De plus en plus nombreuses, la majorité des écoles juives expriment leur « caractère propre » tout en étant sous contrat d’association avec l’État. Aux familles juives, elles garantissent sécurité et transmission d’une identité. Leur caractère monoconfessionnel interroge cependant leur respect de la loi Debré.
Depuis le 7 octobre, une quarantaine d’élèves juifs du public ont rejoint leurs coreligionnaires sur les bancs de l’école juive. « Et les listes d’attente pour s’inscrire à la rentrée 2024 débordent », annonce Patrick Petit-Ohayon. Le directeur de l’action scolaire du Fonds social juif unifié (FSJU) est l’interlocuteur privilégié du réseau des écoles privées juives auprès du ministère de l’éducation nationale : c’est lui qui négocie chaque année la contractualisation de nouvelles classes. L’enseignement juif compte aujourd’hui 35 000 élèves et 74 % des classes sont sous contrat d’association avec l’État. Sur les 26 % restantes, la moitié est en attente de contractualisation.
L’arrivée de ces élèves, motivée principalement par des raisons sécuritaires, pose un double défi aux écoles juives. D’une part, la création de nouvelles classes, contractualisables au bout de cinq ans d’existence, pèse financièrement sur le réseau. D’autre part, l’accueil d’un public plus large, parfois plus éloigné de la religion, amène les écoles à concevoir des « passerelles », sortes de cours de niveau, pour rattraper les enseignements de « caractère propre » aux écoles juives.
Des écoles monoconfessionnelles
Ces heures d’enseignement de « caractère propre » – jusqu’à huit heures en primaire, cinq heures au lycée – sont au cœur du projet pédagogique des établissements juifs. « L’étude de la Bible, du Talmud requiert l’apprentissage de l’hébreu. Tout cela demande aux élèves du temps et de la rigueur », explique Patrick Petit-Ohayon. S’ajoute aussi une vie culturelle qui imprègne le quotidien et l’année scolaire des élèves : cantine casher, vendredi libéré pour shabbat, vacances au rythme des fêtes juives.
Comme tout établissement sous contrat, les « enseignements propres » ne peuvent pas être obligatoires. Dans les faits, « nous n’avons jamais été confrontés à une demande de dispense », assure le directeur de l’action scolaire. Même si les parents choisissent un établissement juif pour des questions de sécurité, « ils viennent aussi pour adhérer au projet de l’école », explique-t-il, et optent donc pour un établissement en phase avec leur engagement religieux.
À l’image du judaïsme français, l’offre scolaire et pédagogique est très diversifiée. Malgré tout, qu’il s’agisse d’une école ultra-orthodoxe ou d’un établissement tenant simplement d’un judaïsme culturel, tous ont un point commun : un public monoconfessionnel.
Des écoles intouchables ?
La loi Debré de 1959, qui encadre les établissements scolaires sous contrat d’association, est pourtant claire : la discrimination des élèves, sur la base de leur croyance, est interdite. « Je ne dis pas que certaines écoles n’ont pas opéré cette sélection sur ce critère de judéité, mais aujourd’hui, ce n’est pas la norme, assure le directeur. Et les rares élèves non juifs que nous voyons arriver ne maintiennent pas leur candidature quand ils prennent connaissance de l’organisation de l’école. »
Le caractère propre des écoles juives repousse-t-il alors naturellement les élèves non juifs ? Les écoles les plus orthodoxes parviennent-elles à ne pas amputer les enseignements généraux ? « En théorie, la loi Debré n’est pas une contrainte pour l’expression du caractère propre des écoles juives, estime Martine Cohen, sociologue du judaïsme. Mais son application demande à être regardée de près. Or, il est très difficile d’entrer dans ces écoles. »
La difficulté n’est pas réservée aux sociologues. Dans les rangs des inspecteurs, il semble qu’une consigne officieuse circule : éviter l’inspection des écoles juives. « Si l’État se met à contrôler, il risque d’exposer une contradiction entre son discours intransigeant sur la laïcité et une loi très accommodante et très généreuse financièrement avec l’enseignement confessionnel », constate Stéphanie Hennette-Vauchez, chercheuse en droit public et autrice de L’École et la République. La nouvelle laïcité scolaire (Dalloz).
Alix Champlon