Endetté à hauteur de 60 milliards d’euros, l’homme d’affaires va réduire comme il l’avait promis une partie de la pression financière. D’autres opérations sont sans doute à venir.
Comme souvent, Patrick Drahi a pris tout le monde à revers. Depuis des mois, à la question qui lui était régulièrement posée sur la vente de son pôle média constitué notamment de BFMTV et RMC, son état-major ne cessait de répéter le même mantra : « Altice Média n’est pas à vendre ». Reste que le milliardaire, financier avisé mais endetté à hauteur de 24 milliards d’euros pour son entité française (et 60 milliards d’euros pour l’ensemble d’Altice), sait qu’une bonne opportunité se présente rarement deux fois.
À ce titre, la proposition de Rodolphe Saadé, propriétaire de l’armateur CMA-CMG, de valoriser 1,55 milliard d’euros les activités médias d’Altice était trop belle pour être éconduite. Le prix de l’offre représente 14 fois le résultat d’exploitation réalisé par Altice Media en 2023 (112 millions d’euros). Si pendant un temps Patrick Drahi a espéré jusqu’à 2 milliards pour ces activités, la valorisation reste très généreuse pour un groupe de médias, en comparant avec les capitalisations boursières de TF1 et M6, par exemple.
La vente de cet actif n’en constitue pas moins un tournant dans la vie de l’homme d’affaires. Depuis 30 ans, Patrick Drahi s’est constitué un empire dans les télécoms et les médias en réalisant des acquisitions par l’endettement (LBO), mais il a historiquement toujours eu plus de mal à se défaire de ses prises de guerres. Début septembre, après un été particulièrement chaotique marqué par un scandale de corruption touchant son groupe au Portugal et la défiance des marchés obligataires, Patrick Drahi avait néanmoins promis de désendetter son groupe via des cessions. « Tout est ouvert… C’est juste une question d’offre et de demande », martelait-il.
Pas de synergie entre médias et télécoms
Avec la cession d’une partie de ses data centers à Morgan Stanley fin novembre, le milliardaire avait fait un premier pas. La vente de BFM et de RMC est néanmoins une opération de bien plus grande envergure. Il touche de surcroît à un actif dont le patron d’Altice France, Arthur Dreyfuss, disait lui même qu’il avait une place spéciale dans la galaxie du milliardaire. « Patrick Drahi fait l’analyse très rationnelle qu’il n’y a plus d’intérêt d’être à la fois dans les médias et les télécoms, car il n’y a pas de synergie entre les deux», indique Franck Abihssira, associé chez Emerton et expert de l’industrie des télécoms et des médias.
Du point de vue financier, cette opération estimée à 1,55 milliard d’euros ne règle évidemment pas du tout le problème d’un groupe qui a encore 24 milliards d’euros à rembourser dans ses comptes. En revanche, elle permettra d’adresser les deux prochaines maturités de dette prévues pour l’entité, de 1,6 milliard d’euros en 2025 et 1,25 milliard en 2026. Plus importante encore, elle crédibilise l’opération de désendettement de l’homme d’affaires, alors que certains banquiers émettaient jusqu’à peu l’idée que Patrick Drahi agitait la vente d’actifs auprès des marchés sans réelle intention de les céder.
« Sur les marchés obligataires, la maturité de la dette d’Altice France en 2028 est passée de 50% à 65% de sa valeur faciale, ce qui veut dire que les marchés sont bien plus confiants à l’idée qu’elle sera remboursée», assure Matthieu Bailly, directeur général délégué et gérant obligataire chez Octo AM. De la même façon, les obligations pour 2025 et 2026, qui étaient inquiétantes d’un point de vue de la liquidité, le sont beaucoup moins». Selon cet expert du risque crédit, cette vente également « rassurer les créanciers sur le fait que Patrick Drahi sait vendre des actifs et à un très bon prix ».
D’autres opérations à venir
La cession du pôle média n’est pas le seul dossier chaud dans l’Hexagone. Depuis le mois de septembre, des rumeurs de marchés évoquaient tantôt l’entrée d’un minoritaire au capital de SFR, tantôt la cession des 50% que détient Altice dans l’opérateur d’infrastructure XPFibre, dont il espère récupérer jusqu’à 10 milliards d’euros. Après avoir nécessité beaucoup d’investissement ces dernières années à cause du déploiement de la fibre, il devrait commencer à dégager de la trésorerie dès l’année prochaine.
Le scénario d’une vente inquiète les organisations syndicales : « Elle acterait le démantèlement du groupe et son existence à moyen terme. XPFibre est une entité qui va remonter beaucoup de cash dans les deux trois prochaines années», prévient Olivier Lelong, délégué syndical central CFDT. Le syndicaliste espérait que la vente du pôle média, qui va donner «un peu d’air au groupe et la capacité à discuter avec les créanciers», permettrait de mettre fin au projet de vente de XPFibre.
« La cession du pôle média, c’est 1,5 milliard d’euros donc cela n’est pas rien mais ne représente qu’un mois de chiffre d’affaires de SFR, tranche un proche du dossier. Toutes les options restent sur la table». Au rang des cessions, Altice doit également prendre une décision quant à La Poste Mobile. Actionnaire à hauteur de 49% de cette entité dont La Poste (qui détient 51%) veut se désengager, l’opérateur SFR peut reprendre l’actif ou au choix, vendre sa part à Bouygues Telecom. Ce dernier est très intéressé pour récupérer le morceau et pourrait donner près d’un demi-milliard d’euros pour les 49% de SFR. Selon cette même source, le groupe devrait en dire plus à partir mi-avril sur l’ensemble de ces dossiers. Chez Altice, la saison des ventes ne fait sans doute que commencer.