Des familles de victimes se sont rendues à proximité des lieux du massacre du Hamas afin de planter des arbres en hommage aux disparus. Un symbole important, face à un deuil impossible. Par Danièle Kriegel.
En ce dimanche 21 janvier, à quelques jours de la fête de Tou Bichvat, le Nouvel An des arbres, des dizaines de familles sont réunies sur l’esplanade de Réïm, un lieu situé tout près de la frontière de Gaza. À l’appel du KKL, le Fonds national juif, elles sont venues planter un arbre à la mémoire des êtres chers tués le samedi 7 octobre, alors qu’ils étaient venus participer au festival de musique techno Supernova.
Une nuit de fête, de danse, qui s’est transformée en un véritable cauchemar lorsque des dizaines de terroristes du Hamas ont déferlé. Armés de kalachnikovs, de RPG, de grenades, ils ont poursuivi, pour les tuer, tous ceux qui n’avaient pas réussi à s’enfuir ou qui s’étaient réfugiés dans les abris antimissiles construits à proximité.
« Tout ce qui nous reste, c’est de perpétuer sa mémoire »
Amit Zender est là. Il plante un arbre. À côté de la jeune pousse, une petite pancarte sur laquelle est simplement inscrit « En souvenir de Noa Zender ». Tout autour, il dépose des pierres sur lesquelles ont été peints quelques messages.
Puis il raconte : « Noa avait 22 ans et demi. C’était notre lumière, à nous tous. Vous savez, elle ne voulait pas tellement se rendre au festival. Mais elle a fini par y aller. Elle est arrivée vers 5 heures du matin. À 6 heures et quelques, les premières roquettes tirées de Gaza ont commencé à tomber. Immédiatement, elle a prévenu sa mère qu’elle allait dans l’abri antimissile le plus proche. Elle nous a parlé. Mais, à 7 heures, plus de contact. C’est un survivant qui nous a raconté ce qui s’était passé. À un certain moment, elle est sortie de l’abri et les terroristes ont tiré sur elle. Elle a été tuée sur le coup. Dans l’abri où elle se trouvait, 24 personnes ont elles aussi été assassinées. Voilà. Il n’y a pas grand-chose à ajouter. En un instant, notre vie a totalement basculé. Tout ce qui nous reste, c’est de perpétuer sa mémoire, nous souvenir pour toujours. »
Comment aller de l’avant ? Comment continuer à vivre ? « En travaillant. Mais, moi, je suis à la retraite. Alors je me consacre tout entier à la mémoire de ma fille. » Pourtant, il y a aussi cette lueur d’espoir : son autre fille attend un enfant. Il espère que cette naissance va leur redonner un peu de lumière, les faire sortir de l’obscurité dans laquelle sa famille et lui sont plongés depuis le 7 octobre dernier. En attendant, avant de repartir, il va se rendre à l’abri où sa fille avait cru trouver refuge. Avec ses proches, ils vont allumer des bougies à la mémoire de Noa.
Deuil impossible
Un peu plus loin, dans une autre rangée, une femme est seule. Elle plante des fleurs autour de l’arbre qui porte le nom de son fils, Daniel Cohen. De temps en temps, elle s’arrête pour, d’un revers de la main, essuyer ses larmes ou reprendre son souffle parce que la tristesse est trop forte. « Vous vous demandez peut-être pourquoi ces fleurs. Eh bien, Daniel, il aimait jardiner. C’était une autre de ses passions. Voilà pourquoi j’ai voulu replanter, autour de l’arbre qui porte désormais son nom, ses fleurs préférées. »
Daniel Cohen était musicien. Son nom de scène ? DJ Nisha. La veille au soir, il avait dîné avec ses parents. Puis il était parti se reposer, car il voulait, avec un ami, se rendre sur le site pour accueillir en musique le soleil levant. Il est parti pour Réïm vers 4 heures du matin. Dès son arrivée, il a joué. « À 6 h 30, raconte Orna, mon mari et moi lui avons envoyé un message lui demandant ce qui se passait. Pourquoi ces sirènes d’alerte ? Il nous a répondu qu’il quittait le festival. Il a été tué sur la route. Ils ont tiré sur sa voiture. Son ami a survécu. Pas lui. Il ne me reste plus rien de lui. Daniel n’avait pas d’enfants. C’est très difficile. » Orna espère que le temps fera son œuvre. Mais, trois mois plus tard, la douleur est toujours aussi vive.
Visage creusé, yeux embués de larmes, qu’elles se confient ou non, toutes ces familles venues ce dimanche honorer leurs morts en participant à cette plantation mémorielle disent la même chose : l’immensité du chagrin, le deuil encore impossible à faire. « Je n’arrive toujours pas à croire que nous plantons un arbre au lieu de serrer notre enfant dans nos bras », lance Ella Bahat, qui a perdu ici son fils Dror.
L’héroïsme des policiers
À quelques centaines de mètres de là, une installation permanente rappelle, sur fond de musique techno, les visages des victimes. C’est là que se trouve Odette. Sa fille de 41 ans, Ila, Franco-Israélienne, a été tuée. Avec son amie Mercédès, elle était venue fêter son anniversaire. Dès les premières roquettes, elles ont pris la voiture pour se réfugier dans le kibboutz voisin de Mefalsim. Mais les terroristes étaient déjà là. Elles sont alors sorties de la voiture pour se cacher dans un verger. C’est là qu’elles ont été tuées par des balles tirées à bout portant. Odette est venue avec ses deux petites-filles, Lior et Liam, désormais orphelines.
Un peu plus loin, un autre groupe. Des policiers en uniforme sont là. Parmi eux, l’inspecteur Doron Mathias de la police d’Ofakim. Le matin du 7 octobre, il assurait, avec ses collègues, la sécurité des festivaliers. Dès 7 heures, la fête s’est transformée en un théâtre de guerre. « Les policiers n’avaient que leurs armes individuelles, des pistolets, pour affronter les terroristes armés de fusils d’assaut, de RPG, de grenades. Certains se sont battus jusqu’à ce qu’ils n’aient plus de munitions. D’autres ont été kidnappés et emmenés à Gaza. Tous les policiers sur place sont des héros. Quinze d’entre eux ont perdu la vie. »
Depuis trois mois, Doron Mathias emmène régulièrement des groupes de policiers venus d’autres régions du pays et des familles des policiers tués pour leur raconter sur place « l’héroïsme de ses collègues qui, à ses côtés, ont combattu les assaillants et ont permis de sauver 2 500 participants au festival ».
Symbole de renaissance
En cette fin janvier, le site de Réïm porte encore les traces du massacre. Une terre désolée, entièrement brûlée. « En décidant d’organiser ici cette plantation, à quelques jours de la fête de Tou Bichvat, explique au Point Ifat Ovadia-Luski, la présidente du KKL, nous avons voulu dire notre solidarité aux familles endeuillées et leur transmettre un message d’espoir et de renaissance. Nous nous relèverons de cette désolation et ferons de nouveau de Réïm un lieu de vie où la nature reprendra pleinement ses droits. »
Pour l’heure, Ifat Ovadia- Luski l’assure : cette plantation d’arbres n’est pas limitée dans le temps. Il suffira à ceux qui n’ont pas pu être là ce dimanche de téléphoner au KKL pour coordonner leur venue. Des employés-jardiniers seront là pour les accueillir.
Danièle Kriegel