Visé par quatre plaintes pour viol et agression sexuelle, l’animateur a crié son innocence et affirmé être un patron modèle. De nouveaux témoignages recueillis par «Libération» illustrent pourtant ce qui ressemble à un environnement de travail toxique.
Il faut s’imaginer Sébastien Cauet et toute sa bande dans un car de voyage, en déplacement à l’étranger. L’animateur, micro à la main à l’avant du véhicule, s’improvise guide touristique pour faire marrer l’assemblée. Puis forcément, dérape : «Mais la question que tout le monde se pose Bruno, vas-tu nous emmener aux putes ?» lâche-t-il en se tournant vers le chauffeur. Cris de joie des hommes présents. Visiblement charmés par la proposition, ils scandent en chœur «les putes, les putes !», avant de changer les paroles en «Julie, Julie !», le prénom d’une de leur collègue. Pour qui connaît l’émission C’Cauet sur NRJ, la scène ne surprend pas : lancée en 2010, le talk-show trash a toujours misé sur les sujets tabous, le sexe en particulier, pour attirer les jeunes auditeurs. Le problème ? Cette vidéo, que Libération a pu visionner, a été prise hors tournage par un des membres du studio, en 2017. Une scène de vie parmi tant d’autres en coulisses, selon notre source.
S’il a fait de l’humour obscène et des remarques inappropriées envers les femmes sa marque de fabrique, impensable, pour Cauet, que cela se répercute sur la qualité de vie au travail de ses employées : il se considère comme un patron modèle. «J’ai un comportement exemplaire avec les gens avec qui je travaille», déclarait-il ainsi, stoïque, sur le plateau de BFM TV le 10 décembre. Lors de cette première intervention télévisée depuis qu’il est accusé de violences sexuelles, l’ex-vedette de NRJ réagissait à notre enquête, publiée deux jours plus tôt. Dévoilant de nouveaux éléments sur les plaintes pour viol qui le visent, Libération révélait dans le même temps plusieurs témoignages inédits relatant ses agissements sexistes, tant au micro qu’en coulisses. Des accusations que l’animateur a niées en bloc, arguant n’avoir pas «eu un problème en vingt ans d’entreprise».
Pressions et «attitudes déplacées»
Et d’ajouter : «Si vous avez un problème au travail, vous allez aux prud’hommes pour harcèlement moral ou sexuel. Ça n’a jamais été le cas pour mon entreprise.» Pourtant, selon nos informations, son nom, et celui de sa société, BeAware, ne sont pas inconnus du conseil des prud’hommes de Paris. Son ancienne productrice et co-animatrice Julie Brochu a en effet saisi la justice en novembre 2017 pour mettre fin à sa collaboration avec l’animateur. «Mon médecin m’a dit de ne surtout pas remettre les pieds à la radio, sinon je risquais de partir en dépression», se souvient-elle. Lorsqu’elle avertit Cauet de son absence temporaire pour raison médicale, c’est la douche froide. «Je pensais qu’après dix-sept ans de travail ensemble, il allait m’appeler et me demander : “Qu’est-ce qui ne va pas ? Qu’est-ce qu’il t’arrive ?” Mais rien. Après ce message, il ne m’a jamais plus parlé, regrette-t-elle. Nos avocats ont pris le relais.»
Le conflit s’envenime. Début 2018, BeAware Radio procède au licenciement de Julie Brochu «en raison de [son] inaptitude médicalement constatée et de l’impossibilité́ de [la] reclasser». L’affaire finit entre les mains de la cour d’appel de Paris. L’arrêt, que nous avons pu consulter, est rendu le 25 août 2022. Il y est bien noté que l’ancienne co-animatrice de Cauet «présente un syndrome dépressif et des angoisses majeures pouvant correspondre à un début de burn-out, un certificat du médecin du travail du 24 octobre 2017 indiquant l’existence d’un syndrome anxiodépressif en lien avec le travail». Pour la cour, «la dégradation de son état de santé est donc attestée», mais le harcèlement moral n’est finalement pas reconnu, faute de preuves suffisantes. La société BeAware Radio est seulement condamnée pour licenciement «dépourvu de cause réelle et sérieuse». Contacté, le conseil de l’animateur Me Simon Clémenceau, précise que «l’immense majorité des demandes de la requérante ont été rejetée, et toutes celles qui pouvaient concerner de près ou de loin, directement ou indirectement, Sébastien Cauet».
