Mes sœurs, qui êtes mes sœurs. Sœurs d’âme, sœurs de cœur. Sœurs en esprit, et voisines spirituelles. Sœurs qui m’écrivez en plein cœur.
Ma chère sœur Clothilde, votre lettre m’a fait pleurer… de joie. Vos mots me touchent et me transpercent. Ma sœur Françoise, je vous embrasse de tout cœur, du fond de mon émotion de vous lire et de me souvenir du foyer des Feuillantines que vous dirigiez tantôt. Quand j’étais étudiante, j’ai résidé parmi vous dans cet ancien couvent qui abritait des jeunes filles et des vers hugoliens. Et des années plus tard, j’ai vécu rue des Guillemites, parmi ces sœurs aux noms doux, près de vous. J’ai la chance de connaître sœur Anne-Emmanuelle, sœur Siong, grâce aux séminaires judéo-chrétiens de mon père.
À vous, mes sœurs, qui êtes déjà aux cieux dans vos couvents, vos monastères, vos refuges qui ne sont pas des refuges, mais des maisons de prière, des forteresses résistantes et solides, utopies et citadelles, dans vos hauteurs, au sein des prairies, devant la mer. Vos lettres, mes sœurs, témoignent de votre souci des autres. Ma sœur Clothilde qui parle d’hospitalité et de responsabilité infinies, je vous remercie et je vous réponds que je n’ai jamais autant senti de fraternité et de proximité depuis que la barbarie a envahi notre vie, depuis le 7 octobre qui nous a projetés dans un autre monde, auquel j’ai du mal à ne pas penser, et à cause duquel j’ai du mal à ne pas veiller. Dans lequel j’ai du mal à me réveiller, chaque matin.
Mais chaque éveil de conscience est une consolation, chaque rupture de silence est une bénédiction, chaque esprit qui soudain cesse de se taire ou de s’aveugler, comme l’acteur et auteur Philippe Torreton, est une histoire qui se poursuit, alors qu’elle en était empêchée par l’escalade de la violence. Nous sommes devenus des sentinelles, mes sœurs. Nous sommes tous sœurs. Comment vous dire combien je suis émue par vos mots, par vos attentions et votre façon de faire attention. Votre vigilance rompt le silence, votre inquiétude est grande, tout comme cette aptitude qui est la vôtre à prendre de la hauteur et de la distance en notre monde. Et pourtant, vous ne laissez rien passer, vous avez décidé de votre vie dans la radicalité, dans la verticalité, et vous restez droites, à vous tenir debout quand tout s’effondre. Vous ne pliez pas, vous ne faiblissez pas, vous ne rompez pas. Vous êtes ardentes et brûlez de bienveillance.
De ce monde vous avez eu raison de vous retirer. De vous mettre à côté, mais pour mieux agir ; ce n’est pas pour fermer les yeux, ce n’est pas pour oublier. C’est pour faire face à l’injustice et l’horreur, la détresse et le désespoir, ce fanatisme notoire qui est en train de nous ravager, dans le monde entier. Vous êtes vouées à faire le bien depuis votre retraite, et dans votre béatitude on perçoit votre monde intérieur qui est don de soi et intelligence de cœur, comme je le lis à travers les mots de sœur Clothilde lorsqu’elle cite le beau verset de Ruth : « Où tu iras, j’irai, où tu mourras, je mourrai. Ton Dieu sera mon Dieu, Ton peuple sera mon peuple. » Et aussi Zacharie : « Nous allons avec toi », pour rétablir l’humanité dans la fraternité, la sororité. Dans votre espace infini, vous nous accompagnez.
Vous êtes des réparatrices. Vous êtes des âmes sœurs, mes sœurs ; vous êtes les veilleuses de nos mondes sur lesquels vous répandez vos ondes. Personne ne vous rend hommage, car vous êtes les discrètes, les modestes, les fluettes, les rêveuses, les prieuses, cachées et abritées. Vous ne cherchez pas à faire parler de vous, ni à être félicitées, ni à être remerciées, ni à être sollicitées, vous n’intervenez pas aux yeux de tous sauf pour prier, afin de sauver nos âmes et nos cœurs ; car étant femmes et religieuses vous êtes invisibles. Et étant femmes et religieuses vous êtes invincibles. Personne ne parle de vous, et je voudrais très modestement réparer cette injustice que vous avez recherchée et dont vous vous faites une raison d’être. Vous vous couvrez de vos voiles qui vous protègent du monde. Vous vous vouez à l’amour, en dévotion pour votre époux auquel exclusivement destinées, vous vous êtes adonnées, dans cette vie amoureuse que vous menez dans la félicité, dans la fidélité, dans la passion.
Mes sœurs, aidez-nous à résister à ces frères qui ne sont pas nos frères, mais ceux de la montée du fanatisme et de l’intolérance, de la prise de pouvoir d’une puissance par les armes dans une contagion atmosphérique et mondiale. Cette nouvelle forme de patriarcat, qui est pourtant loin du Père, me désespère. Et dans cet univers qui bascule dans l’épouvante, où tout est devenu possible autant qu’imprévisible, mes sœurs, mes amies, mes complices, mes collaboratrices, mes associées, priez pour nous car nous avons besoin de vous.
Eliette Abécassis