En plein essor, ces communautés protestantes constituent un soutien précieux pour le gouvernement Netanyahou. Non sans arrière-pensées.
Jusqu’au 7 octobre, il suffisait de passer par le petit café situé devant la tour de David, à l’entrée ouest de la vieille ville de Jérusalem, pour pénétrer dans le lieu. Désormais, le café est coupé en deux, les grandes grilles à gauche de la terrasse ont été fermées, et il n’est plus possible d’entrer dans le bâtiment que pour une poignée de cérémonies religieuses, comme l’eucharistie du mercredi matin. Question de sécurité. Au lendemain des attaques du Hamas, l’endroit a accueilli des réfugiés venus de villes israéliennes proches de Gaza. Et fourni de l’aide alimentaire aux personnes touchées par la guerre ou isolées.
Ces hauts murs de pierres claires n’abritent pourtant pas un centre d’aide du gouvernement israélien, mais le siège de l’une des nombreuses structures évangéliques de la ville. Elles portent des noms comme Christ Church Jerusalem, Ambassade chrétienne internationale de Jérusalem ou Christians for Israel International, et mêlent religion, activités humanitaires et politique. Très influentes, souvent riches, elles jouent un rôle social crucial et comptent, depuis plusieurs années, parmi les meilleurs soutiens du gouvernement Netanyahou.
Un soutien politique aux racines religieuses
Chaque année, à l’exception de la parenthèse du Covid, des croyants venus du monde entier séjournent à Jérusalem, s’engouffrent dans des dizaines de bus pour des itinéraires mi-religieux, mi-touristiques. Ils se distinguent des autres pèlerins chrétiens par le choix des visites qu’ils effectuent. Ils ignorent le Saint-Sépulcre, reconnu par les catholiques et les orthodoxes, qui n’a pas de sens pour eux, et lui préfèrent le jardin de la Tombe, à proximité de la porte de Damas, à la sortie de la vieille ville, où se situe, selon eux, le « vrai » tombeau de Jésus. Ils sont aussi les rares à visiter la Knesset, le Parlement israélien, à rencontrer des députés, voire à se rendre dans les colonies israéliennes de Cisjordanie pour afficher leur soutien politique.
Point d’orgue, la fête de Souccot – ou fête des Tabernacles –, qui commémore les quarante ans d’errement dans le désert, après la sortie d’Egypte, durant lesquels les Hébreux ont campé dans des abris de fortune. Pour la célébrer, des milliers de pèlerins venus des Etats-Unis, de Grande-Bretagne, d’Amérique latine, d’Afrique du Sud ou d’Asie défilent chaque automne dans les rues de la vieille ville. Cette année encore, quelques jours avant la guerre, ils ont marché en entonnant des chants à la gloire de Dieu avant de se retrouver dans un stade de Jérusalem pour une soirée de prière. A cette occasion, la ministre du Renseignement, Gila Gamliel, un ancien ministre, Avigdor Kahalani, et plusieurs responsables israéliens ont pris la parole, donnant à la cérémonie une dimension bien plus que religieuse.
Si, de longue date, les Américains en représentent le plus gros des bataillons, les liens politiques avec les Etats-Unis se sont encore renforcés depuis l’élection de Donald Trump à la Maison-Blanche en 2016. Ce dernier s’est largement appuyé sur les groupes évangéliques pour se faire élire. Ceux-ci étant de fervents soutiens de Benyamin Netanyahou, de ses alliés ultranationalistes et des colons israéliens, l’influence s’est très vite fait sentir. Deux personnalités, le vice-président Mike Pence et le secrétaire d’Etat Mike Pompeo, eux-mêmes évangéliques, ont poussé à l’adoption d’une politique plus pro-israélienne que jamais.
Si la majorité des Israéliens affichent une indifférence polie à l’égard des évangéliques et de leur influence dans le pays, une minorité d’ultraorthodoxes voient d’un très mauvais œil leur présence à Jérusalem. Ils redoutent le prosélytisme de ces croyants, prompts à exprimer leur ferveur, et craignent les conversions de force. Soucieux de discrétion, les évangéliques prennent garde aux mots qu’ils emploient. Ils ne parlent pas d’Eglise, mais de communautés ou d’assemblées. Ils observent aussi un silence quasi total sur leurs aspirations profondes. Pour eux, le retour des juifs sur la terre d’Israël n’est, en effet, qu’une étape avant que les juifs ne reconnaissent Jésus comme le Messie.
Tensions récurrentes avec les juifs orthodoxes
Malgré ces précautions, ils ont été, ces dernières années, la cible de mouvements de protestation. En mai dernier, un petit groupe de pèlerins évangéliques a été pris à partie par des ultranationalistes religieux alors qu’ils priaient à proximité du mur occidental. A l’origine de l’appel ? Aryeh King, maire adjoint de Jérusalem, membre de cette mouvance extrémiste. La proximité d’élections municipales initialement prévues fin octobre n’est sans doute pas étrangère à l’incident, mais ce dernier témoigne d’une nette crispation. Au point d’obliger Benyamin Netanyahou à tweeter une ferme condamnation. En début d’année déjà, il avait dû s’opposer à un projet de loi présenté par des parlementaires ultraorthodoxes prévoyant de punir de deux ans de prison toute « tentative de groupes missionnaires, principalement chrétiens, visant à solliciter la conversion religieuse ».
L’élection de Joe Biden a quelque peu rééquilibré les relations entre le gouvernement israélien et les Etats-Unis, les démocrates étant moins à l’écoute des évangéliques. Mais la guerre a changé la donne. Désormais, pour Israël, chaque soutien est fondamental. « L’opinion publique israélienne est consciente que les évangéliques ne défendent pas n’importe quelle vision d’Israël, mais plutôt celle de la colonisation. Mais, aujourd’hui, certains se disent qu’il vaut mieux ces Américains-là plutôt que ceux qui s’expriment dans les universités comme Harvard, avec des slogans propalestiniens tels que ‘de la rivière à la mer' », constate Denis Charbit.