Pour maintenir une telle position, il faut avoir une colonne vertébrale politique solide : c’est le cas à l’AFPS dont les dirigeants historiques ont une histoire militante passée par le Parti communiste français, le Parti socialiste unifié ou les réseaux de soutien aux luttes anticoloniales. L’AFPS soutient le boycott d’Israël et la « résistance palestinienne » (en mettant en avant « la résistance populaire non violente » ainsi que le FPLP engagé dans la lutte armée) mais pas le Hamas dont l’idéologie islamiste est étrangère aux convictions laïques de l’association.
Dieudonné candidat !
On a un autre son de cloche du côté de CAPJPO-EuroPalestine, qui balance entre deux solutions : « la création d’un État palestinien viable, avec Jérusalem-Est comme capitale, ou bien la mise en place d’un seul État, accordant les mêmes droits à tous les citoyens, sans distinction d’origine ou de confession ». Si un « État palestinien viable » signifie un continuum territorial entre la Cisjordanie et Gaza, alors une partie d’Israël disparaît.
S’il n’y a plus qu’un seul État, il disparait aussi, au profit d’une utopie, certes laïque, mais proprement irréalisable, d’une part en raison du poids des islamistes palestiniens, d’autre part en raison de la volonté de la grande majorité des israéliens que leur pays reste un état juif. Ce qui ne veut pas dire théocratique, ni même franchement religieux : le judaïsme est aussi un fait culturel.
Le projet de la CAPJPO est d’autant plus biaisé que l’organisation a une histoire particulière : en 2004 elle présente aux élections régionales en Île-de-France, la liste « Europalestine » sur laquelle figure Dieudonné. La CAPJO se brouillera avec lui, mais elle aurait pu constater plus tôt que l’individu était infréquentable. L’AFPS le savait et le disait : Dieudonné est un « imposteur raciste et en aucun cas l’ami du peuple palestinien ». La CAPJPO, qui utilise un ton beaucoup plus radical que son concurrent, a aussi dérapé en organisant en 2017 une manifestation à Paris sur le thème de la « séparation du CRIF et de l’État », comme si le second était aux ordres du premier.
Un retour en arrière
Plus loin encore dans la radicalité antisioniste, il existe des associations, représentant une autre génération de militants, dont le slogan est en faveur d’une Palestine « du fleuve à la mer », ou « de la mer au Jourdain ». En se penchant sur la carte de la région, on comprend ce dont il s’agit : de la disparition pure et simple d’Israël, même dans ses frontières de 1967, au profit d’une Palestine dont on ne se casse même plus la tête à expliquer qu’elle sera binationale. La CAPJPO avait donné un signe qu’elle n’était pas insensible à ce mot d’ordre en publiant, le 19 août 2023, un communiqué se félicitant qu’aux Pays-Bas, un tribunal avait estimé que le slogan « de la mer au Jourdain, la Palestine sera libre »,relevait de la liberté d’expression et non de l’antisémitisme.
Toutefois d’autres qu’elle vont un cran plus loin : de petites mais remuantes associations sortent de l’ambiguïté et revendiquent de nier le droit à l’existence d’Israël. Ainsi la Charte du Collectif « Palestine Vaincra » pose comme principe le « soutien (à) la lutte du peuple palestinien contre le sionisme, l’impérialisme et les régimes réactionnaires arabes pour la libération de toute la Palestine de la mer au Jourdain ». Son communiqué du 12 octobre 2023 précise : « Plus que jamais, nous devons soutenir le peuple palestinien dans sa lutte pour une Palestine libre et démocratique de la mer au Jourdain, seule solution viable pour la région. »
Cette solution, loin de faire progresser la sortie de conflit, est un retour en arrière : c’est celle que défendait l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) avant de reconnaître, en novembre 1988, la résolution 242 de l’ONU votée en 1967, et donc d’admettre le droit d’Israël à exister. Cette reconnaissance ne faisait pas l’affaire de tous : bien que membres de l’OLP, le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) marxiste-léniniste et sa scission, le Front démocratique pour la libération de la Palestine (FDPLP), la réfutaient, campant sur leur idée d’un seul État. Issues de la gauche marxiste, fondées par des chrétiens, ces deux groupes ont perdu leur boussole laïque et ont fini par participer à la lutte armée contre Israël aux côtés du Hamas et du Djihad islamique, le FDPLP, en particulier, ayant perdu des hommes dans sa branche armée, les Brigades de la résistance nationale palestinienne, dans l’action terroriste du 7 octobre.
« D’énormes gains politiques »
Aujourd’hui, le Fatah ayant perdu sa légitimité aux yeux des pro-Palestiniens radicaux du fait de son acceptation d’un État qui n’en est pas vraiment un et qu’il ne dirige pas vraiment dans la transparence, c’est désormais la ligne de cette union des groupes radicaux qui attire, notamment, les jeunes militants réislamisés, sensibles à la rhétorique décoloniale et indigéniste. Les collectifs Urgence Palestine font, par exemple, explicitement référence à la fois au « soutien à la résistance » et au combat « contre la répression, les violences policières, les lois racistes, anti-immigration et islamophobes, la restriction de nos libertés ».
