Le président de l’Union des étudiants juifs de France, Samuel Lejoyeux, revient sur les débats de plus en plus virulents autour du conflit israélo-palestinien dans les universités françaises.
Président de l’Union des étudiants juifs de France (UEJF), Samuel Lejoyeux s’inquiète du climat qui s’installe dans les universités françaises. Comme le montreraient les incidents qui ont eu lieu cette semaine à Sciences-Po Paris, les débats sont de plus en plus virulents sur le conflit israélo-palestinien.
Les incidents à Sciences-Po Paris ont pris une tournure nationale. Est-ce utile pour combattre l’antisémitisme à l’université ?
Les réactions du président de la République et du Premier ministre étaient légitimes, car ce qui s’est passé à Sciences-Po est représentatif d’un phénomène qui touche beaucoup d’universités. Ce n’est pas hélas suffisant. Une violente offensive a lieu depuis quelques semaines, qui vise à faire taire le débat et qui nous vise nous physiquement, étudiants juifs.
L’affaire la plus grave s’est produite il y a un mois sur le campus de droit de l’université de Strasbourg. Trois étudiants de l’UEJF collaient des affiches avec les visages des otages détenus à Gaza et ils ont été passés à tabac aux cris de «fascistes sionistes». C’est l’acte le plus violent dont nous avons eu connaissance. Ce terrible événement n’a pas fait grand bruit, il faut bien le dire.
Elle le demeure. L’université de Nanterre fait partie des endroits où règne une atmosphère insupportable d’antisémitisme. Les discours qui qualifient Israël d’Etat génocidaire créent une pression sur les étudiants juifs, systématiquement accusés de le soutenir. Ces étudiants se sentent marginalisés, «cornérisés». Comme si être juif était honteux, comme s’ils devaient porter tout le poids de ce qui est commis par le gouvernement israélien. A Nanterre, il y a une responsabilité directe de LFI. Le 10 octobre, Antoine Léaument, le député LFI tenait un meeting sauvage à l’université. Il affirmait qu’Israël avait une attitude terroriste.
Il y a d’autres universités qui vous paraissent problématiques ?
C’est assez largement diffusé. Il y a deux critères qui font qu’une fac est plus ou moins problématique. Le premier, c’est la capacité ou non de la direction à être d’une extrême fermeté vis-à-vis de l’antisémitisme. Le deuxième critère, c’est la présence de l’extrême gauche. C’est malheureux, j’en conviens, mais c’est elle qui a fait le choix de ne pas condamner le terrorisme du Hamas et de ne pas condamner l’antisémitisme.
Cet antisémitisme se manifestait-il à l’université avant l’attentat du 7 octobre ? Pouvez-vous évaluer ce qui s’est passé après les attaques du Hamas ?
Nous avions commandé un sondage à l’Ifop que nous avons eu le 29 septembre. Selon les résultats, 91 % des étudiants juifs affirmaient avoir expérimenté l’antisémitisme durant leur scolarité. Les trois semaines qui ont suivi le 7 octobre, environ 100 appels nous parvenaient chaque jour. C’étaient des étudiants qui avaient peur de se rendre en cours. Ces derniers temps, le niveau de violence est encore monté. A Lille, une étudiante a fait une tentative de suicide et a été placée en hôpital psychiatrique. Un harcèlement antisémite était le point de départ de sa souffrance. Quand on est identifié comme juif, on devient comptable de ce qui se passe en Israël. Cette essentialisation est très difficile à vivre. Pourquoi demander systématiquement à des étudiants juifs d’avoir une opinion sur le conflit israélo-palestinien ? Cela peut devenir une pression insupportable. Il y a des affirmations qui font croire à un génocide à Gaza, et d’autres qui assimilent les juifs au gouvernement israélien. Ce sont deux manipulations qui désignent tous les étudiants juifs comme cibles.
Comment peut-on lutter contre cela ?
D’abord rappeler que nous avons tous le droit d’exprimer nos désaccords dans les débats et de ne pas être inquiétés physiquement pour cela. Ensuite lutter contre l’accusation calomnieuse de génocide. Et puis reconnaître que le surcroît de violences à l’endroit des juifs de la part de ceux et celles qui croient défendre la cause les Palestiniens est une forme d’antisémitisme.
Le Conseil représentatif des institutions juives de France demande la création d’une commission d’enquête parlementaire sur l’antisémitisme dans l’enseignement supérieur. Qu’en pensez-vous ?
C’est une bonne initiative. Mais pour nous, les questions portent sur notre sécurité, ici et maintenant. Ce climat de chasse à l’autre a assez duré. Tous les responsables politiques doivent appeler au calme. L’autre point central est de reconnaître que ce qui s’est passé, mardi 12 mars, à Sciences-Po n’est pas un cas isolé.
Jean-Luc Mélenchon a qualifié de fake news les incidents qui ont lieu à Sciences-Po. Que lui répondez-vous ?
C’est d’une extraordinaire irresponsabilité à l’image de son comportement depuis le 7 octobre ! L’étudiante qui a témoigné est courageuse. La traiter de menteuse, c’est opérer un retournement : la victime devient le bourreau. Quand les juifs sont victimes de haine, ils sont les seuls aux yeux de Jean-Luc Mélenchon à ne pas mériter de compassion. Il a jeté cette étudiante en pâture à toute sa promotion. Ce qui est irresponsable, c’est que face à des violences et quelle que soit l’opinion qu’on puisse avoir, Jean-Luc Mélenchon et ses amis n’appellent ni au calme ni ne condamnent.
Le président du Sénat, Gérard Larcher, incriminait, lui, le «wokisme» sur France 2. Qu’en pensez-vous ?
Ce sont des mots. Les étudiants juifs, eux, ont des bras et des jambes. Il faut se concentrer sur l’essentiel, être dans le concret, condamner cet antisémitisme-là. Il faut soutenir les étudiants juifs qui sont attaqués parce qu’ils sont juifs, les étudiants noirs qui sont attaqués parce qu’ils sont noirs, les étudiants maghrébins qui sont attaqués parce qu’ils sont maghrébins.
par Bernadette Sauvaget