Baruch Spinoza (1632-1677) est au cœur d’un roman palpitant de J. R. dos Santos qui permet de découvrir différemment l’œuvre du philosophe hollandais.
Baruch le bien nommé ! Spinoza serait-il finalement, comme son prénom le signifie en hébreu…, « béni » ? Depuis la publication, il y a cinq ans, de la saga romanesque de Maxime Rovère, Le Clan Spinoza (Flammarion), le philosophe hollandais suscite des livres inspirés. C’était, au printemps dernier, Jean-François Bensahel qui signait, chez Grasset, un roboratif petit polar : Qui a tué Spinoza ?
C’est aujourd’hui au tour du Lisboète José Rodrigues dos Santos de s’emparer de la figure sulfureuse de l’inventeur de « l’éthique de la joie ». L’homme selon qui « la connaissance du bien et du mal n’est rien d’autre que l’affect de joie ou de tristesse, en tant que nous en sommes conscients », touchera-t-il ainsi un nouveau public ?
Intense effervescence intellectuelle
Habitué à truster les premières places des palmarès de best-sellers, J. R. dos Santos nous propose de découvrir l’œuvre novatrice de Spinoza sous la forme d’une fresque* haute en couleur retraçant le parcours de ce fils de négociant en fruits secs, né à Amsterdam en 1632, qui finit par se faire accuser d’athéisme par ses contemporains. Remontant à l’enfance du petit Bento de Espinosa – les Juifs séfarades d’Amsterdam ont conservé la graphie portugaise de leur nom –, le journaliste-vedette de la télévision, connu dans l’ensemble du monde lusophone, nous propose de découvrir, en soixante-seize chapitres, les différents épisodes de sa vie.
Évoquant les deuils qui frappèrent le jeune Spinoza dès son enfance, les difficultés financières auxquelles il dut faire face à l’âge adulte comme le contexte d’intense effervescence intellectuelle dans lequel il baigna tout au long de sa vie, le roman de Dos Santos nous fait percevoir de manière sensible les raisons qui poussèrent celui qui fut considéré comme le plus grand prodige de la communauté juive d’Amsterdam en son temps à se détourner de la tradition de ses pères. Fort de son expérience d’auteur de thrillers, l’écrivain découpe son livre en trois actes aussi nerveux qu’instructifs et transforme la quête philosophique de Spinoza en une aventure pleine de rebondissements.
Il nous fait aussi découvrir quelques-uns de ses contemporains. Tel ce drôle de peintre fasciné par la communauté juive d’Amsterdam : un certain Rembrandt. Mais aussi Francis van den Enden, le professeur de latin du jeune Baruch, qui lui fit lire les grands penseurs de son temps… Cet homme, par ailleurs médecin, connaîtra, lui aussi, un destin tragique. Dos Santos imagine enfin l’idylle nouée entre le jeune penseur et la fille de son enseignant, la belle Clara Maria. Ce faisant, il humanise le personnage et donne surtout chair à ce grand intellectuel parfois représenté, à tort, comme un esprit éthéré.
Hyperdocumenté
Dos Santos restitue aussi avec brio le climat de l’époque. C’est qu’il ne fait pas bon être libre penseur en ces années 1640, dans ces provinces unies pourtant vantées pour leur tolérance religieuse. Spinoza le mesurera en étant menacé dans sa vie même. Pour avoir opté pour la pensée rationnelle plutôt que la croyance, pour avoir encouragé ses proches à faire valoir leur esprit critique en toutes circonstances, le philosophe aura été la cible de critiques ignobles et même l’objet d’une tentative d’assassinat, restituée – faisant fi de la réalité, mais qu’importe – comme une course-poursuite le long des canaux amstellodamois.
Cherchant le secret qui se niche au cœur de son évolution spirituelle, Dos Santos signe là un véritable thriller philosophique. Hyperdocumenté et rédigé d’une plume alerte qui met en avant les dialogues, ce récit ferait un excellent scénario de film. En attendant, il nous donne à penser. Car, jamais dogmatique, J. R. dos Santos prend le temps de décrire le lent glissement de cet esprit anticonformiste prompt à douter de tout. Évoquant ce que Spinoza doit aux autres figures de son temps – Bacon, Galilée, Descartes, Bacon et Hobbes notamment –, ce livre rappelle utilement l’héritage de sa pensée. Il souligne, à ce titre, ce que le premier amendement de la Constitution américaine doit au Hollandais.
Comme Irvin Yalom, en 2012, avec son Problème Spinoza (éditions Galaade), J. R. dos Santos recourt à la puissance de la littérature pour faire l’éloge de la liberté de penser, mais, plus encore, d’écrire à rebours des préjugés. Son vibrant roman sonne d’autant plus juste à l’heure où certains fanatiques appellent à la mort de ceux qu’ils accusent de blasphème.
« Spinoza, l’homme qui a tué Dieu », de José Rodrigues Dos Santos, éditions Hervé Chopin, 571 pages, 22,50 euros.
Par Baudouin Eschapasse