Fin décembre, une entrepreneuse belge était jugée à Paris pour tentative de chantage sur l’ex-papesse de l’influence. Au cœur des débats, un enregistrement que la mise en cause aurait tenté de revendre à Booba, ennemi juré de la femme d’affaires.
«Rebonjour le tribunal ce matin», écrit Magali Berdah en légende d’un selfie posté dans sa story Instagram vendredi 22 décembre. Ces dernières semaines, l’ancienne papesse de l’influence a enchaîné les procès. Parfois en tant que victime, parfois sur le banc des prévenus.
Depuis le 27 novembre, elle s’est rendue six fois au tribunal correctionnel de Paris pour affronter une vingtaine de ses cyberharceleurs, sur les 28 interpellés l’année dernière pour avoir participé aux raids qui la vise sur les réseaux sociaux. Des peines de prison ont été requises mais le délibéré n’est pas encore connu. Le 18 décembre, Magali Berdah était attendue au tribunal correctionnel de Nice, cette fois-ci pour être jugée pour des délits de blanchiment et banqueroute. Berdah ayant très récemment décidé de changer d’avocats dans cette affaire, les nouveaux désignés – Me Franck De Vita et Frédéric Amsellem – ont obtenu un délai pour préparer sa défense. Le procès se tiendra donc le 30 septembre 2024.
Quant à ce 22 décembre, l’agente de starlettes de télé-réalité était de retour à Paris, dans les tours vitrées des Batignolles, en tant que partie civile. Elle venait faire face à Soraya S., qu’elle accuse de tentative de chantage. Durant l’audience – mouvementée – qui a duré plusieurs heures, les juges ont entendu deux versions très différentes d’un conflit ayant eu lieu entre les deux femmes, autour d’une sombre histoire d’enregistrements compromettants.
«Méthodes de voyous»
Seuls faits indiscutables : le 22 septembre 2022 en début d’après-midi, la dénommée Soraya S., citoyenne belge, a été interpellée dans les locaux de Shauna Events, l’agence d’influenceurs de Magali Berdah, près des Champs-Elysées. Cette dernière lui avait donné rendez-vous, mais s’était rendue la veille au commissariat pour porter plainte et demander à la police d’intervenir dès son arrivée. Placée en garde à vue, Soraya S. a reconnu les faits suivants : avoir enregistré Berdah à son insu en juin 2022 ; s’être vu proposer 35 000 euros par le rappeur Booba pour l’acquisition desdits enregistrements ; puis avoir réclamé la même somme à la première concernée. Concernant les circonstances qui ont mené à cette situation, les interprétations divergent.
Côté partie civile, Magali Berdah, accompagnée de pas moins de trois avocats, Me David-Olivier Kaminski, Antonin Gravelin-Rodriguez et Rachel-Flore Pardo, a expliqué à la barre être victime d’une manœuvre de chantage orchestrée par Booba. Pour rappel, elle accuse le rappeur de publier quotidiennement des insanités sur elle et d’être ainsi – volontairement ou non – à la tête d’une meute numérique qui lui envoie «des dizaines de milliers de messages d’injures, de menaces de mort, souvent à caractère antisémite ou sexiste» depuis dix-huit mois. Booba, qui nie toute responsabilité, a finalement été mis en examen pour «harcèlement moral aggravé» le 2 octobre, et placé sous contrôle judiciaire avec interdiction d’entrer en contact avec elle, notamment par des publications en ligne.
Selon l’argumentaire des conseils de Magali Berdah, c’est «dans ce contexte», que Soraya S. aurait sollicité un entretien à l’agente d’influenceurs, prétextant vouloir ses conseils sur un contentieux avec une société «du même secteur» que Shauna Events. Ils assurent que si Magali Berdah a accepté de la recevoir, «elle n’avait jamais entendu parler d’elle». Lors de cette première rencontre, dans les bureaux de son agence, la femme d’affaires aurait d’elle-même disgressé sur son cyberharcèlement en cours, perturbée par les événements. Trois mois après leur rencontre, Soraya S. l’aurait informé l’avoir enregistré à son insu et exigé d’elle 35 000 euros, en agitant la menace de céder le fichier à Booba. Tout cela en étant parfaitement consciente de l’impact que cela aurait sur la vie de Magali Berdah. «Des méthodes de voyous et de grand banditisme», résument Me Gravelin-Rodriguez et Pardo. Curieusement, le rappeur n’a pas été entendu dans cette affaire.
«Pack influenceur»
Côté défense, la Belge et ses conseils, Me Tom Michel et Marine Viegas, opposent une tout autre histoire. Soraya S., entrepreneuse dans l’événementiel, aurait organisé la masterclass d’une maquilleuse de Dubaï en France… Pour en faire la promotion sur les réseaux, elle aurait acheté une prestation de l’influenceuse Maeva Ghennam à une entreprise sous-traitante de Shauna Events, la star du milieu de la télé-réalité étant signée en exclusivité chez Magali Berdah. Pour cette raison, avance Soraya S., les deux femmes auraient échangé à plusieurs reprises sur WhatsApp en amont de l’événement. Et se connaîtraient donc un minimum.
