Défendue par la frange la plus radicale de l’Etat hébreu, l’idée d’un retour des colonies dans la bande de Gaza fait son chemin dans la société israélienne.
Il a conservé la clé de sa maison du Goush Katif. Et aussi la porte qui va avec. « Lorsque nous avons été expulsés de notre village, Ganeï Tal, mes garçons ont démonté la porte d’entrée pour la remonter dans la villa où nous vivons. Et quand nous retournerons habiter là-bas, nous rapporterons la porte avec nous. » D’une voix calme et grave, Shlomo Wasserteil rêve tout haut au grand soir, celui du retour au Goush Katif, le groupe de colonies démantelées par Ariel Sharon à l’été 2005. Sa famille et lui faisaient partie des quelque 7 000 juifs installés au cœur de la bande de Gaza depuis les années 1980. Des Israéliens souvent pratiquants, en majorité agriculteurs ou enseignants, viscéralement attachés à cette bande de terre sablonneuse qui s’étirait entre Khan Younès et Rafah. « Quand nous sommes arrivés, la région n’était pas ce repaire de terroristes que le Hamas en a fait. Nous nous entendions à merveille avec nos voisins arabes. Tout s’est dégradé avec les accords d’Oslo [NDLR : en 1993] et l’arrivée d’Arafat et de sa bande d’assassins », déplore Shlomo Wasserteil.
Depuis le retrait de 2005, ce jeune grand-père rencontre régulièrement les anciens du Goush Katif pour parler du bon vieux temps et prier pour un miracle qui les ramènerait là-bas. « Avant le 7 octobre, la perspective du retour nous paraissait floue, irréelle. Aujourd’hui cela prend un tour beaucoup plus concret, nous sentons que l’heure se rapproche », assure Shlomo.
Avant le 7 octobre 2023, Shlomo Wasserteil appartenait à une infime minorité d’illuminés messianistes, déconnectés du réel. Aujourd’hui, il peut revendiquer sans mentir le soutien d’une partie significative de l’opinion israélienne. Selon un récent sondage, la recolonisation de Gaza recueillerait l’assentiment d’un quart à un tiers de l’électorat. Chez les sympathisants de droite, ce chiffre atteint les 44 %. « Nous sommes désormais soutenus par des hauts responsables du Likoud, s’enthousiasme Boaz Haetzni, l’un des animateurs du mouvement pour la recolonisation de Gaza. Ils sentent un puissant mouvement d’opinion en notre faveur et prennent le train en marche. Cela nous réjouit et nous donne beaucoup d’espoir. »
La réparation d’une erreur historique
Le 28 janvier dernier, Haetzni a participé à l’organisation d’une vaste conférence au Palais des nations à Jérusalem autour du slogan : « Seules les implantations apportent la paix. Retourner dans la bande de Gaza et au nord de la Samarie. » Dans une ambiance survoltée, un bon millier de participants a écouté des ténors de la droite et de l’extrême droite leur promettre le retour des colonies israéliennes dans la bande de Gaza. Parmi eux, les figures de proue de l’ultranationalisme israélien, tel Bezalel Smotrich, le ministre des Finances, Itamar Ben-Gvir, le ministre de la Sécurité intérieure ou encore Yossi Dagan, le bouillonnant chef du conseil des implantations, très influent au sein du Likoud. Mais aussi des caciques bon teint de ce parti, comme le ministre du Tourisme Haïm Katz.
Pour ses partisans, la recolonisation de Gaza signifie la réparation d’une erreur historique, mais surtout la garantie de la sécurité d’Israël à l’avenir. Dans leur lecture des événements, les massacres du 7 octobre découlent directement du retrait de 2005. Si les colons étaient restés vivre à Gaza, Tsahal aurait été contrainte de maintenir une présence massive dans l’enclave palestinienne – un soldat pour trois colons à l’époque – et le Hamas n’aurait jamais pu bâtir une telle infrastructure militaire. « Les implantations civiles obligent l’armée à les protéger et à pénétrer dans les fiefs des terroristes pour empêcher les attaques, argumente Boaz Haetzni. Lorsque nous étions à Gaza, le sud du pays vivait dans une relative sécurité. En quittant Gaza, nous avons perdu le contrôle sécuritaire et nous avons permis au Hamas de commettre ces massacres effroyables. »
Ce sexagénaire sec et énergique vit à Kiryat Arba, une colonie historique située à la lisière d’Hébron, au sud de la Cisjordanie. Dans ce territoire où les Israéliens représentent désormais un quart de la population totale, les attaques palestiniennes restent contenues et débordent très rarement vers l’intérieur de la ligne verte. « Nous sommes entourés par plusieurs centaines de milliers d’Arabes d’Hébron et de son agglomération, indique Haetzni en désignant la plus grande ville palestinienne de Cisjordanie qui jouxte sa colonie. Nous ne sommes séparés par aucun mur. Nous subissons parfois des attentats, mais jamais nous n’avons connu une attaque d’une ampleur comparable à celle du 7 octobre. »
« Cette crise est une opportunité pour les partisans de la colonisation »
La colonisation, rempart de l’Israël de l’intérieur ? La thèse n’est pas nouvelle, mais les massacres du 7 octobre lui ont donné un nouveau souffle. Les partisans de la colonisation serinent partout que chaque retrait territorial israélien (à Gaza en 2005, mais aussi au Sud-Liban en 2000) a laissé le champ libre à des milices terroristes prônant la destruction d’Israël. « Les partisans de la colonisation voient cette crise comme une opportunité, se désole Yehuda Shaul, une figure du mouvement anticolonisation. Ils vont de plus en plus loin et aggravent le conflit. Développer les colonies à Gaza ou en Cisjordanie ne contribuera pas à notre sécurité. Cela nous obligera simplement à renforcer encore davantage notre contrôle sur les Palestiniens. »
Une perspective qui ne semble pas effrayer particulièrement Benyamin Netanyahou. Le 18 février, le Premier ministre a fait voter par son cabinet ministériel une motion signifiant le refus catégorique de la création d’un Etat palestinien, exigée par les Etats-Unis. Parallèlement, il intensifie la colonisation en Cisjordanie. Un expansionnisme territorial désormais parfaitement assumé.
1. « La Palestine est une invention’ : Yasser Arrafat1965.
2. Comment coloniser son propre pays ?