Les jeunes français juifs n’ont connu que l’antisémitisme, la peur et la violence, regrette l’essayiste. Face à cette haine, ni l’école de la République, ni le pays des Lumières ne semblent plus assez puissants pour faire d’eux des citoyens comme les autres, ajoute-t-elle.
«Les jeunes pensent que…», «Les jeunes veulent que…», «Les jeunes aimeraient que…» : voilà la notion magique que les politiques arborent fièrement à chaque campagne, faisant croire à une proximité avec notre jeunesse dont ils s’approprient un peu de leur superbe à l’eau de jouvence. Or, loin des déplacements séquencés aux finalités électoralistes, à l’instar des «vraies gens» à qui l’on offre gracieusement des éléments de langage, nous avons à la maison de «vrais jeunes», des jeunes faits de chair, de sang et dont le cœur est en mille morceaux, déjà… alors que nés autour de 2005, et qu’ils n’ont pas encore 20 ans.
Toute leur petite enfance, leur enfance, leur adolescence, et jusqu’à leur passage à l’âge adulte a été marqué par l’antisémitisme, la peur et la violence. Face à cette haine permanente et montante, ni l’école de la République, ni le pays des Lumières ne semblent plus assez puissants pour faire d’eux des citoyens comme les autres. Ils avaient un an lorsqu’Ilan Halimi a été retrouvé mort après 40 jours de torture par le «gang des barbares». Peut-être se souviennent-ils, entre «une cuillère pour papa, une cuillère pour maman», d’avoir vu leurs parents pleurer.
En 2012, ils avaient 7 ans, lorsqu’il a fallu faire une minute de silence dans la cour, la maîtresse expliquant que des individus étaient entrés dans une école pour tuer des enfants juifs. Et c’est ainsi, alors qu’ils n’avaient que 7 ans, que leurs parents ont été devancés par l’attentat islamiste de Toulouse. Devancés par le drame, nous n’avons même pas pu transmettre en paix à nos enfants ce qu’est être juif, si ce n’est que de raconter les douleurs ancestrales et de rassurer celles du présent. Et s’il y a des militaires à l’entrée des écoles, c’est, au fond, pour nous protéger, parce qu’on nous aime bien.
Ils avaient 10 ans, lors de l’attentat islamiste de l’Hyper Cacher, porte de Vincennes. 10 ans, ce 9 janvier 2015 où nous aussi, nous avions acheté innocemment des boulettes ou du hareng. Ils avaient 12 ans, en 2017, lorsqu’il a fallu expliquer l’assassinat de Sarah Halimi puis de Mireille Knoll. Ce devait être des bouffées délirantes, mais «ne vous inquiétez pas les enfants». Ils avaient 14 ans lorsque la mode des «quenelles» et autres ricanements de la Shoah ont commencé. Ils avaient 16 ans, en 2021, lorsqu’April Benayoum, dauphine de Miss France est insultée sur les réseaux sociaux, non pas pour son esthétique mais parce que son père est israélien. Non, mais «ne vous inquiétez pas, les enfants, ce n’est pas juif, c’est israélien». Nuance !
Ils avaient 17 ans au moment du Covid, où des pancartes «anti-pass» et «anti-vax» brandissaient le slogan «Mais qui ?» et que la réponse à cette question concernait les Juifs. Non, mais «ce sont des fous, ne vous inquiétez pas les enfants». Sinon, ça avance les révisions pour le bac ? Ils avaient 18 ans en août 2023, lorsque les ricanements de l’été sur leurs arrière-grands-pères venaient des influenceurs haine. Oui, les enfants, vous êtes en âge maintenant, ils font qu’on parle…
Et, puis deux mois plus tard, ce sont les parents qui ont commencé à se poser des questions. Peut-on être juif et avoir 18 ans après le 7 octobre 2023 ? Nos enfants n’ont plus leur âge, en tout cas pas celui de l’insouciance. L’antisionisme botox de l’antisémitisme a fait vieillir leur âme. Ils ont changé leur nom sur Heetch et Uber, ils ont abandonné la fac colonisée par les «free Palestine», les mettant en apartheid, préférant soutenir la «résistance» du Hamas. Ce 1er mars 2024, ils n’ont pas encore 20 ans et apprennent qu’un monsieur, qui aurait pu être leur grand-père s’est fait agresser en pleine rue du XXe arrondissement de Paris pour shabbat. «Sale juif», voilà leur leçon de vie, depuis petits.
Parents, nous vivons avec eux et leurs regards, dans lequel nous retrouvons les silences de nos grands-parents apatrides revenus des camps. Dans d’autres séquences politiques, il paraît que l’attention aux générations futures dans le cadre de l’écologie et d’un développement durable est une priorité ? Mais pour nos enfants, depuis la naissance, le présent rime avec douleur d’un autre temps. Alors, demain, ils ne l’envisagent pas vraiment.
Pourtant, en tant que parents, nous n’avons jamais cessé de leur dire de relever la tête, de leur rappeler que la France est toujours aux côtés de ses enfants, que c’est même écrit dans la Marseillaise et que «ça ira, ça ira», alors que nous n’y croyons presque plus. On ne peut pas mentir aux enfants de cette République, les bien nommés 2005, qui au lieu d’en faire des citoyens éclairés, en a fait des citoyens de l’ombre au judaïsme clandestin.
Rachel Khan est juriste, scénariste, actrice et écrivain. Elle a publié Racée (L’Observatoire, 2021).