On voit dans les cortèges parisiens des manifestants qui, dans un même élan, peuvent clamer « Allahou Akbar », réclamer la libération du secrétaire général du FPLP Ahmed Saadat, scander « Israël assassin, Macron complice » et agiter qui un drapeau algérien, qui un drapeau marocain ou tunisien, sans doute en lien avec leurs pays d’origine. Eux n’ont pas peur de dire qu’ils soutiennent la « résistance armée ». Le Collectif Palestine Vaincra affirme ainsi qu’il « soutient la résistance qui est le seul moyen pour le peuple palestinien de reconquérir ses droits historiques et légitimes (…) sous toutes les formes qu’elle juge nécessaire et légitime, y compris armée ».
Même détermination chez les Comités Action Palestine dont la dissolution, prononcée par décret du 9 mars 2023 , a été suspendue par le Conseil d’État, malgré une charte qui évoque explicitement le soutien à la résistance armée et la nécessaire lutte contre « toute organisation ou institution qui travaille ici au service de la domination sioniste ». Le 8 octobre 2023 à Bordeaux, ce comité avait estimé que l’opération Déluge d’Al Aqsa du 7 octobre avait apporté d’« énormes gains politiques » permettant aux Palestiniens de « faire comprendre une chose : chaque opération militaire de la résistance sera plus développée et audacieuse que la précédente ».
La fosse aux lions
On retrouve la même radicalité dans des groupes dont l’assise est principalement locale. À Lyon, notamment, avec la création en mai 2023 de « La Fosse aux Lyons », apologète de la lutte armée pour une Palestine « de la mer au fleuve ». Hasard ? La « fosse aux lions » est le nom d’un mouvement palestinien de résistance armée fondé en 2022 en Cisjordanie, à la suite de l’élimination par les forces israéliennes d’Ibrahim al-Nabulsi, un surnommé « Le Lion de Naplouse ».
On ne saurait enfin faire un panorama des organisations radicales sans évoquer l’hyperactivité du Collectif pour la libération de Georges Ibrahim Abdallah, militant communiste chrétien libanais, emprisonné depuis 1984 en France pour complicité dans l’assassinat de diplomates israéliens et américains à Paris et à Strasbourg, alors qu’il dirigeait un petit mouvement proche de l’ultra-gauche européenne, les Fractions armées révolutionnaires libanaises (FARL). Le combat du collectif n’est pas axé sur la lutte contre les très longues peines, argument qui peut s’entendre. C’est un engagement politique, toujours « communiste anti-impérialiste » qui se traduit par une présence dans à peu près toutes les mobilisations de la gauche radicale, y compris dans les mouvements sociaux.
Abdallah étant emprisonné à la centrale de Lannemezan (Hautes-Pyrénées) devant laquelle manifestent périodiquement ses soutiens, la liaison se fait naturellement entre eux et les militants du Collectif Palestine Vaincra, basé à Toulouse. Le 20 octobre dernier, deux semaines après l’action terroriste du 7 octobre, la maire de la Ville rose avait d’ailleurs tenté de faire interdire un meeting commun des deux mouvements dans les locaux de la CGT à la Bourse du travail. Mot d’ordre : libération d’Abdallah, mais aussi « de la Palestine de la rivière à la mer ».
Ces mobilisations sont évidemment coordonnées, au moins dans leurs slogans, au plan international. Non pas qu’il existe un « centre caché » qui donne orientations et mots d’ordres mais parce que les réseaux de soutien à la Palestine sont, par définition, inscrits dans un cadre internationaliste et en lien avec des acteurs de terrain tant en Palestine qu’ailleurs au Moyen-Orient.
Marxistes et islamistes
De nouveaux mouvements se sont ainsi mobilisés en France, dont le plus visible est Samidoun, réseau de soutien aux prisonniers, palestiniens dont le coordinateur est Mohammed Khatib. Interdit le 2 novembre en Allemagne en même temps qu’était prononcée l’interdiction sous peine de poursuites du slogan « Du fleuve à la mer, la Palestine sera libre », Samidoun et le mouvement Masar Badil, le Mouvement de la Voie Alternative Révolutionnaire Palestinienne, appellent « les masses de notre peuple palestinien, les partisans de la résistance en exil et en diaspora, les alliés des forces et mouvements de libération, et les comités de solidarité avec le peuple palestinien partout dans le monde, à exprimer leur soutien à la résistance palestinienne héroïque […] ».
Et d’ajouter : « L’héroïque résistance palestinienne a ouvert un chapitre de batailles de dignité et de fierté à l’aube du 7 octobre 2023, et elle répond maintenant à des décennies d’agressions sionistes, américaines et européennes continues et répétées contre les masses de notre nation arabe et islamique de l’océan au Golfe, et face aux guerres de famine et de siège que les États-Unis et leurs agents ont conçues contre nos peuples dans la région, en particulier en Syrie, au Liban, au Yémen et en Iran. De la mer au Jourdain, la Palestine sera libre. »
Un slogan maximaliste, négation du droit d’Israël à exister, qui masque un changement majeur des dernières décennies : sous la même bannière se retrouvent désormais, cautionnant non seulement la lutte armée mais le pogrom du 7 octobre, des marxistes et des islamistes radicaux dans une alliance qui ne profite qu’aux seconds. Et à leurs alliés décoloniaux et identitaires indigénistes.