Le Jewish Museum expose depuis décembre douze œuvres de la peintre israélienne Zoya Cherkassky, réalisées au lendemain des massacres du Hamas. Une réactivité à la hauteur du traumatisme.
Avant qu’il ne pénètre dans l’exposition, au troisième étage du magnifique bâtiment du Jewish Museum, à New York, un panneau met en garde le visiteur. Dans la petite pièce aux murs et aux sol noirs, l’artiste israélo-ukrainienne Zoya Cherkassky donne à voir les massacres perpétrés par le Hamas en Israël le 7 octobre 2023 et dans lesquels ont péri mille deux cents personnes. Réalisées dans la foulée des attaques et exposées deux mois plus tard, ces images expriment l’urgence. « C’est une sorte de réflexe psychologique, je suppose, explique-t-elle par mail. Comme au début de la guerre en Ukraine : j’ai réalisé une série de dessins au cours des deux premières semaines. Lorsque tout s’effondre, je dessine. »
Le 7 octobre, la quadragénaire était à son domicile de Tel-Aviv avec des amies russes. L’une d’elles lui dit avoir « lu dans les médias que des terroristes allaient de maison en maison et tuaient des gens ». « J’ai répondu : “Ce sont vos fausses nouvelles russes ! Ce n’est pas possible !” Mais nous avons tous dû croire à l’incroyable. » Le lendemain, elle s’envole avec sa fille de 8 ans et sa nièce Yasmin pour Berlin. « Yasmin a fui l’Ukraine il y a deux ans. Nous avions un sentiment de déjà-vu. » Elle-même, née en 1976 à Kiev, a émigré en Israël en 1991. Si elle est rentrée depuis chez elle, à Tel-Aviv, c’est dans la capitale allemande qu’elle a réalisé la série accrochée au Jewish Museum.
Les douze images expressionnistes de Zoya Cherkassky ne peuvent laisser indifférents. Si certaines présentent explicitement des scènes de grande violence, la plupart expriment l’horreur sans la figurer. C’est le cas d’Oct. 7. 2023, où la terreur se lit dans les yeux des membres d’une famille et dans ces mains appliquées sur la bouche d’une grand-mère et celle d’un nouveau-né pour ne pas être repérés de leurs assaillants. Au-dessus de leurs têtes, l’artiste a reproduit le même œil soleil que Picasso avait peint dans sa célèbre toile Guernica, réalisée en 1937 pour dénoncer le bombardement de la ville basque par l’Allemagne nazie. « Ça a été la première œuvre d’art à laquelle j’ai pensé lorsque j’ai appris ce qui s’était passé dans les kibboutzim du sud d’Israël, raconte-t-elle. La cruauté de ce massacre m’a fait penser à Guernica. »
« Les femmes sont toujours victimes »
Réalisés à l’aquarelle, aux marqueurs, aux crayons de couleur et à la cire, ses dessins se détachent d’un fond noir où les personnages sont particulièrement expressifs. « D’habitude, mes couleurs sont beaucoup plus vives, précise Zoya Cherkassky. Je réfléchissais au langage à choisir pour parler de la guerre, de la mort et de la souffrance. Le style que j’ai utilisé ressemble à l’art de l’époque de la seconde guerre mondiale, surtout au modernisme allemand. »
Comment ne pas être saisi par ces jeunes qui courent au milieu des blessés et des cadavres pour échapper aux balles de leurs agresseurs, comme ceux du festival Tribe of Nova fuyant les assassins du Hamas ? Ou par la tristesse de ce groupe de femmes kidnappées qui avancent le dos courbé, blessées ou en pleurs ? « Dans toutes ces guerres déclenchées par des hommes, les femmes sont toujours victimes », dénonce la peintre.
Si ses scènes représentent pour la plupart des anonymes – « cela peut arriver à n’importe lequel d’entre nous » –, BRING THEM BACK HOME ! (The Kidnapped Children) fait apparaître le vrai visage d’enfants enlevés, en très grande majorité libérés depuis par le Hamas. Dans les dernières images exposées, Zoya Cherkassky révèle sans détour les atrocités de ce 7 octobre : des flammes, des mains attachées, des corps entassés, mutilés, un bain de sang, une femme violée. Mais aussi des survivants à jamais traumatisés.
Critique envers le gouvernement israélien
Alors que la guerre entre Israël et le Hamas va entrer dans son cinquième mois, l’artiste préfère ne plus parler de politique. Fin octobre, dans une interview au journal juif américain The Forward, celle qui se définit comme « de gauche » et partisane d’une solution à deux Etats s’y montrait très critique envers le gouvernement de l’Etat hébreu. « C’est à cause de ses membres que cela s’est produit : ils ont abandonné ce côté d’Israël – tous ces gens des kibboutzim. L’armée n’a fait que protéger les colons hooligans en Judée-Samarie [nom biblique de la Cisjordanie] », accusait-elle, avant de juger que « toutes ces tueries, tous ces bombardements dans les deux sens ne servent à rien ».
Quand, au lendemain des attaques, elle a pris ses crayons pour s’atteler à la tâche, dans cet atelier de Berlin où elle avait trouvé refuge, Zoya Cherkassky n’a pas pensé à un message en particulier. « Je voulais seulement mémoriser les horribles événements du 7 octobre, pleurer les victimes, les montrer à travers les yeux des Israéliens. C’était une sorte de requiem pour moi. »