Initialement connue pour ses chroniques sur France 2, l’épouse du maire niçois est dans le collimateur de la justice pour des soupçons de «prise illégale d’intérêts». Pour éviter les interférences politiques, les dossiers ont été transférés à Marseille, a appris «Libération».
Pour sa dernière apparition publique à Nice, Laura Tenoudji s’est affichée avec Brigitte Macron. Côte à côte, le 2 février, la «première dame de Nice» – comme l’a surnommé Nice-Matin – et la première dame de France clôturaient l’opération «Pièces jaunes» sur la Côte d’Azur. Lunettes de soleil, applaudissements, photos : elles sont synchros. Laura Tenoudji accompagne Christian Estrosi, maire et mari. Depuis exactement huit ans, ils partagent leur vie. Mais aussi des événements caritatifs, des sorties culturelles, des accueils de délégations étrangères… Laura Tenoudji est sur tous les fronts. Trop de fronts ? Deux signalements sont arrivés sur le bureau du procureur de la République de Nice en fin d’année. Une enquête est ouverte pour «prise illégale d’intérêts». Christian Estrosi a riposté par une plainte pour «dénonciation calomnieuse». Le procureur de la République de Nice annoncé à Libération que les trois dossiers où apparaît le nom de Laura Tenoudji sont dépaysés à Marseille. Le parquet marseillais confirme en avoir été destinataire.
Laura Tenoudji mène deux vies de front. Chacune possède son compte Instagram. La première est celle de la «journaliste engagée», mentionne sa bio. Elle y partage ses activités parisiennes : tantôt chroniqueuse à France Télévisions, tantôt dénicheuse de talents. Son surnom ici est «Laura du web». Elle est spécialiste «start-up & culture», et bons plans en tous genres. Sa deuxième vie est celle de Niçoise et d’épouse. Le compte Instagram date de novembre 2018. Ici, il faut l’appeler Laura Tenoudji-Estrosi. Sous les hashtags «#NiceGirl», «#ILoveMyHusband» et «#ILoveNice», elle poste son quotidien de première dame de Nice : un départ de la course Ironman, un hommage pour les victimes d’attentat, une cérémonie du 11-Novembre, un vernissage d’exposition…
Meilleure représentante de la dolce vita de la Côte d’Azur, elle poste quand elle skie à la montagne et quand elle court en bord de mer. Christian Estrosi figure sur la moitié des clichés. «Le problème, c’est la “peopolisation”, relève un opposant. Et, en effet, ça marche très bien sur les réseaux. Si Christian Estrosi fait un post sur la politique du logement ou sur l’économie, il y aura beaucoup moins de réactions qu’un post avec strass et étoiles.»
«Ne pas avoir de rôle officiel, c’est injuste»
Quand elle est à Nice, Laura Tenoudji «met en valeur des talents, des commerces, des gens», fait remarquer son entourage. «Quand elle débarque en mairie, ce n’est pas la première dame. Elle parle aux agents, elle est super accessible», nous assure-t-on. Adoptée par la ville et acclimatée, elle rédige un guide avec ses meilleures adresses qu’elle vend à la boutique du palace Negresco – un cinq-étoiles situé sur la promenade des Anglais –, dont les bénéfices sont reversés à l’hôpital pour enfants de Nice. «C’est dans mon ADN d’être engagée, expliquait-elle en 2020 à Nice-Matin. Je défends le “consommer local”, je soutiens quotidiennement des start-up.» Laura Tenoudji ne peut s’exprimer dans Libération en raison de l’enquête en cours. «Dommage qu’il n’y ait pas une reconnaissance de ce statut de femme impliquée, déplorait-elle dans une de ses rares interviews sur le sujet de première dame, accordée au quotidien local. Ne pas avoir de rôle officiel, c’est injuste. Aujourd’hui, les femmes ont envie d’autre chose. Moi, je finance tout sur mes propres deniers. Ce qu’on fait pour une ville, c’est du temps qu’on ne consacre pas à sa famille, à son travail.»
