Gil Dickmann, dont la cousine Carmel Gat est retenue à Gaza depuis 183 jours, est une figure du Forum des familles d’otages. Il retire une dose d’optimisme des conversations tenues depuis six mois avec ses concitoyens.
La «place des otages» à Tel-Aviv s’est peu à peu imposée comme un lieu de pèlerinage. A l’entrée de la reproduction anxiogène d’un tunnel, une jeune femme essuie une larme dans les bras de son compagnon. Derrière eux, une scène accueille des musiciens devant un parterre de chaises en plastique. Au milieu, sous une grande tente tapissée des portraits des 241 otages enlevées le 7 octobre par le Hamas et d’autres groupes terroristes, Gil Dickmann, 31 ans, parle doucement dans un microphone relié à une petite enceinte. Autour de lui, une centaine de jeunes filles, concentrées, l’écoutent raconter son histoire. Elles viennent d’une école de Kédoumim, une des plus importantes colonies sionistes religieuses de Cisjordanie.
«Je suis né à New York, j’ai déménagé à Tel-Aviv quand j’avais 6 ans, mais ma mère est du kibboutz de Be’eri. Mon oncle Eshel et sa femme y habitaient encore, ainsi que leurs trois enfants, Alon, Or et Carmel. J’étais très proche de ma tante Kinneret, une femme très douce. Elle a été enlevée, puis tuée le 7 octobre, mais mon oncle a survécu en se cachant dans la salle de bains. Par la fenêtre, il a vu les terroristes emporter sa fille Carmel, 39 ans. Leur fils Alon a aussi été enlevé avec sa femme Yarden et leur fille Geffen, 3 ans et demi. Ils ont réussi à s’échapper avant d’arriver à Gaza, mais Yarden ne pouvait pas courir, elle était pieds nus. Elle a supplié Alon de prendre leur fille et de se sauver. Elle a été reprise.»
«Il fallait mettre la pression»
«Les premiers jours, nous avons nous-mêmes cherché nos proches aux abords de Gaza, nous avons nous-mêmes enquêté, signalé les vidéos qui sortaient sur les réseaux sociaux. Quand les premiers buts de guerre ont été déclarés, le retour des otages n’y figurait pas. C’est pour cela que nous avons décidé de fonder le Forum des familles d’otages. Nous nous sentions délaissés, et il fallait mettre la pression. C’est comme ça que le retour des otages est devenu une priorité, et qu’il y a eu l’accord de novembre. Il nous a ramené Yarden, mais nous attendons encore Carmel. Deux autres otages étaient avec elle pendant les cinquante premiers jours. Elle leur a appris le yoga, les a aidés à rester en forme physiquement et émotionnellement. Depuis plus de cent trente jours, nous n’avons aucune nouvelle.
Dans la conversation qui suit, les jeunes filles demandent à Gil, le gauchiste athée, si les négociations pour le retour des otages sont en accord avec le judaïsme et sont dans le meilleur intérêt d’Israël. «C’est fascinant, commente le jeune homme après leur départ. Il y a des catégories d’Israéliens que je rencontre pour la première fois, ces six derniers mois. La société israélienne traverse un moment très difficile, mais je me rends compte que nous avons une chose en commun : nous croyons à la vie.»
«Apolitique» mais «en colère»
«Cela ne vaut pas pour tout le monde. Le parti d’Itamar Ben-Gvir, par exemple, était le seul à ne pas vouloir d’accord pour la libération des otages. Nous avons eu une discussion très violente, lui et moi, pendant une commission parlementaire. Par la suite, j’ai été traîné dans la boue sur les réseaux sociaux. Nous avons un gouvernement d’incapables, qui conduisent une guerre intensément problématique. Les Israéliens ne voient pas les images horribles de ce qu’il se passe à Gaza, ne comprennent pas qu’imposer cette réalité ne ramènera clairement pas les otages. Cela dit, je n’appartiens pas à ceux qui pensent que remplacer Nétanyahou est la seule façon de ramener nos proches. En tant que membre du Forum, je pense qu’il est important de rester apolitique. Je suis très actif, c’est mon tempérament. J’avais ma propre entreprise, je devais commencer un master : j’ai tout lâché depuis six mois. Si je ne fais pas tout ce que je peux pour libérer Carmel et les autres otages, je ne me le pardonnerai pas. Même si ça veut dire aller dire merci à Sara Nétanyahou, qui pense que nous ne sommes pas assez reconnaissants de leurs efforts.
«Cela ne nous interdit pas d’être en colère. Je participe à des manifestations, à des actions à l’intérieur du Parlement. Dimanche, nous irons à Jérusalem pour dénoncer le départ en vacances des députés, alors que la guerre dure encore. Au cours des six derniers mois, le Forum est devenu une grande famille, dans tous les sens du terme : on ne choisit pas sa famille, on ne choisit pas les opinions des membres du Forum. Certains sont même en faveur de continuer la guerre coûte que coûte. Les relations entre nous s’approfondissent. Les conversations qui en ressortent sont nouvelles, intenses. J’espère que cela restera, même après le retour de nos proches.»