Hommage à un maître décédé, Rabbi Jean-Paul Amoyelle

Abonnez-vous à la newsletter

Jean-Paul Amoyelle : ce nom est, pour des milliers d’écoliers, synonyme d’éducation juive en France. Le destin hors du commun de Jean-Paul Amoyelle, le père fondateur des écoles Ozar Hatorah.

Jean-Paul Amoyelle : ce nom est, pour des milliers d’écoliers, synonyme d’éducation juive en France. C’est celui d’un professeur qui eut une vision pour les écoliers du primaire et du secondaire : celle d’un réseau d’écoles, Ozar Hatorah, où ils pourraient découvrir, comme il l’avait découverte lui-même, la richesse de leur héritage. Des écoles où, tout en préparant leur baccalauréat selon les programmes de l’Education nationale, ils pourraient mieux apprendre, mieux comprendre, ce qu’est l’identité juive et ce qu’est l’étude juive.

La première classe fut ouverte à Sarcelles en 1968, sans aucun moyen, et, du propre aveu de Rabbi Jean-Paul, dans la plus entière inconscience de ce qu’un tel projet supposait en termes de logistique et de finances. Ce projet, il le porta à bout de bras avec le concours de son ami Joseph-Elie Charbit, fondateur des éditions Colbo. Puis ce furent Créteil – une première classe ouverte en 1971 –, Gour Arié, à la Trétoire, Toulouse, Paris 11ème, Paris 13ème, Antony, outre les constructions permanentes qui, peu à peu, prenaient forme à Créteil et à Sarcelles, dans les années 80 et 90. Travail titanesque, travail d’un infatigable bâtisseur, qui devait veiller à tous les chapitres : convaincre les pouvoirs publics de l’ardente nécessité de ces projets, trouver les fonds pour rendre possibles les constructions, veiller à leur bonne exécution – ce qui amena Jean-Paul Amoyelle à entrer dans le détail de questions aussi diverses que l’électricité, la plomberie, la qualité de la pierre et du ciment –, tout en recrutant les professeurs, en mettant sur pied le programme de Kodech des différents établissements, avec l’aide des Rabbanim qu’il fit venir, et de ses fils, notamment Rav Ariel, qui nous a récemment quittés, et qui a joué un rôle de premier plan à cet égard.


Mais ce travail prométhéen, fruit d’une vision, est inséparable d’une origine. Jean-Paul Amoyelle était né en 1934 dans une famille juive d’origine algérienne, établie à Oujda, au Maroc – et chacun de ces éléments a son importance. Dans son enfance, il découvre les joies du scoutisme, des camps et des longues marches dans le Moyen-Atlas. Il devient vite un leader en ce domaine, révélant très tôt un don d’organisateur et de meneur d’hommes. Il se marie fort jeune, à Andrée Soussan, et fonde avec elle une belle famille de sept enfants. A l’âge de dix-sept ans, il fait à Gateshead, la rencontre qui devait orienter tous ses efforts futurs : celle du Beth Hamidrach, la maison d’étude. Quand il découvre tous ces jeunes gens qui débattent, avec passion et même véhémence, d’un texte vieux de deux mille ans, afin d’essayer d’en comprendre précisément l’intention et les implications, spirituelles et pratiques, il demande : « Mais que font-ils ? » On lui répond : « Ils étudient. » Alors surgit ce cri du cœur : « Je veux étudier comme cela. » C’est ce qu’il fera à Gateshead, mais aussi au Maroc, à Paris, à Strasbourg – ville dans laquelle il dirigera l’école Akiba – ; et c’est cette passion de l’étude qui le conduira à celle de l’enseignement, afin de transmettre à son tour la flamme du judaïsme.


La vie de Jean-Paul Amoyelle a été bénie par de grandes réussites, professionnelles et personnelles ; mais il connut aussi des épreuves – trois coups du destin, pourrait-on dire : la mort prématurée d’Andrée ; puis la mort accidentelle de son fils Binyamin, en 1999 ; enfin, la mort de son fils Ariel, il y a seulement quelques mois. Et cependant, sa personnalité était positive, volontaire ; et de même qu’il bâtissait des écoles sans relâche, il sut reconstruire sa vie, faire refleurir le printemps, aux côtés de celle qui l’accompagna jusqu’à ce jour : Dolly Debache, Mme Jean-Paul Amoyelle.


Et quelle œuvre accomplie ! Il me dit un jour, avec un sourire, et la pointe de malice qui brillait souvent dans son regard : « Je ne crois pas que j’aurais pu faire plus ! » J’ai eu le bonheur de recueillir ses mémoires, qui ont paru il y a quatre ans. Le titre de ce livre lui ressemble : « Des horizons toujours nouveaux ». Ce qui le caractérisait, c’était la vertu d’enthousiasme, la capacité d’émerveillement qui le saisissait, et le poussait à agir avec une énergie constamment renouvelée. Jean-Paul avait un don de conteur : il rapportait des récits captivants sur les grands maîtres de son temps, sur sa famille, sur les personnalités politiques qu’il côtoya, et des anecdotes pleines de drôlerie, révélant un caractère pétillant de sagesse et d’humour à la fois. Il disait : « J’essaie de prendre les choses au sérieux, sauf moi-même. » C’est ce mélange de profondeur et de légèreté qui faisait de lui un être délicieux. Dans sa personnalité unique, ses nombreux descendants, ainsi que ses élèves et ses amis, trouveront longtemps encore une précieuse source d’inspiration.

Jean-David Hamou