En mai 2018, le futur roi Charles III et son épouse Camilla sont en visite à Nice. «Laura était aux premières loges pour les accueillir, se souvient l’élu Henry-Jean Servat. Elle faisait son rôle. Il y a des besognes plus désagréables que ça.» Henry-Jean Servat et Laura Tenoudji se sont rencontrés il y a plus de vingt ans, sur le plateau de Télématin. «D’emblée, je me suis divinement entendu avec elle. Pour moi, c’était la petite-fille d’Edmond Tenoudji. Il a coproduit des films avec Brigitte Bardot, raconte-t-il. Laura est en prise sur la vie culturelle. Elle vient d’un milieu bourgeois, aisé, cultivé. C’est une fille qui vit, qui sort. Christian Estrosi écoute ce qu’elle lui dit.»
Avant la dernière élection municipale, Henry-Jean Servat dîne avec le couple Estrosi. A table, le maire lui propose d’intégrer sa liste et de devenir son délégué à la protection animale et au cinéma. «C’est elle qui m’a fait venir à Nice. Je n’ai rien négocié avec Estrosi, dit-il. Elle savait que j’étais fou d’animaux et amoureux du cinéma. Elle l’a dit à Estrosi. Elle a une influence sur ça.» Il sera finalement débarqué de la majorité en juin 2023 en raison d’un tweet critique. Depuis, Henry-Jean Servat ne parle plus ni à Christian Estrosi ni à Laura Tenoudji. Il avait pourtant été invité à leur mariage religieux en 2016.
Plusieurs signalements au procureur de la République
Laura Tenoudji prend doucement sa place dans la politique niçoise. Elle est présente au premier conseil municipal de la troisième mandature de Christian Estrosi en 2020. Elle s’assoit au premier rang sur scène lors des derniers vœux du maire. «Quand elle est mise en exergue, elle est utilisée comme une arme politique. Or en politique, il y a malgré tout un code d’honneur : on ne parle pas de la famille car c’est de la vie privée qui ne doit pas entrer dans l’arène, poursuit un opposant, gêné aux entournures. Là, quand on instrumentalise la relation, il y a un mélange des genres.»
Fin septembre, trois élus écologistes ont envoyé un signalement au procureur de la République de Nice. Ils s’inquiètent d’un premier conflit d’intérêt. En septembre, Laura Tenoudji devait animer «à titre bénévole» une conférence sur une plage en marge du Nice Climate Summit, colloque organisé par le journal la Tribune (dont elle est salariée) et subventionné par la ville de Nice. «Christian Estrosi n’a pas fait état de son lien d’intérêt, estime le conseiller municipal signataire Jean-Christophe Picard. On a tiqué : normalement, il doit se déporter.» Argument contredit par le clan Estrosi. Laura Tenoudji a quand même annulé sa participation.
En décembre, rebelote. Laura Tenoudji vient d’animer la cérémonie d’ouverture de l’Eurovision junior à Nice quand un fonctionnaire territorial envoie un signalement, révélé par Mediapart. En parallèle, Christian Estrosi porte plainte contre X pour «dénonciation calomnieuse». «Un homme politique, ça s’expose, ça prend des coups, argumente l’avocat d’Estrosi, Mathias Chichportich. Il accepte dans le débat public d’être attaqué sur son action et ses idées. Mais quand les attaques mettent en cause injustement sa femme, une ligne rouge est franchie.» Il estime que cette «opération de déstabilisation politique orchestrée par ses différents opposants» va «jusqu’à attaquer sa famille».
Avant d’être dessaisi des dossiers, le procureur de Nice, Damien Martinelli, a confirmé l’ouverture d’une enquête pour «prise illégale d’intérêts» dans le cadre de l’affaire du Nice Climate Summit. Et une analyse pour le cas de l’Eurovision. Désormais, ces dossiers, avec la plainte d’Estrosi pour «dénonciation calomnieuse», ont été confiés au parquet de Marseille. Des affaires qui mettent à mal le quotidien niçois de Laura Tenoudji. Régulièrement interpellée sur des «dossiers sociaux» comme les enfants malades et des femmes victimes de violences, elle «en vient à ne plus pouvoir transférer les mails ou les demandes, indique son entourage. Parce qu’elle pourrait craindre d’être accusée de favoritisme». Facile.
par Mathilde Frénois