Pendant des siècles, le royaume de David et de Salomon a nourri l’imaginaire des juifs, des musulmans et des chrétiens. Il a été invoqué par les sionistes pour justifier le retour sur la Terre promise. Les archéologies peinent pourtant à trouver ses traces. A l’occasion d’un dossier spécial consacré à Israël et à la Palestine, « l’Obs » revient sur cette histoire fondatrice.
L’histoire du royaume israélite de David et de son fils Salomon, qu’on situe traditionnellement à la fin de l’âge du bronze, au Xe siècle avant notre ère, a inspiré bien des artistes et bien des têtes couronnées. De Charlemagne (le « nouveau David ») à Frédéric II (le « Salomon du Nord ») en passant par Soliman le Magnifique (le « Salomon des Turcs »), les empereurs ou les rois se référaient tantôt à l’intrépide conquérant, tantôt au bâtisseur sage (et jouisseur). Les sionistes, à la fin du XIXe siècle, y compris les plus athées d’entre eux, s’appuyaient eux aussi sur cette mémoire pour souligner la légitimité de leur cause : non seulement le peuple juif vient bien de Palestine, mais il fut un temps où, depuis Jérusalem, il régnait sur toute la région. Aujourd’hui encore, en Israël, les deux rois sont chantés dans les écoles.
Il y a pourtant un léger problème : l’historicité de ce grand royaume n’a jamais été démontrée. Salomon et David ont-ils même existé ou faut-il les ranger au rayon des légendes, à côté du roi Arthur et d’Hélène de Troie ? Historiens et archéologues se déchirent sur la question.
Commençons par ce que raconte la Bible. Après leur retour d’Egypte, guidés par Moïse, les Hébreux se sont installés dans le pays de Canaan. Vers le XIe siècle av. J.-C., selon le Livre, les Israélites étaient éparpillés en différentes cités gouvernées par des « Juges », des chefs assurant la justice et la conduite des affaires militaires. D’autres peuples ne cessaient de les attaquer, comme celui des Philistins − leur nom a donné « Palestiniens » − basés sur la plaine côtière.
Lassées de ce chaos, les tribus israélites décident de joindre leurs forces et de se doter d’un roi. Le sort désigne un jeune agriculteur, Saül. Il appartient à la tribu de Benjamin (pour mémoire, des siècles auparavant, le patriarche Jacob, petit-fils d’Abraham, a eu douze fils qui ont chacun fondé une tribu : Ruben, Juda, Lévi, Joseph, Benjamin…). Saül conduit la guerre contre les différents ennemis des Israélites et devient dépressif.
Les archéologues cherchent des traces, mais sans succès
Entre alors en scène David, un berger de la tribu de Juda, mais aussi un joueur de lyre, ce qui lui vaut les bonnes grâces d’un roi en quête de douceur musicale. On connaît la suite : d’un galet bien placé, lancé avec sa fronde, il terrasse le champion philistin, le géant Goliath, que personne n’osait affronter. David devient un héros… Quand Saül se suicide sur le champ de bataille, il monte sur le trône. Il défait les ennemis, s’empare de Jérusalem où vivent alors les Jébuséens. La petite ville, sur sa colline rocailleuse, à l’écart des routes, devient la capitale du royaume. David y fait venir l’Arche d’alliance donnée quelques siècles auparavant par Dieu à Moïse sur le mont Sinaï : le coffre qui contient les Tables de la Loi (les dix commandements). L’ancien berger étend, par ses conquêtes, la taille du royaume.
A sa mort, son fils Salomon prend la suite. Il a 12 ans, mais est plein de sagesse. Il mate les révoltes internes, épouse la fille du pharaon égyptien. Son règne est marqué par une longue période de paix et de prospérité, mais aussi par une fin dispendieuse et mégalomane. Il a un joli harem : 700 épouses et 300 concubines, sans parler de sa liaison supposée avec la reine de Saba qui, grâce au cinéaste King Vidor, est restée dans notre imaginaire sous les traits de Gina Lollobrigida. Surtout, c’est Salomon qui fait construire le premier temple de Jérusalem, décrit dans la Bible avec une précision surprenante.
Après sa mort, le royaume se rompt en deux : il y a désormais le royaume du Nord, autour de Samarie, qui regroupe neuf des douze tribus et garde le nom d’Israël (il sera détruit par les Assyriens) ; et celui du Sud, autour de Jérusalem, qui prend le nom de Juda/Judée : il réunit les tribus de Lévi, Benjamin et Juda. Ses habitants sont les Judéens – les « Juifs ».
Très longtemps, les historiens ont considéré que cette saga, quoique très romanesque (nous vous avons épargné meurtres, adultères, viols…), correspondait à une réalité. Les passages de la Bible qui la narrent ont pourtant été écrits des siècles après. La rédaction finale des « Livres des Rois » daterait ainsi du Ve siècle av. J.-C. : en témoignent des toponymes qui n’existaient pas au temps de Salomon.
