Le candidat de la social-démocratie aux européennes, en hausse dans les sondages, peut-il déjouer les pronostics et doubler Valérie Hayer, tête de liste de Renaissance ? S’il refuse de s’emballer, sa dynamique commence à inquiéter ses adversaires.
Il ne veut pas fanfaronner. Devant les parlementaires socialistes, à qui il a rendu visite ce mardi 2 avril, Raphaël Glucksmann a fait assaut d’humilité, est apparu à l’écoute, soucieux de jouer collectif. La tête de liste PS-Place publique aux élections européennes sait trop combien l’espace politique de la social-démocratie est « fragile et malade » pour crier victoire si tôt. Et pourtant c’est bien lui l’homme du moment.
Depuis le début de l’année, les sondages dessinent un à un une progression. Il y a cinq ans, ce novice en politique, désigné tête de liste d’un PS en détresse, avait stressé jusqu’au bout avant de finir à 6,19 %. Cette fois, à deux mois du scrutin, il recueille entre 12 et 13 % des intentions de vote, fait la course en tête de la gauche et se rapproche même de la liste Renaissance portée par la peu connue Valérie Hayer (17 %). A tel point que les plus optimistes imaginent déjà les courbes se croiser. « On s’est extirpés d’une discussion interne à la gauche pour participer à un débat à trois avec Renaissance et le RN », souffle-t-on dans l’équipe Glucksmann.
Sur le terrain aussi, quelque chose a changé. L’essayiste se souvient trop bien des salles à moitié vides qui l’applaudissaient mollement en 2019 pour ne pas sentir le début d’un enthousiasme parcourir ses meetings. Il faut dire qu’il est porté par les événements. La menace Poutine ? « C’est le combat de ma vie », répète ce quadra qui fut dans une autre vie conseiller du président géorgien Mikhaïl Saakachvili. Le dossier ukrainien, qui domine la campagne des européennes ? Il connaît ça par cœur. A l’aise pour pointer les penchants russes du Rassemblement national (RN), l’eurodéputé veut désormais présenter d’autres axes de campagne : la taxation des riches au niveau européen, la réindustrialisation, la transition énergétique…
Son objectif : porter haut le drapeau d’une gauche proeuropéenne. La droitisation du macronisme d’un côté et la radicalisation du mélenchonisme de l’autre lui auraient-elles déjà fait gagner des voix ? C’est la tendance observée par une récente étude de la Fondation Jean-Jaurès. « Sa candidature marche actuellement sur deux jambes, écrit le spécialiste de l’opinion Antoine Bristielle. Une partie de l’électorat d’Emmanuel Macron passe chez lui parce qu’elle est déçue par les politiques menées au niveau national, sur les retraites, l’écologie, l’immigration et le féminisme. Et une partie de l’électorat de Jean-Luc Mélenchon passe chez Raphaël Glucksmann parce qu’elle est déçue des prises de position de LFI sur les sujets internationaux, et en particulier sur l’Ukraine et sur le Hamas. » Autant de raisons qui font désormais du candidat Glucksmann une cible pour tous ses rivaux.
L’obsession de Jean-Luc Mélenchon
Une tête de liste, Manon Aubry, qui stagne entre 6 et 8 % des intentions de vote, c’est un peu l’ordinaire pour les insoumis. Jean-Luc Mélenchon n’a jamais brillé aux élections européennes, et ça ne l’a jamais empêché de décoller à la présidentielle. Seulement voilà : la résurgence d’un PS hostile à ses orientations ne fait pas partie des plans du tribun en vue de 2027. Glucksmann peut-il être un rival au scrutin suprême ? Mélenchon est sceptique. « La gauche ne se rangera pas derrière un va-t-en guerre », veut-il croire devant « le Nouvel Obs ». Et puis il faut connaître le pays, le sillonner, lui parler…
Sauf que le fondateur de LFI ne quitte pas des yeux ce Glucksmann dont les élites s’amourachent. « Les Verts à 13 %, il s’en fout, il se dit qu’il peut les plumer, il ne les a jamais pris au sérieux. En revanche, il ne veut pas que l’espace social-démocrate se solidifie », décrypte un proche du candidat de Place publique. Alors les insoumis ne retiennent plus leurs coups contre le « candidat des médias », un « libéral », un « atlantiste »… Ont-ils compris que ce défenseur des Ouïgours avait lui aussi l’oreille d’une certaine jeunesse ? Dès le mois de janvier, François Ruffin s’était fendu d’une longue missive pour le camper en tenant d’une gauche « hors-sol », nouvel avatar d’une « élite arrogante ». Ces derniers jours, les petits soldats de la mélenchonie se sont démenés dans les amphis pour inviter les étudiants à ne « pas gâcher leur vote » en optant pour « un macroniste déguisé ». Sur son compte Facebook, « JLM » semble faire une fixette : il partage et repartage le même article d’un média de la gauche radicale : « Non, Raphaël Glucksmann n’est pas un camarade ».
