Après avoir fait front contre Hiromi Rollin, Anthony, Anouchka et Alain-Fabien Delon s’affrontent autour de la santé de leur père. Un conflit qui couve depuis des décennies, sur fond de rancœurs et d’héritage.
Le titre de ce grand déballage familial pourrait s’intituler « Crépuscule d’une idole », version moderne des Atrides avec un scénario vénéneux fait de ressentiments enfouis, d’amours déçues, de petites jalousies, de plaintes en justice, de révélations soi-disant explosives aux médias. Autour de la figure tutélaire du père, de la star Alain Delon, se disputent ses trois enfants, Anthony, 59 ans, Anouchka, 34 ans, et Alain-Fabien, 30 ans. Dans cette histoire classique dans sa forme et sordide dans le fond s’entremêlent chantage affectif, trop-plein et manque d’amour. Sans oublier, bien sûr, l’argent.
C’était en juillet dernier, autant dire une éternité. On pensait les enfants Delon unis alors qu’ils avaient fait front commun contre Hiromi Rollin, qualifiée de « dame de compagnie » du monument du cinéma français. Le 3 juillet 2023, c’est Anthony Delon qui se rend le premier dans un commissariat parisien pour porter plainte contre celle qui vivait avec l’acteur – très affaibli depuis un AVC survenu en juillet 2019 –, à Douchy, sa maison du Loiret, pour des faits de « harcèlement moral », « violence sur personne vulnérable », « abus de faiblesse » et « acte de cruauté envers un animal » (ils l’accusent d’avoir maltraité Loubo, le chien de l’acteur).
La grande valse des plaintes et mains courantes
Celle qui se présente comme la « compagne » d’Alain Delon depuis « trente-trois ans » ne tarde pas à répliquer. Le 28 juillet, Hiromi Rollin dépose une plainte par le biais de son avocat pour « violences en réunion ayant entraîné une incapacité n’excédant pas huit jours », « dénonciation calomnieuse » et « vol » contre les trois enfants Delon. Elle les accuse d’avoir été les instigateurs de violences perpétrées par les agents de sécurité qui l’ont chassée manu militari de la propriété de Douchy le 5 juillet 2023. Elle se défend aussi de toute emprise sur Alain Delon et accuse ses enfants d’avoir voulu la séparer de leur père par pur intérêt mercantile.Le 4 janvier 2024, dans un concours de circonstances inédit, Jean-Cédric Gaux, le procureur de la République de Montargis, annonce cependant le classement sans suite de l’ensemble de ces plaintes alors que la fratrie est à son tour au bord de l’implosion. C’est au sujet de la santé déclinante de leur père – à tout le moins en apparence – que les enfants Delon commencent à s’adonner à un grand déballage public, au rythme incessant de dépôts de plaintes et autres signalements à la justice.
Le discernement d’Alain Delon « aboli »
C’est Anthony Delon qui allume la première mèche, le 4 janvier. Dans les colonnes de Paris Match, le fils aîné de l’acteur annonce avoir déposé une main courante contre sa demi-sœur Anouchka Delon, le 7 novembre dernier. Selon lui, elle aurait dissimulé les résultats négatifs de tests cognitifs réalisés en Suisse sur leur père. Anthony accuse aussi sa sœur de vouloir emmener son père à Genève pour des raisons fiscales, se cachant derrière le prétexte des soins. Un projet qui, selon Anthony Delon, irait aussi à l’encontre de la dernière volonté de son père qui a exprimé le souhait de mourir à Douchy, entouré de ses chiens.
« À noter qu’une main courante n’est pas une plainte, mais permet à la police de prendre date et d’avoir tous les éléments en sa possession si un jour il fallait bloquer Anouchka dans son désir d’embarquer son père en Suisse », précise Me Laurence Bedossa, l’avocate d’Anthony. La réponse de la cadette est immédiate. Dans la foulée, Anouchka annonce porter plainte contre Anthony pour « diffamation », « dénonciation calomnieuse », « menaces » et « harcèlement », fait savoir son avocat dans un communiqué publié quelques secondes après une autre plainte : celle du père, Alain Delon, contre son fils, elle aussi pour « diffamation ».
Face à ces contre-attaques, Anthony Delon choisit de publier une partie du courrier reçu du procureur de la République de Montargis l’informant du classement sans suite des procédures visant Hiromi Rollin. Le magistrat écrit que, compte tenu des « conclusions de l’expertise médicale » réalisée sur son père selon lesquelles son discernement « est aboli », il envisage l’ouverture d’une procédure de mise sous protection judiciaire.
La prise en charge médicale d’Alain Delon au cœur de l’affaire
L’aîné des Delon assure qu’il n’en demande pas davantage, qu’il ne s’agit pas d’une affaire de succession comme tout le monde l’imagine mais de respecter les derniers souhaits de son père et que ce dernier soit pris en charge convenablement, en appréciation de son état de santé précaire. Reste que, selon lui, une prise en charge médicale en Suisse aurait des répercussions fiscales directes une fois le décès venu. « L’angoisse d’Anouchka, avec son avocat, c’est que mon père soit redéfini citoyen français. Il y aurait un énorme impôt, une énorme taxe », expliquait-il sur CNews. La question de l’héritage n’est jamais bien loin…
Le 22 décembre, c’est au tour d’Alain-Fabien de porter plainte contre sa sœur pour « abus de faiblesse ». Un dépôt confirmé le 10 janvier 2024 par le parquet de Montargis, qui précise que la plainte a été déposée contre Anouchka au préjudice de son père. Le même jour, l’affaire prend encore une nouvelle dimension : dans un courrier envoyé au procureur, l’avocat d’Anouchka et d’Alain transmet un signalement pour « mise en danger » de l’acteur. Il explique que, selon le médecin suisse de l’acteur, l’arrêt brutal de son traitement médical peut s’avérer létal et accuse Anthony et Alain-Fabien d’être à l’origine de cette interruption violente.
