En Île-de-France, le bruit du trafic aérien continue à polluer les jours et les nuits des riverains, malgré la lutte des associations pour tenter de le faire diminuer.
À quoi bon avoir un jardin quand on a l’impression que celui-ci tient lieu de piste d’atterrissage ? À Gonesse, dans le Val d’Oise, le bruit du trafic aérien rend fou. Toutes les cinq minutes en moyenne, la ville est survolée par un avion qui rejoint ou vient de quitter l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle, à une dizaine de kilomètres de là. Les habitants s’adaptent, ferment les fenêtres, renoncent au barbecue sur la terrasse. Dans la journée, on masque le bruit avec le cours de la vie. Mais quand vient la nuit, le vacarme s’insinue jusque dans le sommeil. « Je ne dors pas, et j’entends mon mari multiplier les microréveils et les apnées du sommeil. Il se tourne dans tous les sens, ne parvient pas à se rendormir totalement« , raconte Catherine Bouvier, de l’association ADVOCNAR, L’Association de Défense contre les Nuisances Aériennes.
La question du bruit du trafic aérien en Île-de-France n’est pas nouvelle. Elle se posait déjà en 1986, lors de la création de l’ADVOCNAR. En revanche, elle empire à mesure que le nombre d’avions se multiplie et que les zones d’habitation s’étendent autour des aéroports. À tel point qu’une consultation publique a été menée courant mars auprès des Franciliens pour qu’ils se prononcent sur la création d’un couvre feu de 22h à 6h, mesure qui existe partiellement à Orly ; mais seulement de 23h30 à 6h, et pas à Roissy-Charles-de-Gaulle, où les avions transitent jours et nuits. Le PPBE, plan de prévention du bruit dans l’environnement, est actuellement en renégociation. Mais pour le moment rien ne change. « Il y a eu ces dernières années quelques petites améliorations notables : les évolutions technologiques des avions, qui les rendent moins bruyants, l’élévation des plafonds de survol…Mais cela est insuffisant face à l’ampleur du problème. Ces effets ont été malheureusement compensés par la hausse intense du nombre de vols qui a été en croissant jusqu’à 2019. Depuis 2022, après le covid, la hausse est repartie de plus bel », note Jean-Pierre Enjalbert, maire de Saint-Prix, médecin et président du Collectif Santé nuisances aériennes.
Trois ans d’espérance de vie en bonne santé en moins
Certains préfèrent pointer du doigt le trafic routier, qui représente 80% des nuisances sonores en Île-de-France. Mais l’avion présente, pour ceux qui habitent dans un rayon de trente kilomètres des aéroports, une nuisance encore plus insidieuse. « Il y a ce qu’on appelle une émergence : le bruit surgit brusquement et de façon beaucoup plus intense que l’autoroute, qui elle présente une rumeur continue. Les atterrissages montent dans les aigus et cela est extrêmement troublant pour le cerveau, qui perçoit ces bruits au dessus de nos têtes comme des menaces. »
Difficile d’imaginer à quel point ces nuisances sonores ont un coût, humain et financier. On évalue qu’elles touchent plus d’un million et demi de Franciliens. « Si on croise les cartes de l’exposition au bruit et des troubles mesurés chez la population et le prix à payer par le système de santé, on estime que le coût du bruit de l’aérien s’élève à plus de 147 milliards d’euros par an, avec par exemple 50 000 AVC en plus » , estime Olivier Blond, président de BruitParif, l’organisme chargé d’évaluer le bruit en Île-de-France. Pire encore, on estime qu’à proximité immédiate des aéroports, les habitants perdent jusqu’à trois ans d’espérance de vie en bonne santé. « Les nuisances auditives peuvent engendrer des acouphènes, des surdités. Les nuisances qu’on appelle extra auditives, elles, perturbent le sommeil et donc le système hormonal, ce qui a un impact vasculaire (AVC, infarctus) ou de troubles métaboliques, comme le diabète et l’obésité. Le bruit, dès lors qu’il est régulier, a un vrai impact sur la santé« , poursuit Olivier Blond.
Évidemment, pour les autorités du milieu, diminuer le trafic aérien n’est pas à l’ordre du jour, surtout au moment où celui-ci est en pleine explosion après l’arrêt momentané du covid-19. À Orly, considéré comme un aéroport dans la ville, des promesses ont pourtant été faites. « On a négocié le renouvellement des avions. Mais Airbus ne peut répondre à son nombre de commandes. La seule solution, c’est de réduire une bonne fois pour toutes le nombre d’avion » explique Gérard Bouthier, adjoint au maire de Yerre et président de l’association de Défense des Riverains de l’Aéroport d’Orly. Il a réussi à obtenir la diminution de 6 décibels, ce qui doit diminuer par 4 l’énergie sonore émise. « Pour l’instant, ce n’est pas appliqué. AirFrance veut transférer ses vols vers Roissy, ce qui ne fera que déplacer le problème. Il faut un couvre feu de 22 heures à 6 heures, soit les 8 heures de sommeil recommandées par l’OMS. Et ce, pour les deux aéroports. » Pour Catherine Bouvier, tout le PPBE est à revoir : « Il est écrit noir sur blanc que le trafic va augmenter de 35%. Tous les vols retirés à Orly sont reportés sur Roissy. Il ne peut y avoir de diminution des nuisances si le nombre de vols croît. On considère ce plan illégal et avons intenté un recours en justice. » Elle réclame, comme à Amsterdam, une baisse du trafic de 10% et un couvre-feu, mesure acceptées par le gouvernement mais toujours non appliquées pour le moment.