La presse israélienne avance que les Houthis, une milice soutenue par l’Iran, auraient endommagé des câbles sous-marins dans la mer Rouge, au large du Yémen. Depuis longtemps, la zone est considérée comme sensible pour la sécurité de ces infrastructures, qui transportent un pan important du trafic Internet.
La guerre entre Israël et le Hamas a parfois des répercussions qui vont bien au-delà de la géographie du Proche-Orient. On l’a vu au Yémen, situé à plus de 1 700 km de la bande de Gaza. Les Houthis ont ainsi tiré des missiles sur Israël. Ils ont aussi perturbé la navigation des bateaux voguant sur la mer Rouge et le golfe d’Aden. Plusieurs attaques ont atteint des navires accusés de se rendre dans les ports israéliens.
Après des actions par les airs et des opérations sur la mer, notamment via des drones, une nouvelle étape est peut-être en train d’être franchie, cette fois sous les océans. D’après une information du quotidien financier israélien Globes, reprise par The Jerusalem Post, quatre câbles sous-marins auraient été endommagés par cette faction armée, qui contrôle un large pan du pays, dans l’ouest du Yémen, dont Sanaa, la capitale.
Quatre câbles auraient été affectés
Ces attaques se seraient déroulées quelque part entre la ville saoudienne de Djeddah et Djibouti, en Afrique de l’Est. Entre ces deux localités, qui sont chacune sur un rivage de la mer Rouge, il y a plus de 1 100 km d’écart. Par endroits, les deux côtes sont particulièrement proches. Le détroit de Bab-el-Mandeb est large d’à peine 27 km en son point le plus étroit. Quant à sa profondeur, elle n’est « que » de 310 m.
Or, Bab-el-Mandeb est un point de passage clé pour nombre de câbles sous-marins reliant l’Europe à l’Inde et, plus généralement, au reste de l’Asie. Certaines de ces infrastructures profitent également à d’autres pays bordant la Méditerranée, que ce soit au Maghreb ou au Proche-Orient. Une partie d’entre eux bénéficie aussi indirectement à Israël, via des points de raccordement dans le golfe d’Aqaba.
Selon le site Submarine Cable Map, qui propose une cartographie de tous les câbles sous-marins dans le monde, il y a 17 liaisons qui traversent le détroit de Bab-el-Mandeb. Plusieurs raccordements au départ et à l’arrivée de certaines villes bordant la mer Rouge existent aussi : à Neom, Yanbu et Djeddah pour l’Arabie saoudite, Port-Soudan pour le Soudan, ou encore Al Hudaydah, Mocha et Aden pour le Yémen.
Toujours selon Globes, les câbles endommagés seraient ceux dirigés par AAE-1, Seacom, EIG et TGN.
- AAE-1 (Asia Africa Europe-1) est un câble long de 25 000 km qui relie la Chine à la France, en incluant plusieurs pays du sud-est asiatique, et par ailleurs l’Inde, le Pakistan, la péninsule arabique, l’Égypte, la Grèce et l’Italie.
- Seacom est étendu de 15 000 km et longe l’Afrique par l’est, depuis l’Afrique du Sud, en remontant par la Tanzanie et le Kenya. Une autre branche relie l’Inde. Le câble se termine en Égypte.
- EIG (Europe India Gateway) suit une trajectoire assez similaire à AAE-1. Long de 15 000 km, il connecte l’Inde, Oman, les Emirats arabes unis, Djibouti, l’Arabie Saoudite, l’Egpte, la Libye, la France, le Portugal et remonte jusqu’à l’Angleterre.
- TGN partage la même installation que Seacom. Les deux entreprises se partagent l’infrastructure selon des modalités géographiques précises.
Selon la presse israélienne, l’endommagement de ces câbles, s’il est avéré, n’a visiblement pas eu d’incidence sur les communications transcontinentales. Les journaux évoquent la possibilité de rediriger le trafic sur d’autres liaisons, que ce soit au niveau de la mer Rouge, ou ailleurs : avec un détour par le sud de l’Afrique, par exemple. D’autres voies pourraient aussi être empruntées, via les Amériques.
Les contours des attaques rapportées par Globes restent flous. Les incidents, rapportés le 26 février, se seraient passés sur une période de temps assez longue (il est question d’attaques ayant eu lieu « au cours des derniers mois »). Cependant, cette affaire rappelle le rôle critique des câbles sous-marins dans les télécommunications. La grande majorité du trafic Internet passe par ces installations.
Les interruptions, si elles ont eu lieu, n’ont pas eu l’effet d’une panne géante, qui aurait plongé un pays ou une région dans un blackout massif. Rien de tel, en tout cas, n’a été signalé ces derniers temps. Il y a certes régulièrement des défaillances ponctuelles, des censures localisées ou des actes de malveillance. L’organisation NetBlocks documente d’ailleurs tous les incidents de connexion de par le monde.
On sait que des perturbations ont déjà affecté ces « épines dorsales » du net, y compris à d’autres endroits du globe. En Guyane et à St-Barthélémy, par exemple, mais également en Europe du Sud. Concernant la mer Rouge, il a été rapporté par NetBlocks un incident récent, autour du 25 et 26 février. Le trouble a ponctuellement nui à la connectivité de Djibouti, selon le graphique partagé par l’ONG.
