En octobre 1943, cinq membres de la famille Simsohn-Lévy de Bernay ont été déportés à Auschwitz. Un pavé de mémoire a été placé devant leur ancienne maison rue Thiers.
Près de 80 ans après le décès de la seule famille juive déportée de Bernay (Eure), la Ville a rendu hommage ce lundi 8 avril 2024 à Jeanne, Denise, Eliane, Ferdinand Lévy et à Jules et Juliette Simsohn. Pour cela, six pavés de mémoire, « Stolpersteine » en allemand, ont été posés devant les numéros 60 et 62 de la rue Thiers, l’ancienne maison de la famille, par l’artiste berlinois Gunter Demnig.
Les pavés de mémoire posés devant la dernière demeure choisie
Les deux parties de cette famille vivaient dans le même appartement au 10, rue des Fontaines, lors de leur arrestation le 22 octobre 1943. Mais les pavés de mémoire ont été placés devant l’actu elle boutique de lunettes de la rue Thiers parce que c’est là qu’était leur demeure familiale, jusqu’en 1941, avant d’en être chassés, ne pouvant vivre dans un immeuble leur appartenant.
« Oui, la Shoah a aussi fait des ravages ici, à Bernay. Oui, du jour au lendemain, ici, à Bernay, un ami, un collègue, une connaissance, une commerçante pouvait alors disparaître du jour au lendemain et ne plus jamais revenir. Seulement parce qu’ils étaient juifs, souligne Marie-Lyne Vagner, la maire de Bernay. La présence des conséquences de la Shoah au sein de notre espace public permet de créer un lien entre les morts – que sont les victimes de la Shoah – et les vivants : aujourd’hui nous, élus, élèves, journalistes, invités de cette cérémonie… et demain tous les passants qui emprunteront cette rue. »
Lors de cette cérémonie, sept adolescents du lycée professionnel Clément Ader ont pris la parole pour évoquer la vie des six victimes du nazisme à Bernay.
Une famille venue d’Armentières
Après plus de six mois de travail pour une trentaine d’élèves de 1ère bac pro en Hôtellerie et restauration et Système numérique du lycée Clément Ader et leurs professeures Vanessa Morand et Marie-Françoise Lenoir-Niel, la vie des six membres de la famille Lévy-Simsohn se dévoile.
Depuis septembre, ceux-ci rassemblent des témoignages et archives pour apprendre à les connaître, sous l’impulsion de la journaliste Lou Garçon, qui elle aussi a assisté à plusieurs poses de pavés.
Jules, l’aîné de la la fratrie Simsohn, sa sœur Jeanne, son frère Robert et ses parents, Scheye et Bertille, sont venus d’Armentières dans le nord de la France pour s’établir à Bernay en 1897. Scheye et Bertille ont ouvert la boutique de confection de vêtements pour hommes « À la belle jardinière ».
En 1921, Jeanne, née en 1896, épouse Ferdinand Lévy, née en 1892 à Paris. Ce dernier devient employé dans le commerce de ses beaux-parents. En 1926, il devient le propriétaire de la boutique familiale, Jeanne travaille avec son mari. Leurs deux filles Denise et Eliane sont nées en 1923 et 1925.
Denise, scolarisée au collège Augustin Fresnel, « était une élève brillante qui a reçu tous les ans le prix d’excellence », raconte Mélissa Renar, une des lycéennes ayant travaillé sur ce projet ; c’était écrit à l’époque dans l’Avenir de Bernay.
Après avoir obtenu son baccalauréat spécialité latin-grec, elle entre au lycée Fénelon à Paris où elle fait une année d’hypokhâgne. La première marche pour devenir enseignante comme elle le désirait. Les mesures contre les Juifs la contraignent à retourner à Bernay et elle continue les cours par correspondance.
Eliane était également élève à Fresnel, elle obtient la première partie de son baccalauréat, spécialité langues vivantes en juillet 1942. « Elle pensait faire des études en mathématiques », ajoute Kateline Cosnard.
Des commerçants emblématiques
Ferdinand est également investi dans la vie bernayenne. « Dans les années 30, il était membre de l’Union commerciale et industrielle et également membre de l’association des anciens combattants », raconte la lycéenne Clara Questaigne.
