Nili Margalit, 42 ans, raconte au « Point » ses cinquante-cinq jours de détention à Gaza. Et son impossible reconstruction tant que ses compagnons d’infortune ne sont pas libérés.
Dans la pénombre d’un tunnel, sous le sol de Gaza, il ne leur restait que la parole. Alors un professeur d’histoire, otage, a commencé à donner des leçons aux autres captifs. Le professeur d’art lui a emboîté le pas. Nili Margalit, elle, a fait ce qu’elle savait faire de mieux : prendre soin des autres. Cette infirmière israélienne de 42 ans a passé cinquante-cinq jours sous terre, coupée du monde, à vivre recluse aux côtés du Hamas à partir du 7 octobre. De passage à Paris, après avoir fait étape en Suisse et au Luxembourg, elle a accepté de se confier en France en exclusivité au Point.
Le 7 octobre, vers 6 h 30 du matin, Nili Margalit se lève en trombe dans sa maison du kibboutz de Nir Oz, où elle est née. Lorsque l’alarme retentit, elle se réfugie dans son « mamad », un abri anti-bombes construit pour se protéger du ciel, mais pas des terroristes. Les messages affluent sur la boucle WhatsApp du kibboutz, où elle a grandi et connaît tout le monde. « L’alarme sonnait en boucle, ce n’était pas habituel », raconte Nili Margalit. Certains messages signalent la présence de terroristes dans le kibboutz. À ce moment-là, les habitants de Nir Oz – dont le calvaire a été longuement raconté dans le numéro exceptionnel du Point consacré au 7 octobre – pensent encore que l’armée israélienne va venir les sauver. Il n’en sera rien.
À 9 heures, les terroristes du Hamas font irruption chez Nili Margalit. « Ils ont explosé des assiettes, mis la maison sens dessus dessous et allumé un incendie », poursuit-elle. Deux minutes plus tard, ils ouvrent la porte de son « mamad ». Ne pas la verrouiller lui a peut-être sauvé la vie : « Ceux qui se sont barricadés dans les mamads sont morts, car les terroristes ont tiré à travers les portes et les ont incendiés », s’attriste Nili Margalit.
Les terroristes la prennent par le bras et l’embarquent sur une voiturette de golf. Elle est recouverte d’un drap blanc au milieu des civils armés de kalachnikov. De ce trajet terrifiant, elle se souvient simplement des cris exaltés des terroristes « shabab ! shabab ! », qui veut dire « jeune » en arabe, mais pouvait signifier à ce moment-là « otages ! ». La voiturette s’arrête à la frontière. Puis l’otage est conduite en voiture sous les vivats jusqu’à la ville de Khan Younès. « J’ai vu des personnes âgées, des enfants pris en otage, poursuit Nili Margalit. Les terroristes qui m’ont capturée étaient des civils. Ils ont négocié avec le Hamas pour me vendre. Quand ils ont été payés, j’ai été conduite directement dans un tunnel. »
Otage avec ses voisins et amis
Dans une première « salle de réception », elle retrouve une trentaine de visages connus : ses voisins, amis et connaissances du kibboutz de Nir Oz. « Les hommes avaient les visages tuméfiés, les jambes blessées après avoir été traînés à moto, retrace l’infirmière. À ce moment-là, je savais que ce qui se passait était majeur, mais je pensais que la prise d’otages se limitait à notre kibboutz. » Nili Margalit ne sait pas non plus qui, à Nir Oz, a été blessé ou tué, hormis l’une de ses voisines, dont l’assassinat a été diffusé en direct sur Facebook dans la matinée…
Les terroristes répartissent les otages en plusieurs groupes, dont l’un rassemble les personnes âgées de plus 70 ans, parfois malades ou faibles. Un ravisseur, dont les mots sont traduits de l’arabe par un otage, demande à établir une liste de médicaments. « J’ai signalé que j’étais infirmière aux urgences, rappelle Nili Margalit. Plusieurs otages n’avaient pas leurs lunettes, leurs appareils auditifs ou manquaient d’oxygène. J’étais leurs yeux et leurs oreilles afin qu’ils se repèrent dans les tunnels. »
L’infirmière dort dans une minuscule pièce, serrée contre une dizaine d’otages, le plus souvent surveillés par quatre gardiens. Dans ce trou à rats s’alignent de sommaires matelas. Les captifs mangent de petites rations de riz et de pain, ce qui crée des troubles gastriques pour certains. Nili Margalit continue à faire ses exercices de yoga pour se maintenir en forme. Elle se procure le cadran d’une montre auprès d’une autre otage pour chronométrer les durées d’effets des médicaments. « Rapidement, nous avons mis en place une routine : les malades devaient manger à la même heure, puis prendre leurs cachets à une autre, explique-t-elle. Mais on manquait de stock. On a appris après que le Hamas avait reçu de la Croix-Rouge des box de médicaments et de lunettes, envoyés selon les besoins de chaque otage, mais nous n’en avons jamais vu la couleur. »
« Aider, c’était ma façon de survivre »
« Les journées étaient extrêmement longues, je regardais ma montre et me disais : seulement dix minutes se sont écoulées », raconte Nili Margalit. Les otages, qui se connaissent car ils viennent du même kibboutz, n’ont d’autre choix que de se raconter leurs rapts ou des histoires plus riantes pour se changer les idées. « Il y a eu des engueulades, des pleurs, des rires, c’est normal lorsque vous mettez une dizaine de personnes dans la même pièce, nous sommes humains ! Mais on se soutenait toujours, assure l’infirmière. Au début, je me suis dit que ça ne durerait que deux jours. Puis j’ai compris qu’Israël ne paierait jamais pour autant d’otages. Cela déprimait certains d’entre nous. Il fallait tenir psychologiquement. Aider, c’était ma façon de survivre. »
Au fil des jours, coupés du monde, les otages n’ont d’autre choix que d’écouter le Hamas leur dire qu’Israël tente de tuer tous les Palestiniens. Rare information qui leur est confiée : le bombardement de l’hôpital Al-Shifa. Autrement, les captifs ignorent l’ampleur des massacres du 7 octobre, mais aussi l’invasion terrestre d’Israël à Gaza, et surtout la résonance mondiale du conflit. Tout cela, Nili Margalit ne le découvrira qu’au bout de cinquante-cinq jours, en novembre 2023, lorsqu’elle est libérée avec trois autres femmes après d’âpres négociations entre le Hamas et Israël.
L’impossible reconstruction
« Un garde est venu me chercher, m’a désigné et m’a dit : « go, go » », se souvient-elle. L’infirmière n’aura même pas le temps de dire au revoir à ses compagnons d’infortune, à qui elle pense désormais tous les jours. Mise au repos dans un hôpital israélien, elle reçoit d’abord la visite de ses plus proches amies. Peu à peu, malgré leurs réponses évasives, elle découvre l’ampleur du drame du 7 octobre. Lorsque sa famille vient la voir, son père manque à l’appel. Il a été tué par les terroristes.
Une fois remise sur pied, Nili Margalit se décide à parler pour les autres. Ceux qu’elle a côtoyés sont toujours détenus par le Hamas. Alors elle sillonne l’Europe pour porter leur parole et réclamer leur libération en urgence. « Tout découle de là, insiste-t-elle. Libérer les otages, c’est la clé pour mettre un terme à cette guerre. » D’où lui vient cette force ? « Ma maison a brûlé, une partie de mes amis ou mes voisins sont morts… Ma reconstruction commencera le jour où les otages seront dehors. »