« Confirmé : Les mesures montrent une perturbation de la connectivité du réseau au centre de données de Djibouti qui relie les stations d’atterrissage du pays ; l’incident survient alors que les médias israéliens rapportent que quatre câbles sous-marins traversant la mer Rouge, y compris Seacom, ont été pris pour cible par les rebelles houthis », peut-on lire dans le tweet écrit le 26 février.
Une menace pas nouvelle sur les câbles sous-marins
La menace planant sur les infrastructures déposées sur le plancher océanique n’est pas un nouveau problème. En 2020, Business Insider disait que des agents des services de renseignement russes se seraient rendus en Irlande pour inspecter des câbles sous-marins. Trois ans plus tard, il a été rapporté par La Tribune que le câble de télécommunications entre l’Estonie et la Suède a été endommagé par « une force extérieure ».
Il est même possible de remonter encore plus loin. En 2013, trois hommes munis de matériel de plongée ont été arrêtés en Méditerranée, au large d’Alexandrie, en Égypte. Comme le rappelait Libération à l’époque, ils ont été accusés d’avoir coupé un câble internet. Or, notait The Guardian le 5 février, il est estimé que près de 17 % du trafic Internet mondial franchit la mer Rouge.
Avec la situation au Proche-Orient, et la riposte militaire implacable de l’armée israélienne sur le Hamas, l’institut américain Gulf International Forum écrivait le 29 janvier 2024 que « la prochaine victime des attaques de la mer Rouge » pourrait bien être « les câbles sous-marins », en raison de la sympathie des Houthis pour le Hamas, et de son hostilité pour l’État d’Israël.
« Le Yémen se trouve à un point critique pour ces câbles » relevait encore GIF. Bab el-Mandeb agit déjà comme un goulot d’étranglement pour le trafic maritime. C’est aussi le cas pour les liaisons sous-marines. Celles-ci sont déjà vulnérables aux aléas géologiques — comme les séismes — ou bien aux maladresses involontaires — la chute d’une ancre qui tranche un tuyau de fibre optique mal protégé.
« Les câbles sont le seul matériel disposant d’une bande passante suffisante pour accueillir les téraoctets de données », qui circulent sur Internet, a ajouté le GIF. Les satellites ne seraient pas en capacité de les remplacer — d’autant qu’ils ont leurs propres vulnérabilités et posent d’autres difficultés. Cela inclut l’encombrement de l’orbite terrestre basse, la gêne pour l’astronomie depuis la Terre et le risque de collision.
Chaque année, rappelle Submarine Cable Map, de nouvelles lignes sont inaugurées entre les pays et les continents. Cela, pour être en mesure de suivre la croissance des informations échangées quotidiennement sur le net et qui sont de plus en plus volumineuses — en raison, notamment, de la vidéo, dont la qualité progresse régulièrement. C’est aussi un bon moyen d’accroître la résilience d’Internet, en multipliant les voies.
Des menaces circulant sur les réseaux
Les Houthis, soutenus par l’Iran, avaient déjà brandi la menace de s’attaquer à ces infrastructures. Des allusions de cette nature avaient été détectées sur des chaînes Telegram lié à ce mouvement. C’était à la fin décembre 2023, un peu moins de trois mois après la riposte militaire israélienne après les tueries du 7 octobre par le Hamas. Cette menace aurait donc été mise à exécution, selon Globes.
Sur chaîne Telegram liée aux Houthis, il a notamment partagé une carte qui montre lesdits câbles de la mer Rouge. Un message accompagnait l’image : « Il existe des cartes des câbles internationaux qui relient toutes les régions du monde à travers la mer. Il semble que le Yémen occupe une position stratégique, car des lignes Internet qui relient des continents entiers — et pas seulement des pays — passent à proximité. »
Les sous-marins capables de saboter des câbles au fond des mers ne semblent pas faire partie des moyens militaires à disposition des Houthis — ils possèdent toutefois d’autres capacités importantes pour un tel groupe. Ainsi, a alerté le GIF, des combattants « ont suivi une formation de plongeur de combat. » Ils « pourraient utiliser une méthode d’attaque similaire et disposent d’un arsenal de mines navales pour endommager les câbles. »
Jusqu’à présent, selon le Gulf Security Forum, cité par le quotidien anglais, « les câbles ont été préservés davantage en raison du relatif sous-développement technologique des Houtis que par manque de motivation. » Cela pourrait changer au vu de la guerre interminable d’Israël à Gaza. Mais c’est aussi faire courir le risque de perturber Internet dans des pays « amis » ou, du moins, étrangers au conflit.
Et le ministre chargé de l’information du gouvernement yéménite, basé à Aden, de prévenir : les Houthis sont une menace de plus en plus sérieuse sur ces installations. Ils sont un groupe terroriste qui, selon ses propres mots, n’a ni plafond ni limite. Le péril est en tout cas visiblement assez crédible pour, selon le GIF, susciter l’inquiétude de certaines puissances comme la Chine et les États-Unis — qui ont déjà réagi par la manière forte.