En 1935, il devient conseiller municipal, une fonction qu’il occupe jusqu’en 1941; il est contraint de démissionner à cause des lois antisémites. Le maire de l’époque, Georges Varin, « a évoqué un collègue qui avait rendu de grands services à la commune et à ses habitants surtout pendant la période de l’exode », ajoute la lycéenne.
Pendant l’Occupation, à partir de 1940, le couple continue de tenir le commerce, jusqu’à sa fermeture, car des lois anti-juives interdisent cette profession aux persécutés. « En novembre 1942, toute la famille est contrainte de quitter le 60-62 rue Thiers pour s’installer au 10, rue des Fontaines », décrit Clara Questaigne.
En mars 1941, la boutique est vendue à Raymond Mouquet, dans le cadre de l’aryanisation et la spoliation des biens des Juifs. Ferdinand travaille donc comme ouvrier agricole et ouvrier brasseur.
Un retour à Bernay pendant la guerre
Jules, né en 1887, a épousé Juliette Weiger le 16 juin 1914 avant de partir pour la Grande Guerre. Il finit sergent en 1919 et reçoit la Croix de guerre. Son épouse, quant à elle, était assistante-infirmière à l’hôpital de Bernay, comme sa belle-sœur Jeanne.
Après avoir rejoint Juliette à Bernay, Jules et sa femme partent tous deux pour Nancy où il devient commerçant. Pour se mettre à l’abri des Nazis et du début de la Seconde Guerre mondiale, le couple revient à Bernay. Ils habitent au 60 de la rue Thiers dans l’immeuble lui appartenant.
Arrêtés le 22 octobre 1943
Le 22 octobre 1943, la Gestapo vient arrêter les membres de la famille, à leur domicile. Ils y trouvent Jeanne, Denise, Jules et Juliette. Eliane « était au collège Fresnel où elle est arrêtée », ajoute Kateline Cosnard.
Ferdinand échappe à l’arrestation. « Des témoignages indiquent qu’il se trouvait au travail chez M. Fréart, propriétaire d’une cidrerie », révèle Clara Questaigne. Les membres de la famille Simsohn et Lévy ont d’abord été transférés dans le camp de transit de Drancy et le 20 novembre, leur convoi est parti vers Auschwitz.
Jeanne (47 ans), Denise (20 ans), Eliane (18 ans) Lévy, Jules (56 ans) et Juliette (57 ans) Simsohn ont été gazés le jour de leur arrivée au camp le 23 novembre. Pendant un an, Ferdinand, quant à lui, est caché par des résistants, dont l’abbé Vadez, qui fut à la Libération rédacteur en chef de l’Éveil de Bernay, « ou encore un instituteur de l’école Jules Ferry », ajoute Vanessa Morand, l’ayant découvert il y a peu dans un article de l’époque.
À la Libération, il redevient conseiller municipal. Il part pour Paris en 1947 « où il aurait été peintre en bâtiment », indique Noah Dugardin. Il est décédé dans une maison de retraite à l’âge de 78 ans.
Continuer de commémorer les victimes de la guerre
Lors de la cérémonie en l’honneur de la famille Simsohn-Lévy, Marie-Lyne Vagner, maire de Bernay, a mis en avant l’importance de la mise en place de ces pavés de mémoire. « La petite et la grande histoire sont totalement imbriquées : en pareilles circonstances, les drames individuels et familiaux rejoignent les millions de morts, blessés et disparus qu’engendrent les périodes troubles de l’histoire de l’humanité. C’est pour cela que j’ai tout de suite accepté la réalisation de cette pose de Stolpersteine à Bernay », explique-t-elle.
« Commémorer, c’est continuer à inscrire dans notre vie intime, sensible, les conséquences humaines des guerres pour éviter que ne s’installent les désastreuses théories négationnistes, révisionnistes et complotistes », ajoute la première magistrate de Bernay.
Ainsi, contrairement à d’autres pavés sur lesquels peuvent trébucher les passants, ces six pierres en laiton leur permettront de ne pas oublier cette famille bernayenne, victime des Nazis.
Par Coralie Maux-Renard