de l’alerte dans la soirée au bilan, le lendemain en passant par l’angoisse de l’attente.
Nous étions en train de dîner au restaurant, avec des amis. Le temps d’un instant, rire, boire et manger, histoire d’oublier la pression des derniers jours, cette angoisse qui montait d’heure en heure. Soudain, quelque chose s’est produit. Les gens regardaient leur portable. Des textos d’amis nous disaient de rentrer et de se mettre à l’abri. On savait que l’attaque était « imminente », cela faisait plusieurs jours qu’elle couvait, que les menaces se faisaient plus précises, et le mot qui revenait dans toutes les phrases était celui-ci : « imminent » : cela veut dire que l’on ne doit pas se trouver loin d’un abri, « Miklat », placé sous les immeubles, ou bien une chambre appelée « Mamad », réglementaire dans chaque nouvel appartement, entièrement sécurisée, qui ferme hermétiquement. Et si l’on est sur une route, ou dans une rue, et que la sirène retentit, il faut se placer sur le sol et mettre la paume des mains sur la tête.
On s’est levés, vite, on a payé, on est rentrés, à pas rapides. Cette fois, c’était vraiment imminent. On s’est calfeutrés dans l’appartement, où se trouvait le Mamad, avec un lit, des vivres, des bouteilles d’eau. La lumière ne marchait pas, mais qu’importe, les portables font office de lampe torche et on a apporté des bougies. Des messages annoncèrent que les drones étaient partis d’Iran. Ils arrivaient sur le pays.
On le sait et pourtant on a du mal à le croire. Il y a comme un effet de surprise. Ils arrivent entre 2 heures et 4 heures du matin. Et donc il faut attendre. Et que faire ? Prier, sans penser au pire. Même pas des adieux, ce serait dramatique. Parler de quoi, à qui ? À ceux qui sont là, aussi, à se cacher chez eux. À ceux qui en rient. À ceux qui en pleurent. À ceux qui sont fatalistes. À ceux qui paniquent. On peut circuler dans l’appartement, je navigue entre le salon et le Mamad, comme une âme en peine, sans savoir où aller, ni quoi faire de moi. Sans vouloir affoler les proches, qui le sont suffisamment, en essayant d’avoir un ton tout à fait neutre au téléphone, comme si tout était en ordre, alors que l’on attend rien de moins qu’une dizaine, centaine, le nombre augmente d’heure en heure, de drones et de missiles, à pleuvoir au-dessus de nos têtes.
Alors que les larmes montent, malgré soi. Dans ces moments, même entouré, on est seul. On ne sait pas comment les choses vont tourner. Il ne faut pas perdre son sang-froid. Les messages de l’armée se veulent rassurants, et c’est à cause de cela qu’ils ne le sont pas du tout. Chacun est un coup de poignard dans l’estomac. Et soudain, je le vois. Un gros cafard sur le canapé du salon. Vraiment volumineux et affreux. Cet insecte brun à carapace que l’on nomme en hébreu un djouk. Et en plus, il vole. Quelle horreur. Je déteste les cafards en général, mais ceux-ci, je ne peux pas.
Dans ma jeunesse, je les ai côtoyés, qui tournoyaient autour de moi, l’air bête, dans des chambres d’étudiante ou des appartements. Un cauchemar, ces djoukim (pluriel de djouk). Ah je les déteste. Et pourtant c’est dérisoire, presque diffamatoire de se lancer dans cette chasse alors que des centaines de drones et de missiles vont pleuvoir sur nos têtes dans moins d’une heure, une demi-heure, quinze minutes (on parle maintenant de 300 missiles).
Je me réfugie dans le Mamad, étendue sur le lit. Une amie se trouve à Jérusalem, nous nous textons, elle me dit de ne pas paniquer, de rester très calme. Ça y est. La sirène retentit, d’abord dans le nord du pays, puis dans le sud, puis un peu partout. À Jérusalem, aussi. Les missiles sont dans les cieux. Tout le monde est aux abris. Une vraie guerre des étoiles. On ne se rend pas compte de ce que cela veut dire. Le ciel illuminé par les explosions incessantes de 300 missiles qui explosent en plein vol.
Vers 3 h 30, il paraît que c’est probablement fini. Le Dôme de fer, également connu sous le nom de « Kippat Barzel » en hébreu, a arrêté presque tous les missiles. Ce système de défense aérienne mobile est une invention de pur génie : une alliance de technologie et de talent humain, puisque les soldats font fonctionner le système et les commandants supervisent le réseau. Je m’endors, dans une forme d’épuisement absurde. Sans même savoir vraiment si c’est fini.
Le matin tôt, je suis debout. Je sors du Mamad, pour aller au salon. Le cafard est mort. La ville est calme. Personne n’ose bouger, encore. Ce n’est pas un rêve. Je descends au Frenchie, le café d’en bas, dans la rue encore déserte, silencieuse, éperdue. Je demande au voisin qui sirote son café s’il a eu peur, il répond non, car je crois. En quoi ? En effet. En l’armée, en Dieu ? Les deux, dit-il. L’un aide l’autre. Ils sont ensemble, croyons-le. Sur tous les dégâts qui auraient pu se produire, seul un enfant a été touché par des débris. Une forme de miracle a eu lieu
Eliette Abécassis