Personne n’avait imaginé que le successeur de Nasser pourrait, un jour, venir serrer la main d’un Israélien comme Begin… et pourtant. Un an plus tard, ils signaient les accords de Camp David.
Il arrive sous les caméras du monde entier. Anouar el-Sadate le sait : cette descente d’avion est d’ores et déjà historique. Dans quelques instants, en ce 19 novembre 1977, son pied va fouler le sol d’Israël, pays contre lequel l’Egypte est officiellement en guerre depuis 1948 et contre lequel il a lancé les hostilités quatre ans auparavant, dans une guerre d’Octobre, dite aussi guerre du Kippour, dont il n’est sorti ni gagnant ni perdant.
Il fait déjà nuit mais le visage du raïs rayonne sous les projecteurs, apparemment serein. Sur le tarmac de l’aéroport Ben-Gourion, toute la classe politique, le corps diplomatique et les instances religieuses attendent, dans un état d’émotion palpable, le premier dirigeant arabe en visite officielle sur leur territoire. Plus tard, Sadate confiera : « En haut de la passerelle, j’étais dans un état proche du vertige et de l’évanouissement. »
L’homme dont il a accepté l’invitation – au grand dam de ses alliés arabes – , et auquel il s’apprête à serrer la main, le Premier ministre israélien, est non seulement son ennemi politique et militaire mais aussi son image inversée. « Begin et Sadate se ressemblent comme le jour et la nuit », note Robert Solé dans son portrait du dirigeant égyptien (« Sadate », éd. Perrin). L’un est un juif polonais cultivé, sioniste de la première heure ; l’autre un enfant du Nil, subtil, « à la formation intellectuelle bricolée ». Mais au-delà des trajectoires et des personnalités, il y a les parcours politiques.
Discours en arabe à la Knesset
Celui de Menahem Begin, premier homme de droite à accéder au pouvoir en Israël, signale une telle intransigeance que sa récente élection, au printemps 1977, a fait trembler dans les chancelleries du monde entier. On lui prête des arrière-pensées belliqueuses, non sans raison : issu de l’Irgoun, une organisation sioniste qui, dans les années 1940, lança une vague d’attentats à l’explosif contre l’occupant britannique et dirigea des attaques contre des villages arabes, l’activiste Begin, devenu homme politique, défend la constitution d’un « Grand Israël » sur les deux rives du Jourdain et se cabre contre la moindre concession territoriale.
Quant à Sadate, officier proche de Nasser, auquel il a succédé au Caire, il est le héraut d’un nationalisme égyptien anti-occidental. Il est aussi ce « fou », comme dira Henry Kissinger, qui a déclenché une nouvelle guerre contre Israël dont les stigmates sont encore vifs. C’est assez pour que personne ne croie possible ce qui advient en ce jour de novembre 1977 à Jérusalem : après avoir prié à la mosquée al-Aqsa, le dirigeant égyptien prononce un discours de paix, en arabe, à la Knesset. Tour de force pour les Israéliens, traîtrise absolue pour les Palestiniens et leurs soutiens arabes.
Réunis un an plus tard à Camp David, sous l’égide des Etats-Unis, Begin et Sadate signent le 17 septembre 1978 des accords au terme desquels Israël obtient la reconnaissance officielle contre son retrait total du Sinaï. Le prix Nobel de la paix leur est attribué quelques mois plus tard. L’Egypte paie cette avancée solitaire vers la paix de son exclusion de la Ligue arabe et Sadate, de sa vie : il est assassiné par des islamistes, le 6 octobre 1981. Begin, lui, continue à soutenir ardemment les implantations dans les autres territoires occupés.