Retour de Tel-Aviv, par Daniel Sibony

Abonnez-vous à la newsletter

Le philosophe et psychanalyste Daniel Sibony revient d’Israël où il a trouvé « un deuil profond » après de l’attaque du 7 octobre 2023.

Je suis revenu de Tel-Aviv, où je suis allé partager le deuil où le massacre du 7 octobre m’avait mis comme tant d’autres. J’ai trouvé là-bas un deuil profond, outre celui des morts, un deuil de soi, d’une image de soi, d’un certain mode d’être « suffisant » qui vous fait méconnaître l’ennemi, autre façon de se méconnaître, de ne pas vouloir visiter ses limites. Ce deuil était aussi recouvert par la colère, refoulé par la sidération, en attendant qu’on puisse tenter de le traverser, ce qui implique de reconnaître la perte de valeur qu’on a subie en perdant une image de soi qui affichait cette valeur. J’ai beaucoup entendu « rien ne sera plus comme avant », sans préciser les changements, on en fait au moins le vœu.

Et le débat sur le deuil que j’ai eu là-bas a forcément évoqué la question de la faute : celle de n’avoir pas prévu l’attaque du 7 octobre. Il est apparu que cette faute a des circonstances atténuantes : ce n’est pas simple d’intégrer que l’ennemi qu’on a en face ne rêve que de vous tuer. Ce n’est d’ailleurs facile pour personne : normalement, votre ennemi veut remporter l’enjeu ou gagner sur vous du terrain, il veut rarement votre disparition pour elle-même. Mais ce n’est pas le cas de la haine des juifs relayée par les Frères musulmans, donc aussi par le Hamas qui les prolonge, eux qui veulent rénover l’islam en le ramenant à sa source doctrinale.

Cette haine portée par le Hamas est singulière : elle veut non seulement que les juifs n’existent plus, mais qu’ils n’aient pas existé, ce qui est plus difficile, car c’est un vœu qui touche le passé et rien ne peut faire que ce qui fut n’ait pas été. Cette haine vient de loin, elle est claire dans le Coran : il en veut aux juifs d’avoir écrit la Bible comme ils l’ont fait, alors qu’il a, lui, la vraie version du message qui, de surcroît, est pris chez eux. Force est d’admettre que ce type de haine (où l’autre ne doit pas avoir existé) n’est pas représentable. Et l’on comprend la tendance très humaine à l’oublier si l’on veut vivre. D’ailleurs, lorsque, en France, un zélé de l’islam tue un infidèle (par exemple égorge un prêtredécapite un professeur ou défenestre sa voisine médecin) en ponctuant son geste par « Allahou akbar », donc en invoquant l’appel à la guerre sainte qui met en acte cette haine, les procès concluent toujours que cet homme est un fou plutôt qu’un musulman zélé.

Des repérages identitaires et symboliques

On le désidentifie pour que la question de cette haine et surtout de sa transmission dans la famille et à l’école ne soit pas soulevée. De même pour le 7 octobre, on en vient à dire que les gens du Hamas n’ont pas tué des juifs, mais « des Israéliens, c’est-à-dire des colons ». Cette fois, on désidentifie l’objet pour faire tenir un discours idéologique qui veut qu’Israël soit comme une colonie prise sur la terre des Palestiniens. Le Coran aussi enlève aux héros de la Bible leur identité d’Hébreux pour en faire des musulmans ; ce qui fait de nous, leurs descendants, des infidèles puisque nous les trahissons en refusant la « soumission ». Tout cela relève non pas de contenus religieux, mais de repérages identitaires et symboliques.

Et donc l’idée que le Hamas veut simplement tuer des juifs n’entre pas facilement dans nos têtes occidentales. Elle est trop irrationnelle, elle n’est sans doute pas entrée dans la tête de Netanyahou qui, pendant vingt ans, a distillé l’idée que le Hamas n’attaquerait pas. Cet homme, pourtant calculateur jusqu’à la moelle, n’a pas calculé l’action absurde qui se suffit à elle-même, qui ne vise que la jouissance qu’elle produit, jouissance que le Hamas a criée et copieusement consommée ce jour-là. Il n’a pas crié, comme on s’y serait attendu : « Un État palestinien ! Tout de suite ! » Mais on comprend que l’Occidental humaniste ait entendu cela, et qu’il s’écrie, lui : « Vous voyez bien que ce qu’il faut, c’est un État palestinien ! »

La réalité, elle, semble dire qu’il n’y aura pas d’État palestinien avant que, dans les deux territoires, Gaza et une partie de la Cisjordanie, les Arabes n’aient montré qu’ils peuvent vivre un certain temps sans préparer de guerre sainte. Ce n’est donc pas dans l’immédiat, si on en juge par l’histoire où, depuis 1947, chaque fois qu’un État palestinien est possible, l’esprit du djihad surgit et la guerre sainte prend la tête du mouvement dont le but ne peut être que de « tuer les juifs » ou de les « jeter à la mer », comme on disait juste avant que les Israéliens, le 6 juin 1967, ne prennent de court le djihad qui se préparait. Après quoi le monde arabe a strictement interdit aux Palestiniens de négocier avec les juifs, de « parler avec Israël », mettant à nouveau les Arabes de Palestine à la remorque d’une guerre sainte, dans l’échec de la précédente et l’imminence de la suivante.

Ainsi, pour qu’il y ait un jour un État palestinien, il semble qu’il faille d’abord éliminer le Hamas. Il est dans l’intérêt des Arabes de Palestine que ce ne soient plus les Frères musulmans, relais directs du Coran, qui défendent leur cause. Et même les États arabes de la région, qui combattent les Frères musulmans, y trouveront leur compte. C’est ce que pensent la plupart des Israéliens que j’ai questionnés, hormis ceux qui détestent leur Premier ministre plus qu’ils n’en veulent au Hamas.

Daniel Sibony

Écrivain, psychanalyste, dernier ouvrage paru : « Shakespeare, questions d’amour et de pouvoir ». Il publie début mars « L’Entre-deux sexuel », chez Odile Jacob.

Source lepoint

2 Comments

  1. L’analyse de Daniel Sibony est cohérente comme l’est un vase en cristal dont la beaute vous laisse coi.La haine des Freres Musulmans y est decrite sous un jour terrifiant, commentles Israeliens, les juifs, peuvent-ils echapper a une telle haine?

Les commentaires sont fermés.