«Excès de pouvoir»
Deux autres anciens collaborateurs de Cauet, déjà cités dans notre précédente enquête, ont eu des départs conflictuels similaires. Caroline (1) s’est confiée à Libération sur les liens entretenus avec l’animateur pendant plusieurs années : leur relation d’abord exclusivement sexuelle est devenue professionnelle en 2018, après lui avoir proposé de travailler pour lui. «C’est là que j’ai découvert un tout autre personnage. Je le connaissais depuis onze ans, et d’un coup, il me parlait mal, il m’isolait. Au travail, il était vraiment mauvais, humiliant. Il montrait qu’il avait le pouvoir, il traitait les gens comme de la merde», se souvient-elle. Caroline a finalement été arrêtée pour «burn-out», selon les mots du médecin sur son avis d’arrêt de travail, que nous avons consulté. Selon elle, les derniers mois de travail étaient devenus «un enfer», qu’elle qualifie aujourd’hui de «harcèlement», bien qu’elle n’ait pas entrepris de démarches légales.
David, en revanche, a assigné Sébastien Cauet en justice l’année dernière pour rupture abusive de contrat. Alors qu’il était engagé depuis 2021 en tant que consultant indépendant pour la société de Cauet Podcast Story, l’animateur aurait mis un terme à leur collaboration «par Whatsapp», alors que David était en vacances. Malgré un contrat de mission en cours, «aucune mise en demeure par recommandé ne m’a été adressée, aucun délai ne m’a même été accordé», peut-on lire dans le courrier rédigé par son avocat, dont Libération a pu avoir connaissance. Dans ce document, sont également évoqués des «messages envoyés très tard le soir» et une «pression exercée tout au long de la mission» correspondant à des obligations de résultat. Si David a réglé son cas à l’amiable et reçu une compensation financière, il décrit le comportement de Sébastien Cauet comme un «excès de pouvoir» permanent. «Il parle mal, il met la pression à tout le monde en disant que c’est lui qui paie les gens, il ne faut jamais le contrarier, être au garde-à-vous quand il ouvre la porte… C’est même pas le chef quoi, c’est le roi.» Une attitude autoritaire qui aurait poussé de nombreux collègues vers la sortie, contrairement à ce qu’avance l’animateur.…
«Quand il m’a pitché l’idée d’“Enora teste ton mec”, je me souviens très bien lui avoir dit que je ne voulais pas le faire, plusieurs fois, raconte à Libération Enora Malagré, chroniqueuse sur C’Cauet en 2011, au début de sa carrière. Mais c’était mon patron, j’étais jeune, j’avais peur d’être virée, j’ai fini par accepter à contrecœur.» Alors pendant plusieurs mois, elle a dû prendre une voix langoureuse de téléphone rose pour convaincre tous les soirs des jeunes hommes de tromper leur moitié avec elle. Une étiquette de «briseuse de couple» aguicheuse qui lui a collé longtemps à la peau, et même valu des insultes de mécontents venus devant chez elle. «Le soir devant le miroir, je me demandais, mais quelle fille tu es ? Cela me faisait passer pour une fille très vulgaire, mais surtout j’avais l’impression de briser des vrais couples, donc je me sentais très mal.»