Autre angle d’attaque choisi par LFI, la supposée mollesse de « Glucks » pour dénoncer le massacre dans la bande de Gaza. Là encore, l’insoumis en chef a donné le tempo sur France 3. Glucksmann ? « Il déshumanise les Palestiniens. Il couvre le crime, il l’euphémise, il le nuance. » Son tort, aux yeux de Mélenchon ? Avoir parlé de « carnage » plutôt que de « génocide ». Au Parlement européen, les insoumis l’accusent d’avoir voté contre la suspension de l’accord d’association UE-Israël. C’est arrivé une seule fois, dit-on chez Glucksmann. Un vote qu’il assume complètement : c’était le 16 octobre, soit neuf petits jours après l’attaque du 7 octobre.
Sur les réseaux sociaux, à chaque campagne des insoumis sur le thème, les petites mains de Place publique déplorent « des tombereaux d’insultes antisémites ». Glucksmann a compris la stratégie. « Je vois bien l’imaginaire développé derrière ces attaques », a-t-il confié à un ami. Au PS, on décèle dans cette violence verbale le signe d’une fébrilité insoumise. « Ils ne sont pas dans une situation de confort. Ils radicalisent à l’extrême pour parler au cœur de leur électorat et pour qu’il ne soit pas capté par les autres. Ils ont besoin de radicaliser pour être sûrs de faire au moins 6 % », analyse le premier secrétaire, Olivier Faure.
Le siphon des Ecologistes
Sur l’échiquier politique, Les Ecologistes (ex-EELV) sont aujourd’hui l’espèce la plus menacée par la percée de Raphaël Glucksmann. S’ils ont retrouvé de l’écho à la faveur de la crise des agriculteurs, leur tête de liste, Marie Toussaint, oscille entre 6 et 8 % des intentions de vote et éprouve jusqu’ici toutes les peines du monde à se faire entendre. Dans les rangs des Verts, on le répète : lors des européennes, scrutins qui leur sont favorables, l’électorat se mobilise toujours très tard. Cela ressemble aussi beaucoup à de la méthode Coué tant la campagne semble mal emmanchée. « On a un problème d’invisibilité face à des candidats connus, et notamment Glucksmann qui a une couverture média dingue. On est dans une séquence Ukraine sur laquelle il est plus à l’aise que nous. On n’a pas réussi à faire émerger Marie, elle ne veut pas taper, or c’est un format nécessaire en campagne. Mais on n’est pas encore affolés », assure un cadre écologiste.
Un élu vert le dit plus crûment encore : « La seule chose qu’on dit aux gens, c’est qu’on est sincères et chiants. Ceux qui nous écoutent retiennent qu’on est chiants et ils votent pour les autres. Sur le marché électoral, nous sommes un produit qui fait doublon. »
Jusqu’à présent, la tête de liste s’est refusée à jouer la guerre des gauches. D’ici au 9 juin, sa campagne devrait mettre l’accent sur les fondamentaux de l’écologie. Dans son entourage, on appelle à « démystifier l’opération Glucksmann » : C’est l’arbuste qui cache la forêt d’éléphants socialistes. Or le PS dans les régions, ce sont les puits de pétrole en Aquitaine, les porcs en Bretagne et l’A69 en Occitanie.
Il y a cinq ans, dans la dernière ligne droite, Yannick Jadot avait bénéficié des marches climat pour bondir sur le podium avec 13,4 % le soir du vote. Et maintenant ? Le contexte est moins porteur. Un élu vert s’en remet presque déjà à la météo. « S’il y a une canicule, si ça brûle dans les forêts en mai, pour nous, c’est une autre histoire. »
Mauvaise surprise pour les macronistes
Et si le match que les macronistes s’apprêtaient à livrer n’était pas celui pour la première place contre le Rassemblement national mais celui pour la seconde contre la liste menée par Glucksmann ? Dans les rangs de Renaissance, l’hypothèse n’est plus exclue. « Après la loi immigration, qui a été une erreur tactique en soi, le président a enchaîné avec la formation d’un gouvernement perçu par ce qui nous reste de base sociale-démocrate comme un gouvernement sarkozyste. Ces électeurs-là, plutôt actifs, urbains et éduqués, qui nous sont restés fidèles jusqu’à maintenant, on va finir par les perdre ; et Glucksmann par les récupérer », craint un parlementaire. Un autre élu lâche : Je crois qu’on ne peut plus exclure qu’il finisse par nous dépasser.
Comment contrer cette dynamique d’un candidat qui s’affiche aussi proeuropéen et anti-Poutine que le président ? Après avoir fait des appels du pied aux électeurs en soulignant les convergences de vote, Valérie Hayer et les siens haussent désormais le ton et pointent l’« irresponsabilité » et l’isolement de Glucksmann quand il s’oppose au pacte sur la migration et l’asile, pourtant soutenu par les socialistes européens. « A Bruxelles, c’est un influenceur sans influence, attaque Loïc Signor, le porte-parole du parti. C’est le marchepied d’Olivier Faure. Il n’est personne dans son groupe. Il épouse des causes ; nous, on construit des politiques européennes. »
Pour remobiliser leur électorat, les macronistes misent surtout sur l’entrée en campagne du président : un discours fin avril et les cérémonies du Débarquement à quelques jours du scrutin, l’occasion de dramatiser les enjeux de l’élection, de s’afficher parmi les grands de ce monde. Et si possible, au passage, de ramener au bercail les hésitants.