Prix de cette publicité : 35 000 euros, réglé en partie en liquide. Libé a pu consulter une facture pour un «pack influenceur» à 15 000 euros, éditée le 14 mai 2022 par une société tierce, avec la mention «distributeur Shauna». Pour Soraya S. et ses avocats, c’est la preuve d’un contrat qui n’a pas été honoré : Maeva Ghennam n’était finalement pas disponible pour l’événement, qui a été annulé pour cette raison. En face, au contraire, c’est la démonstration que Shauna Events n’avait aucun lien contractuel direct avec la prévenue : Magali Berdah n’étant donc pas responsable si une entreprise intermédiaire n’a pas su tenir son engagement. Seule incohérence : c’est cette dernière qui a donné cette preuve aux enquêteurs. Comment Berdah s’est-elle procuré la facture si elle n’a aucun lien avec l’autre société ? Ses conseils bottent en touche.
Reste que le rendez-vous de juin était justement pris entre les deux femmes pour trouver une solution. L’organisatrice belge admet avoir enregistré la conversation, mais uniquement pour avoir un argument d’autorité dans son litige, rien de plus. Elle attend en vain puis en septembre, se plaint auprès de sa famille de n’avoir toujours pas récupéré son argent. Coup du sort : son beau-frère est un ami d’enfance d’Elie Yaffa, le vrai nom de Booba. Elle serait alors rapidement contactée par le rappeur – ce qu’il nie, selon une personne de son entourage que nous avons contactée – qui lui propose plusieurs dizaines de milliers d’euros pour acquérir l’audio de Magali Berdah parlant de lui. Elle n’hésite pas longtemps.
Echange ambigu
Une date est fixée pour l’échange par le biais d’un blogueur qui fait le médiateur entre elle et Berdah depuis le début. Celui-ci aurait alors prévenu Soraya S. que l’agente n’est pas dupe et pourrait porter plainte. Il lui conseille donc plutôt de trouver un accord à l’amiable avec la fondatrice de Shauna Events. Elle s’exécute et se fait alors, selon ses termes, «piéger» à son tour.
La conversation par téléphone est enregistrée, cette fois-ci par Magali Berdah qui anticipe sa plainte. «Elle a instrumentalisé une procédure de justice pour se constituer des preuves. Ma cliente n’a jamais voulu faire monter les enchères. C’est Mme Berdah qui, par huit fois, va lui proposer de lui racheter les enregistrements au même prix que Booba», assure Tom Michel. Dans la retranscription de l’appel, consulté par Libération, Soraya S. se défend en effet à plusieurs reprises de lui réclamer quoi que ce soit : «Je te demande rien d’acheter. La seule chose que je te dis c’est qu’il m’a proposé et que je vais pas cracher dessus, j’essaye de m’en sortir comme tout le monde.» Au terme de l’échange, ambigu, elle l’invite néanmoins à réfléchir et à la rappeler pour savoir si elle se rend, ou non, à son rendez-vous avec l’entourage du rappeur.
Est-ce que l’appât du gain a fini par lui faire commettre une tentative de chantage ? Ou est-ce que Soraya S., prise en étau au milieu d’un duel qui la dépasse, s’est faite manipuler ? Que ce soit l’une ou l’autre hypothèse, difficile de ne pas voir en la jeune femme un dommage collatéral de la guerre sans merci que se livrent Booba et Berdah. Un incident ayant eu lieu au tribunal est un bon révélateur du contexte très particulier dans lequel s’inscrit ce procès 2.0, où tout se joue et se répercute sur les réseaux sociaux. L’audience a été arrêtée dans les éclats de voix et n’a repris qu’à huis clos, après qu’un soutien de Soraya S. dans la salle a été soupçonné d’essayer… d’enregistrer les débats. Mise en abîme que n’a pas manqué de relever le président du tribunal.
Définition du chantage
Au-delà d’une guerre sur la chronologie des faits, les avocats des deux parties se sont aussi livrés bataille sur le terrain du droit pur. Si enregistrer quelqu’un à son insu est illégal, et que vendre des enregistrements illicites est amoral, Soraya S. n’est pas poursuivie pour ces faits, mais uniquement pour avoir supposément tenté de faire chanter Magali Berdah. La définition légale du chantage est le fait d’obtenir quelque chose «en menaçant de révéler ou d’imputer des faits de nature à porter atteinte à l’honneur ou à la considération». Or pour la défense, rien dans ce dossier ne porte atteinte à l’honneur de l’ex-papesse de l’influence.
«Nous n’avons pas d’inquiétude sur ce point, répondent Antonin Gravelin-Rodriguez et Rachel-Flore Pardo. La jurisprudence a une acception extrêmement large de ce que constitue une atteinte à l’honneur. Et s’il y avait une difficulté juridique, les faits pourraient être requalifiés en extorsion. Nous ferons ce qu’il faut pour que cette personne réponde de ses actes : nous n’avons pas de doutes sur son intention criminelle.»
«La jurisprudence est au contraire extrêmement précise depuis cent cinquante ans : ce qui est menacé d’être révélé doit être diffamatoire, or dans les enregistrements litigieux, il n’y a aucun propos diffamatoire, rétorque Marine Viegas. Il est par ailleurs impossible à ce stade que les faits soient requalifiés, puisque le prévenu doit avoir été mis en mesure de se défendre lors de l’audience. C’est enfin un problème de parler d’intention criminelle : que ce soit du chantage ou de l’extorsion, il s’agit de délits.»
Après six heures d’accusations mutuelles de mensonges et de duel de code pénal, le président du tribunal a dit espérer prendre une décision «d’apaisement». Alors que le chantage est puni de cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende, le parquet a requis une simple amende de 30 000 euros. Délibéré prévu pour le 8 mars.
par Mathilde Roche