Pour Noël, plusieurs galeries de la capitale proposent de véritables oeuvres d’art pour des prix relativement modestes. Parmi elles, des photos anciennes ou contemporaines, des dessins du XIX e siècle et des gravures actuelles ou encore des mini-peintures ultra-contemporaines.
A Paris, la galerie Sultana, située rue Beaubourg, fait partie des professionnels qui ont du flair. Guillaume Sultana représente des artistes du monde entier, comme Jesse Darling (né en 1981), qui vient d’obtenir la récompense la plus prisée de Grande-Bretagne, le prix Turner.
Jusqu’au 6 janvier, Guillaume Sultana montre, entre autres, un très jeune artiste français, Kevin Blinderman (né en 1994), qui a étudié à Tel Aviv, à Cergy-Pontoise et à Berlin. Il a été l’objet d’expositions sur la scène alternative parisienne. Chez Sultana, son travail présente la forme de peintures, mais il est purement conceptuel. Dans le contexte de la diffusion de l’air dramatique « Sono andati » de « La Bohème », il expose plusieurs toiles dont les images ont été générées par l’intelligence artificielle.
Afin que son projet soit complètement abouti, il a demandé à des peintres professionnels spécialistes des répliques de réaliser à la main l’image générée par l’IA. Sa requête initiale : imaginer un « gay kiss » dans le style de Manet, dans le style de Klimt… Le résultat est pour le moins étonnant, loin d’une ressemblance littérale, ne manquant pas de fantaisie et marqué par la sensibilité du peintre copiste.
Ces huiles, toutes de petit format, sont intrigantes. Manet, s’il a peint des femmes d’une grande sensualité, n’est pas véritablement un spécialiste du baiser, comme l’étaient Toulouse-Lautrec ou Klimt, par exemple. C’est là qu’intervient « l’imagination » de l’intelligence artificielle. Les deux héros, des hommes habillés à l’ancienne, sont représentés dans des contorsions improbables et chaussés de souliers surdimensionnés. L’interprétation du Klimt est marquée par deux personnages centraux qui tiendraient plutôt de Malevitch ou de Paul Klee. Les oeuvres sont à vendre entre 2.000 et 3.000 euros.
Non loin de là, la galerie Baudoin Lebon, spécialiste de la photographie, rend hommage en deux épisodes à des confrères pionniers. Entre 1980 et 1986, sous le nom de galerie Texbraun, François Braunschweig et Hugues Autexier (tous les deux sont morts du sida à cette période) ont défendu le marché de la photographie, qui en était à ses balbutiements.
Dans leur espace de la rue Mazarine, ils ont exposé des talents avérés mais aussi, à l’époque, des artistes méconnus du XIXe siècle, comme Eugène Atget (1857-1927). Ils ont aussi accueilli de jeunes artistes qui allaient, quelques années plus tard, devenir célèbres, comme les Français Bettina Rheims ou Pierre et Gilles, ainsi que l’Américain Robert Mapplethorpe (1947-1989).
Baudoin Lebon propose jusqu’au 24 février des tirages issus du fonds Texbraun qui avaient été jusque-là conservés par l’un des héritiers. Ils sont à vendre à partir de 500 euros pour des tirages anonymes du XIXe siècle, jusqu’à 120.000 euros pour un exceptionnel portrait hommage à Andy Warhol. Il a été réalisé par celui qui était devenu son ami, Robert Mapplethorpe, et qui mourra deux ans après lui. L’exposition contient aussi des représentations d’hommes en petit format de Mapplethorpe à vendre pour 5.000 euros. Un remarquable bouquet de fleurs d’Atget est proposé à 8.000 euros.
Dessins industriels
Comme chaque année, la galerie La Nouvelle Athènes, dans le 9e arrondissement, propose une sélection de dessins pour Noël. L’édition 2023 du catalogue qui les présente contient 108 numéros, dont certaines feuilles étonnantes. Ainsi, la spectaculaire verrière de ce qui fût le Comptoir national d’escompte et qui est aujourd’hui le siège de la banque BNP Paribas, est constituée d’un entrelacs de structures métalliques.
A la fin du XIXe siècle, un certain Tomasz la représente telle une abstraction géométrique composée d’un ensemble impressionnant de lignes de fuite à l’encre (à vendre 900 euros). John Claude Nattes (1765-1839) était un illustrateur franco-britannique, membre fondateur à Londres de la société royale des aquarellistes. Il est connu pour sa représentation de sites historiques, comme lorsqu’il réalisa 700 dessins de bâtiments du Lincolnshire entre 1789 et 1797.
Ses oeuvres sur papier font partie des collections de la Tate Gallery de Londres mais aussi de celles du château de Versailles, dont il a saisi plusieurs vues. Vers 1800, il représente de manière très délicate et inspirée, à la plume et au crayon, un majestueux « Grand pin sur la route de l’hermitage à Hyères ». L’oeuvre est à vendre 900 euros.
Couleurs du gris
Dans un tout autre genre, l’éditeur d’art Dilecta, qui possède une galerie rue Notre-Dame-de-Nazareth, dans le 3e arrondissement de Paris, propose deux éditions en lien avec l’actualité muséale. La Française Lili Reynaud Dewar (née en 1975) est l’objet d’un grand show au Palais de Tokyo jusqu’au 7 janvier baptisé « Salut, je m’appelle Lili et nous sommes plusieurs », dans lequel elle se met en scène à travers la vidéo, des récits écrits, des performances, des installations…
Dilecta propose un tirage numérique la représentant nue de dos dans un style qui ressemble à celui des couvertures de romans noirs. Tiré à 40 exemplaires, il est à vendre 585 euros. C’est aussi, jusqu’au 7 janvier, que Thu-Van Tran (né en 1979, à Ho Chi Minh-Ville) est l’objet d’une monographie au Mamac, à Nice. Dans son travail, elle parle couramment de la mémoire et des traumas du Vietnam. Elle a été exposée à la Biennale de Venise et en ce moment à la Bourse de commerce de Paris.
Pour Dilecta, elle a réalisé un tirage numérique édité à 55 exemplaires qu’elle a nommé « Les Couleurs du gris ». Il ne faut pas se fier à la douceur des couleurs pastel de cette abstraction. Ici, l’artiste fait allusion aux agents toxiques auxquels l’armée américaine a eu recours pendant la guerre du Vietnam sur les zones agricoles du pays (à vendre 765 euros). Une pièce contemplative à l’ancrage dramatique.
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Judith Benhamou