Rabbin depuis 27 ans à la synagogue Ohel Yaacov, Haïm Bendao prône la paix au sein des quartiers nord de Marseille. Un engagement au long cours dans les écoles, les mosquées et les églises pour un idéal de vivre ensemble.
Haïm Bendao est un hyperactif. Il ne passe pas par quatre chemins, et il faut suivre le rythme : « Un café ? Oui, non ? » Très sollicité par ses fidèles, il ne dort que quelques heures par nuit. Lorsqu’il prend enfin le temps de s’asseoir dans un coin de la synagogue qu’il dirige, il déroule humblement et d’une traite le fil de sa vie. « Je suis né en 1972 à Rosny-sous-Bois en Seine-Saint-Denis, d’un père égyptien et d’une mère tunisienne. » Mais son enfance, Haïm Bendao la passe auprès d’une nourrice espagnole, madame Ruiz. Elle devient sa mère de substitution et l’éduque dans un contexte multiconfessionnel : le petit Jésus sur la commode, l’église le dimanche, le steak de cheval sur la table. Le petit Haïm se déhanche à la manière de Michael Jackson et écoute les vinyles d’AC/DC en boucle. Mais à 12 ans, sa vie prend un tournant : il entre à la Yechiva, une école qui forme les futurs rabbins. « Je suis dyspraxique : dès qu’il y a des chiffres, des lettres, je ne comprends rien. À la Yechiva, on ne faisait que parler. Ça m’a plu et ça a commencé comme ça. » Il se plonge alors dans l’étude, tantôt en France, tantôt à New York.
Le rabbin des quartiers nord
En 1993, il arrive à Marseille pour enseigner à son tour et y rencontre sa future épouse. Marié trois ans plus tard à « la femme de sa vie », il reprend dans la foulée la synagogue Ohel Yaacov, l’unique des quartiers Nord. Aujourd’hui, il est père de sept enfants qui font sa fierté. « Ils ont tous fait de longues et belles études. C’est important pour moi. Si c’était à refaire, j’aurais étudié à côté de la Yechiva. » Des diplômes pourtant, il en passe. D’abord celui d’éducateur spécialisé, « nécessaire pour travailler auprès des jeunes du quartier. »
En dehors d’une certaine gourmandise pour les « banana split », Haïm aime les choses à taille humaine et les discussions sans détours. « Si je ne peux pas te voir, je vais te le dire. Ça passe ou ça casse. C’est pour ça que ça a collé avec les quartiers Nord. J’aurais pu aller n’importe où et je me suis installé ici. »
Haïm passe beaucoup de temps à lire. Dernièrement, sur le stoïcisme : « Il n’y a pas tout dans la Torah. Tu es obligé de t’ouvrir, parce qu’il y a un panel de gens dans une communauté. » Pour subvenir à ses besoins, Haïm Bendao est producteur de boutargue, une spécialité méditerranéenne à base d’œufs de poisson. Cette activité lui assure une liberté économique, et de fait, une liberté de parole : « Mes discours ne sont pas axés sur ce que de potentiels donateurs voudraient entendre. Je suis libre. » Aujourd’hui, la synagogue compte environ 45 fidèles, proches des valeurs du rabbin.
Prêcher la paix et le dialogue
Réputé pour son ouverture d’esprit, Haïm Bendao parle à tout le monde. Cette vocation du dialogue social, il l’applique en se rendant dans les églises, dans les mosquées. Il sera même aumônier en prison pendant un temps. « À force de parler, ça fait son chemin. On me dit que ça ne sert à rien. Mais je m’en fous. Je n’ai pas d’obligation de réussite, mais j’ai l’obligation d’essayer. » Parmi les graines qu’il sème, celles en milieu scolaire. Sa première intervention dans une école remonte à l’assassinat de Samuel Paty, à l’automne 2020. Il se rend dans une classe avec un imam et un prêtre. « Les élèves ont eu des propos très virulents, mais grâce au dialogue, on a réussi à ouvrir un peu les esprits. » Depuis, les établissements marseillais font régulièrement appel à lui pour parler de tolérance, de pardon, et dernièrement du conflit israélo-palestinien. Les questions des élèves sont toujours là, Haïm et son franc-parler aussi.
Depuis le début du conflit, Haïm Bendao continue son travail tant bien que mal : « Certains imams ont suspendu les contacts ». Mais il reste à l’affût, tente d’entretenir le lien. À la synagogue, les discours de haine sont bannis. « Je n’accepterai jamais quelqu’un d’islamophobe. Ce qui s’est passé le 7 octobre, c’est grave. Mais ce qui s’est passé là-bas, c’est là-bas. Il ne faut pas tout mélanger. » Un point sur lequel il insiste pour éviter une propagation du conflit à Marseille. Le rabbin continue ses rencontres, parfois avec des imams controversés pour leurs positions anti-israéliennes sur le conflit à Gaza. « On me dit : « mais Haïm, comment tu peux discuter avec ces gens ? » Mais c’est justement là qu’il faut faire ce travail de dialogue. Parce que rien n’est fixé dans le marbre. » Ce rabbin « prêt à tout perdre, mais pas à fermer sa gueule », affirme se battre pour un idéal de vivre ensemble.
Certains jours plus contrariants que d’autres, il n’hésite pas à aller taper quelques heures dans un sac de boxe pour se défouler. Mais Haïm aspire avant tout à la paix : « Mon rêve ? Ça serait une petite maison en haut d’une montagne ». Et le meilleur souvenir de toute sa vie ? Une matinée sur la terrasse d’un café en Corse, au bord de la mer.