Le conseil de l’acteur demande « l’ouverture urgente d’une procédure de sauvegarde de justice » par le juge des tutelles et la désignation d’un mandataire judiciaire pour protéger Alain Delon des décisions de ses deux fils. En réponse, Me Bedossa, l’avocate qui représente à la fois Anthony et Alain Delon, demande quant à elle au procureur qu’il procède à « l’ouverture d’une procédure de mise sous protection judiciaire » de l’acteur. L’arrêt des soins de l’acteur semble désormais au cœur de la bataille qui oppose la fratrie, avec, en toile de fond, des rancœurs anciennes et profondes. Jeudi 11 janvier, le parquet annonce qu’un médecin a finalement été saisi afin d’« évaluer la situation » d’Alain Delon.
Anouchka, la favorite d’Alain Delon
Difficile de savoir à quand remonte cette espèce de méfiance réciproque, ces non-dits et cette compétition effrénée des uns et des autres pour conquérir le cœur de leur père malade. Bien sûr, on peut mesurer le dépit des deux garçons, Anthony et Alain-Fabien, qui se sentent comme les mal-aimés du clan face à leur demi-sœur et sœur Anouchka qui a toujours eu la préférence de son père, qu’il a prise sous aile dès l’âge de 12 ans lorsqu’elle tournait avec lui le téléfilm Le Lion, d’après Joseph Kessel.
Il n’a pas de superlatifs assez forts pour celle née de son union avec le mannequin Rosalie van Breemen : « adorée », « talentueuse ». Elle est sa « fierté », celle qui prolongera le nom des Delon. Au point de la lancer devant le Tout-Paris, sur la scène des Bouffes-Parisiens, à l’âge de 21 ans, en jouant à ses côtés Une journée ordinaire, l’histoire d’un père fou de sa fille Julia, alias Anouchka. C’est elle qui, au Festival de Cannes 2010, monte les marches du palais au bras de son père pour la présentation du Guépard, de Visconti, en version restaurée.
C’est encore elle qui lui remet, en 2019, sa Palme d’honneur au Festival de Cannes. C’est d’ailleurs à Anouchka que Delon a décidé de léguer la moitié de sa fortune. Anthony et Alain-Fabien se partageront la moitié restante, la part réservataire incompréssible, soit 25 % chacun. N’est-elle pas sa reine ? Pendant ce temps, les deux fils jouent les figurants, se sentent hors jeu et se disputent les faveurs d’un père vieillissant, enfermé dans sa tour d’ivoire et qui concède que la célébrité isole de ses proches, y compris de ses propres enfants. « Qu’ils me foutent la paix, qu’ils foutent la paix à ma fille », aurait-il récemment déclaré, comme le rapporte son avocat.
Anthony et Alain-Fabien, deux écorchés vifs… comme leur père
Il est étonnant de constater comment l’enfance et l’adolescence ont conditionné le parcours d’Alain Delon et comment le même schéma familial s’est reporté sur ses deux fils. Délaissé à l’âge de 4 ans par ses parents, il est placé en famille d’accueil, puis en pension, avant de s’engager à 17 ans dans l’armée et de partir en Indochine. Son enfance, Alain Delon la garde comme une marque indélébile dans son cœur. Elle a été sa blessure, son ressort. Sa beauté de jeune premier puis sa rencontre avec Visconti ont fait le reste.
Son aîné, Anthony, né à Hollywood en 1964 de son union avec Nathalie – la seule femme qu’Alain Delon a épousée –, voit ses parents se séparer alors qu’il a 4 ans. C’est un garçon turbulent, rebelle. Ballotté de pension en pension, avant de se retrouver un mois à la prison de Bois-d’Arcy pour détention d’armes. À 19 ans, il lance sa collection de blousons en cuir, mais son père lui interdit qu’elle porte son nom. Il fait ses premiers pas remarqués au Festival de Cannes dans Chronique d’une mort annoncée de Francesco Rosi (1986), mais ne trouve pas vraiment sa place dans le cinéma, multipliant les apparitions dans La Vérité si je mens de Thomas Gilou (1996) ou Polisse de Maïwen (2011). Difficile, voire impossible, de marcher sur les traces du père, condamné au plus mauvais rôle, être « le fils de ».
Même parcours quelque peu chaotique pour le benjamin, Alain-Fabien, autre écorché vif qui se considère, avoue-t-il dans Paris Match, « comme le vilain petit canard de la famille ». Lui aussi n’a que 7 ans, en 2001, lorsque son père se sépare de sa mère Rosalie van Breemen. Même itinéraire scolaire chaotique jusqu’à la maison de correction pour détention de haschich et sa fugue d’un foyer de mineurs. En 2011, « Alf » rejoint son père dans son appartement de Genève et blesse au cours d’une soirée une jeune fille après un coup de revolver. Deux ans plus tard, le benjamin, se disant abandonné par son père, s’essaie au cinéma, où il décroche de petits rôles. Il signe un contrat chez Dior et publie en 2019 De la race des seigneurs, dans lequel il se livre sur ce manque d’amour paternel qui le mine.De brouilles en réconciliations, les années semblaient avoir apaisé leurs relations, jusqu’à ce tout vole aujourd’hui en éclats. Reste l’image écornée d’une star qui aurait imaginé un scénario moins sombre pour la fin de sa vie. Il n’est plus le beau Tancrède du Guépard mais le prince Salina, submergé par un autre monde et les siens qu’il ne comprend plus. Ses enfants s’opposent désormais sur la question de savoir si leur père a exprimé ou non le souhait de mourir, se comportant comme si un tel choix leur incombait.