France 2 diffuse le dernier chapitre de sa collection phare, inspirée de l’œuvre de la reine du crime britannique. L’occasion de revenir sur l’histoire de cette comédie policière déjà culte.
La mort leur allait si bien… Et pourtant, après 3 saisons et 48 épisodes de trépas criminels en tout genre et autant de réjouissantes investigations, Les Petits Meurtres d’Agatha Christie tireront leur révérence au terme de l’ultime enquête, diffusée ce vendredi 8 mars sur France 2. La fin d’une aventure de quinze ans qui a tué la morosité des téléspectateurs en embrassant les joies de la comédie policière en costume, librement adaptée de l’œuvre de la romancière britannique. Et en célébrant avec succès le mariage jubilatoire du whodunnit à l’anglaise et de la fantaisie à la française.
Car l’histoire d’amour a été « bénie » par Matthew Prichard, le petit-fils et ayant droit de l’autrice, qui a offert pour ces noces un cadeau exceptionnel : le droit de revisiter ses romans sans ses célèbres héros. Les Petits Meurtres ont donc donné congé à Hercule Poirot et à Miss Marple pour engager des détectives français… d’abord à l’essai.
Un pilote et trois saisons couronnées de succès
En 2006, le commissaire Larosière (Antoine Duléry) et l’inspecteur Lampion (Marius Colucci) ont ainsi bouclé leur première enquête dans Petits meurtres en famille (un pilote de quatre épisodes) devant 7,6 millions de curieux. De quoi convaincre France 2 de lancer une nouvelle série, désormais intitulée Les Petits Meurtres d’Agatha Christie. Avec succès. Ouverte en 2009, la saison 1, qui envoyait ces mêmes policiers traquer les criminels dans les années 1930, a en effet séduit 4,9 millions de fidèles en moyenne.
Changement d’époque mais même réussite pour le deuxième chapitre, commencé en 2013. 4,6 millions de curieux ont alors découvert – et plébiscité – les irrésistibles enquêtes à l’aube des sixties de la journaliste Alice Avril (Blandine Bellavoir), du commissaire Laurence (Samuel Labarthe) et de sa secrétaire Marlène (Élodie Frenck). À tel point qu’en 2020, les Petits Meurtres se hissaient sur la troisième marche des séries préférées des Français, juste derrière La Casa de Papel et Game of Thrones !
Le troisième volet, qui a installé un nouveau trio dans les flamboyantes années 1970, n’a pas démérité. Depuis 2021, la commissaire Gréco (Émilie Gavois-Kahn), l’inspecteur Beretta (Arthur Dupont) et la psychologue Rose Bellecour (Chloé Chaudoye) ont en effet convaincu 4,2 millions de fans dans l’Hexagone. Sans compter le public à l’étranger, la série ayant été vendue dans plus de 120 territoires (dont les États-Unis, la Chine et le Japon) depuis ses débuts.
« Toutes les bonnes choses ont une fin »
Pourquoi, dès lors, avoir actionné le clap de fin ? « France 2 était partante pour continuer. Mais nous étions arrivés au bout de notre inspiration », justifie Sophie Révil, la productrice de la série (Escazal Films). Il restait pourtant des textes de la très prolixe reine du crime (66 romans, 154 nouvelles) à explorer : « Tous n’ont pas la même force et certains sont difficilement adaptables », continue celle qui a obtenu de James Prichard, l’arrière-petit-fils d’Agatha Christie, l’autorisation d’imaginer des scénarios originaux, « à la manière de » : « Malgré tout, en 48 films, nous avons exploré toutes les pistes. Et comme le dit le proverbe, toutes les bonnes choses ont une fin. »
L’autre raison de l’arrêt est économique : « Les téléfilms étaient chers à fabriquer. D’un côté, tout augmentait alors que, de l’autre, les budgets de France Télévisions baissaient. Nous ne voulions pas les produire au rabais. » La baisse, relative, des audiences a fini par entériner la décision : « C’était un peu décourageant, même si cela correspond à l’éparpillement du public sur les plateformes. » Cependant, certaines d’entre elles hébergent ou ont hébergé la collection, attestant de sa popularité préservée.
Les Petits Meurtres d’Agatha Christie, la comédie avant le polar
Les Petits Meurtres d’Agatha Christie font en effet partie du patrimoine sériel français. Ils le doivent à leur ADN unique, qui emprunte d’abord au génie de l’autrice : « Ses histoires sont diaboliques, elles “jouent” avec nos nerfs et nos neurones… Cet esprit ludique se retrouve dans la série », explique la productrice. En témoigne notamment le générique, façon Cluedo, promesse d’un excellent polar à déguster en famille.
Le succès de la série tient ensuite à sa formule hybride jusqu’alors inédite : « Il y a toujours eu un peu d’humour dans les polars. Mais, nous, on a placé la comédie avant l’aspect policier. En 2009, personne ne le faisait. On a proposé au public un nouveau genre ! » Et lancé une « mode » qui habille depuis nombre de fictions, HPI, sur TF1, en tête.
Le cocktail est d’autant plus divertissant qu’il s’appuie sur des personnages savoureux. Leurs travers excessifs – la ridicule prétention de Larosière, la naïveté confinant à la bêtise de Marlène, le machisme primaire de Beretta – alimentent leurs interactions cocasses – et des séquences impayables. Ils permettent aussi de souligner, avec une rafraîchissante irrévérence, certains comportements qui n’appartiennent pas toujours au passé.
Dernier atout : la qualité des décors et costumes pour une reconstitution certes fantasmée mais soignée des différentes époques : « On a créé un univers visuel extraordinaire, et je ne vois pas d’autres exemples de ce point de vue là », se félicite Sophie Révil, qui tient à souligner le travail de toutes les équipes techniques, originaires pour la plupart des Hauts-de-France, où la série est tournée.
Ce n’est qu’un au revoir
Pour elles, l’annonce de l’arrêt est tombée comme un couperet. La productrice regrette de ne pas avoir anticipé la fin : « Quand nous avons pris la décision, les derniers scénarios étaient déjà écrits, explique-t-elle. On n’a donc pas réalisé de vrai épisode final. Mais on a tout fait vivre à nos personnages. Je ne sais pas ce que nous aurions pu imaginer de plus fou ! »
Les héros sont en effet morts avant de revenir à la vie, ils se sont découvert des jumeaux machiavéliques, sont devenus mannequin, acteur ou guitariste d’un groupe de rock.
Mais l’opus que Sophie Révil chérit entre tous, reste Un cadavre au petit déjeuner, la comédie musicale qui a clos la saison 2 : « Tout le monde a travaillé d’arrache-pied pour apprendre le chant, la danse et offrir un beau spectacle. C’était merveilleux. J’ai pleuré à la fin du tournage. » Ce soir, ce sont les fans qui verseront peut-être quelques larmes au moment de dire adieu à cette série si attachante. À moins que ce ne soit un au revoir, comme le prédit Sophie Révil : « Elle fait partie de ces programmes indémodables, qui traverseront les années et seront rediffusés… »