Le pire ? Enora Malagré finit par apprendre que Cauet et toute son équipe l’ont piégée : «Une standardiste a fini par me révéler que c’était de faux auditeurs de l’autre côté du fil, tout était faux, raconte aujourd’hui la chroniqueuse. Ils m’ont laissé vivre avec ces appréhensions et cette mauvaise image de moi, ce n’était pas très correct envers la jeune animatrice sans trop d’expérience que j’étais.» Si c’est l’une des raisons de son départ, sept mois seulement après son arrivée, l’animatrice ne veut pas «le faire passer pour le grand méchant». Même si elle est restée «très peu, il y a longtemps» à ses côtés, elle assure n’avoir «jamais vu de mes yeux Cauet mal se comporter avec des auditrices ou des invitées… En dehors de blagues parfois très lourdes qui seraient aujourd’hui intolérables.»
«C’était toujours très sexualisé sur le plateau»
Un rapide tour sur la chaîne YouTube de Cauet permet de se remémorer la ligne éditoriale : parmi les vidéos les plus regardées, «Elle téléphone à son mec pendant une gâterie» et «Une auditrice raconte ses ébats sexuels de manière très crue», publiées en 2012, ou encore «Il se fouette le sexe au téléphone en direct», en 2015. Et autour de la table, la question est rarement abordée de façon paritaire : les invitées comme les animatrices sont ciblées pour faire rire l’audience. Parmi les formats qui cartonnent à l’époque, le «Marion teste ton mec» – car refourgué à ladite chroniqueuse, après le départ d’Enora – auquel les hommes de la chaîne se sont également essayés, sans le succès de leurs homologues féminins. Ni la même présentation des vidéos : quand «Enora détruit encore un couple», c’est «Une chaudasse cède aux avances de Piètre». «On était hyper mal traitées. A chaque fois qu’on ouvrait la bouche, on passait pour des bécasses. Alors, on savait que c’était un rôle mais des fois, c’était vexant et ça allait trop loin», se souvient Julie Brochu. «C’était toujours très sexualisé sur le plateau, c’est certain, abonde Enora Malagré. J’avais l’impression que si j’étais pas attifée avec un gros décolleté, je n’avais pas ma place.»
Sur le plateau de BFM TV le 10 décembre, l’animateur s’est pourtant dit «choqué» de lire «que l’ambiance au bureau serait sexualisée». Les blagues grivoises et les propos déplacés s’arrêteraient donc immédiatement une fois les micros éteints ? Si ces dernières années – conséquence certaine de #MeToo – le programme de l’émission se veut un peu plus «grand public», les appétences de Cauet pour ces sujets n’ont pas pour autant disparu. Sur Youtube, la vidéo «Stouf [surnom d’une des animatrices, ndlr] se fait passer pour une chaudasse pendant l’appel», publiée en juin 2022, semble par exemple avoir résisté au tri récent réalisé sur la chaîne. Le nombre de vidéos diminue en effet semaine après semaine : alors qu’elle en comptait plus de 4 500 fin avril, il n’en restait plus que 4 381 le 30 novembre, et 4 353 ce vendredi 22 décembre.
Plusieurs jeunes femmes passées ou encore en poste au sein du groupe NRJ dénoncent par ailleurs certains comportements de Cauet hors antenne. «Il mettait ses mains sur mes épaules quand il venait vérifier mon travail. Une fois, il m’a même embrassée sur le front pour me féliciter», rapportait par exemple Ambre (1), en stage chez C’Cauet en 2020, dans le premier volet de notre enquête. Pendant les publicités, il venait en régie pour nous demander des massages parce qu’il avait mal au dos. Il s’asseyait devant nous, sans trop nous laisser le choix.»
Selon plusieurs de nos sources, qu’elles soient employées à Chérie FM ou à Rire et chansons, les agissements de l’animateur ne sont un secret pour personne. «C’est de notoriété publique dans le monde de la radio qu’avec les filles il est problématique, assure une employée encore en poste sur une radio du groupe. Quand une affaire éclatait sur une personnalité des médias, les vieux de la vieille qui bossent avec lui depuis longtemps disaient tous : “Et pourquoi Cauet, ça ne sort pas”?»
(1) Les prénoms ont été modifiés.
par Margaux Gable et Mathilde Roche