Depuis quelques mois, Act Up-Paris se déchire autour du conflit au Proche-Orient: des militants veulent soutenir publiquement les Palestiniens, quand d’autres membres, juifs, ne se sentent plus les bienvenus et dénoncent des « propos antisémites ».
Depuis quelques mois, Act Up-Paris se déchire autour du conflit au Proche-Orient : des militants veulent soutenir publiquement les Palestiniens, quand d’autres membres, juifs, ne se sentent plus les bienvenus et dénoncent des « propos antisémites ».
Si cette crise est loin d’être la première dans l’organisation historique de lutte contre le sida, certains membres ou sympathisants d’Act Up-Paris interrogés par l’AFP (dix au total) décrivent une situation « éprouvante » et un collectif qui « ne va pas bien du tout ». Le 16 mars, le conseil d’administration, composé de quatre bénévoles, a même publié un communiqué pour dénoncer des « manifestations d’antisémitisme » à Act Up-Paris. « Même dans les associations entre guillemets de ‘gauchos’, il y a quand même un fond d’antisémitisme qu’il faut dénoncer », assure à l’AFP un membre du CA, sous couvert d’anonymat.
Un des épisodes s’est déroulé le 6 novembre quand un militant propose une ébauche de texte de soutien aux Palestiniens, pris sous le feu des bombardements israéliens dans la bande de Gaza, un mois après les massacres du 7 octobre en Israël perpétrés par le Hamas.
« J’ai pleuré »
« Nous ne sommes pas débarrassés de l’inutile culpabilité face au régime de Vichy », lit-on notamment dans ce document, consulté par l’AFP. Quand Eva Vocz, une femme juive de 31 ans et une des quatre salariés de l’association, ouvre ce courriel, « j’ai pleuré », témoigne-t-elle.
Elle se dit « profondément heurtée » de lire des « propos antisémites » dans une association de « lutte contre les discriminations ». Ce brouillon ne sera ni débattu ni publié. Elle recueille ensuite le témoignage d’un activiste d’Act Up-Paris, cible de menaces de mort accompagnées de croix gammées à la porte de son appartement.
« L’antisémitisme frappe tout le monde. Nous ne laisserons pas faire », dénonce-t-elle sur les réseaux sociaux, sur le compte Act Up-Paris, dans un contexte de forte hausse du nombre d’actes antisémites en France.
Mais certains militants, dont Françoise Gil, dénoncent une « instrumentalisation ». « Il n’est pas juif, ce n’était pas du tout un acte antisémite », affirme à l’AFP cette socio-anthropologue. Lors d’une réunion le 5 février à laquelle Eva Vocz assiste en visio, plusieurs militants s’en prennent à elle et à sa publication.
« La première chose à laquelle on devrait penser lorsqu’on voit une croix gammée à Act Up, c’est les déportés homosexuels », lance un militant, d’après le compte-rendu lu par l’AFP. Une autre assure que le Hamas est un « mouvement de libération ». Est également évoqué le militantisme de Mme Vocz au sein du collectif de juifs de gauche Golem. Deux membres du CA prennent la défense de la salariée.
« Je me suis quand même retrouvée face à une meute qui s’était organisée pour faire d’une réunion mon procès en double allégeance. Parce que c’est ça le ressort, c’est que je ne sers plus les intérêts d’Act Up mais ceux de l’Etat d’Israël », s’étonne Mme Vocz, en arrêt depuis mi-février.
« Je me suis dit: mais en fait, en tant que juif, on n’est pas bienvenu », comme « dans beaucoup de luttes à gauche en ce moment », s’émeut une sympathisante d’Act Up, de confession juive, qui a souhaité garder l’anonymat.
« Débordements verbaux »
En février, Françoise Gil est radiée d’Act Up-Paris. Lui est notamment reproché d’avoir traité Eva Vocz, dans son dos, de « sioniste ». « Antisioniste » revendiquée, Françoise Gil réfute tout antisémitisme.
« Dans ce cas de figure, c’était « sioniste » pour ne pas dire « juive » », lance Eva Vocz. « Dès qu’on a une sensibilité pour le génocide clairement qui se déroule à Gaza, on est taxé d’antisémitisme », déplore Mme Gil alors que plus de 32.900 personnes ont été tuées dans la bande de Gaza depuis le 7 octobre, selon le Hamas.
Au sein d’Act Up-Paris, réputé pour ses actions coups de poing, on s’inquiète de l’avenir d’une association qui a du mal à recruter et compte une quarantaine de militants dont une dizaine d’actifs. Son assemblée générale est prévue samedi. Dans ce contexte de tensions, les réunions publiques hebdomadaires ont été suspendues « pour éviter des débordements verbaux voire physiques », reconnaît Cecil Lhuiller, du CA, et certaines adhésions sont en suspens.
Les commentaires sur les réseaux sociaux se multiplient et deux publications venant d’une sympathisante visent nommément Eva Vocz. « Je ne laisserai plus place aux harcèlements », prévient la trentenaire.