Dans son dernier film, La Zone d’Intérêt, le réalisateur Jonathan Glazer dépeint la vie de Rudolf Höss, sa femme Hedwig et ses trois enfants.
Terrifiante image d’Epinal du rêve nazi, la petite famille était installée dans une villa cossue, à quelques mètres du camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz. Ce qui en dit long sur le commandant du camp, qui n’avait rien du simple ingénieur qu’il a prétendu être.
Il est des monstres dont la nature ne fait pas débat. Rudolf Höss est de ceux-là. Né en 1901 dans la ville de Baden-Baden, il se présente volontiers en héros de l’Allemagne du début du XXe siècle. “Dans ses mémoires, qu’il a écrites après son arrestation en 1946, il raconte qu’il s’est engagé volontairement dans l’armée allemande, qu’il a devancé l’appel sous les drapeaux. Qu’il a combattu en Irak, sur le front oriental et qu’il y a obtenu La Croix de Fer [une distinction militaire allemande, ndlr]”, raconte Tal Bruttmann, historien spécialiste de l’antisémitisme, de la Shoah et particulièrement d’Auschwitz.
“Sauf que des historiens ont prouvé plus tard qu’il avait été scolarisé à Mannheim durant toute la Première Guerre mondiale. Il a pourtant tenu ce discours durant toute la Seconde Guerre mondiale, y compris au sein du Parti Nazi. Il s’agit d’un mythomane au sens psychiatrique du terme. Ce qu’il raconte de lui-même nous informe plus sur sa personnalité que sur la réalité historique”, poursuit le chercheur.
La mythomanie de Rudolf Höss ne l’empêche toutefois pas d’être un convaincu. Impliqué dans le meurtre d’un militant de gauche au tout début des années 1920, il est condamné à dix ans de prison. Puis il adhère à l’idéologie nazie et rejoint le parti.
“Ce qui est certain c’est qu’il est un militant nazi de la première heure, qu’il a rejoint le parti très tôt et qu’il a rapidement fréquenté Heinrich Himmler, qui deviendra l’un des plus hauts dirigeants du IIIe Reich”, explique Tal Bruttmann. Il poursuit : « Ce que montre bien le film de Jonathan Glazer, La Zone d’Intérêt, et qui correspond aux témoignages historiques, c’est qu’il s’agit d’un homme froid, sans charisme ni envergure malgré la tâche hautement criminelle qu’il a accomplie.”
Ni un petit rouage, ni un simple ingénieur
Dans son autobiographie, intitulée Le commandant d’Auschwitz parle, il se présente volontiers comme un simple fonctionnaire, un peu zélé. Une sorte d’ingénieur auquel on a confié une lourde tâche, “totalement absorbé et même obsédé” par l’élimination des “ennemis du peuple allemand”. Sauf que là encore, les choses coincent.
Dans ses dernières heures, Rudolf Höss a tenté, comme de nombreux bourreaux, de se dédouaner. Sans parvenir à convaincre qui que ce soit.
Un paradis au milieu de l’horreur d’Auschwitz
Le maître d’Auschwitz ne vivait d’ailleurs qu’à quelques mètres de son œuvre de mort, dans une jolie maison bourgeoise. Dans celle-ci, comme le révèle La Zone d’Intérêt, se joue une vie de famille d’une étonnante banalité. À cela près que les dames s’amusent à se partager les effets personnels des Juives déportées. Ou que derrière les murs épais, on entend les cris, les voix des victimes de la Shoah. On aperçoit la fumée des fours crématoires. C’est là que Rudolf Höss a décidé d’élever ses enfants, de se coucher le soir et d’embrasser son épouse le matin.
“Ce que nous appelons communément les camps de concentration se limite souvent au périmètre de détention. Pour les SS, le terme recouvre l’ensemble de la zone, les bureaux, l’administration, les locaux de la Gestapo, etc. Or, le camp d’Auschwitz a été construit à l’endroit d’une sorte de cité HLM polonaise à côté de laquelle se trouvait cette villa. Les gens qui vivaient là ont donc été expulsés et le commandant du camp s’y est installé. Mais il n’y était pas obligé. Il aurait pu, comme beaucoup d’autres, choisir l’une des nombreuses maisons de la ville d’Auschwitz, Oświęcim en polonais”, précise encore Tal Bruttmann.
Et d’ajouter : « Il ne partage pas notre rationalité. Dans sa rationalité de nazi, dans sa vision du monde de SS, ce qu’il se passe dans ce camp est une bonne chose. Il n’y a donc aucun problème à vivre à côté, même s’il s’agit d’un camp de concentration et d’un centre d”assassinat. »
Le procès et l’exécution emblématique de Rudolf Höss
C’est d’ailleurs dans ce camp, qu’il a dirigé de 1940 à 1943, que Rudolf Höss est pendu en 1947. Arrêté, puis jugé en Pologne en 1946, il est ramené sur ces lieux où plus d’un million de personnes sont mortes sous ses ordres. Il rend son dernier souffle à l’endroit où se trouvaient autrefois les bureaux de la Gestapo, entre le four crématoire et sa maison.
“C’est un immense symbole car Auschwitz a été à la fois la machine de mort des Juifs d’Europe mais aussi le lieu de persécution des populations polonaises. Mais surtout, nombre de bourreaux ont été arrêtés plus tard ou ont échappé à la peine capitale. D’autres ont été jugés par grands groupes de plusieurs dizaines de SS. Rudolf Höss a quant à lui été jugé en tant que personnage de premier plan du système concentrationnaire et d’extermination. C’est emblématique”, conclut Tal Bruttmann.