Normalement, si un grand royaume allant de l’Euphrate jusqu’aux frontières de l’Egypte a bien existé, il a laissé des traces. Depuis des décennies, les archéologues les cherchent frénétiquement, à Jérusalem notamment. Mais sans succès éclatant jusque-là. Ils savent qu’il y avait bien un peuple se réclamant d’Israël : il est mentionné dès le XIIIe siècle av. J.-C. sur la stèle d’un pharaon égyptien, Mérenptah. Une autre stèle datant du IXe ou du VIIIe siècle av. J.-C., celle de Tel Dan, mentionne une ancienne victoire sur les Israélites, avec les mots « maison de David ». Ce dernier a donc probablement existé. En revanche Salomon, le grand bâtisseur, n’est mentionné nulle part en dehors de la Bible.
A partir des années 1970, des chercheurs ont suggéré de n’accorder aucune valeur historique aux épisodes narrés par la Bible, à l’exception de ceux qui seraient corroborés par des découvertes archéologiques. Selon cette école, qu’on a baptisée le « minimalisme biblique », le royaume unifié d’Israël doit donc être présumé comme une simple invention. Dans leur sillage, certains universitaires ont politisé le débat, suggérant que, depuis le XIXe siècle, les études bibliques sont instrumentalisées pour déposséder les Palestiniens de leur histoire…
Des arrière-pensées idéologiques ou religieuses
En Israël, le débat est devenu acerbe. En 1999, l’archéologue Ze’ev Herzog, de l’université de Tel-Aviv, lance la charge dans un article publié par le journal « Haaretz » : « Les Israélites ne sont jamais allés en Egypte, n’ont pas erré dans le désert, n’ont pas conquis militairement la terre de Canaan et ne l’ont pas transmise aux douze tribus d’Israël. Ce qui est peut-être encore plus dur à avaler, c’est que le royaume unifié de David et de Salomon décrit par la Bible comme une puissance régionale était au mieux un petit fief tribal. » L’article soulève un grand émoi. Deux ans plus tard, Israël Finkelstein, directeur de l’Institut d’Archéologie de la même université, et l’historien Neil Asher Silberman publient un best-seller qui va dans le même sens : « la Bible dévoilée » (par Israël Finkelstein et Neil Asher Silberman, Bayard, 2002). A les lire, David et Salomon ont sans doute existé, mais leur royaume devait être très modeste.
A Jérusalem, les fouilles ne donnent rien de probant, le site de la cité de David se prêtant à des interprétations et datations multiples. Le fameux « premier temple » est introuvable. Certes, si ses ruines dorment sous l’esplanade des Mosquées, il est quasiment impossible aux archéologues d’y accéder. Mais Salomon, nous dit la Bible, a bâti d’autres villes. Megiddo, notamment, est aujourd’hui un vaste site de fouilles archéologiques. Las, les vestiges les plus anciens, longtemps attribués au grand roi, datent finalement du IXe siècle avant J.-C., soit un siècle après lui. On les attribue à la dynastie des Omrides qui régnait sur le royaume du Nord. Pendant une quarantaine d’années, toutes les tentatives pour réconcilier le témoignage du « Premier Livre des Rois » sur Salomon avec l’archéologie se sont ainsi heurtées au démenti du carbone 14, une technique de datation de plus en plus précise.
Récemment, pourtant, dans le centre et dans le sud d’Israël, des archéologues ont réussi à dater certains bâtiments importants du Xe siècle avant notre ère, relançant la thèse de l’historicité de David et de Salomon. Le mois dernier encore, dans la revue scientifique américaine « Plos One », une étude est parue dans ce sens, à propos du site de Gezer, autre ville prétendument fondée par Salomon. Ses auteurs, une équipe internationale d’archéologues, rapportent que l’analyse de graines organiques coincées dans certaines pierres permet de dater du Xe siècle une porte de la ville, des murailles, un grand bâtiment administratif… Certes, ils ne s’avancent pas sur l’identité de celui qui les a construits : il peut aussi bien s’agir d’un seigneur cananéen ou philistin. Mais « cela relance l’hypothèse d’une implication de David et de Salomon dans une partie de l’architecture monumentale de la région », a déclaré la principale auteure de l’étude, Lyndelle Webster, au quotidien « Haaretz ». Sans surprise, Israël Finkelstein a aussitôt disqualifié la publication. A l’écouter, celle-ci n’a « pas grand sens », car « elle manque de données sur le contexte dans lequel les échantillons ont été prélevés et sur les poteries environnantes ».
Selon l’historienne des religions Katell Berthelot (1), ces querelles, dans lesquelles se mêlent parfois des arrière-pensées idéologiques ou religieuses, sont difficiles à trancher : « Les découvertes sur cette période sont trop clairsemées, trop ponctuelles, pour avoir des certitudes et dresser un portrait d’ensemble. Les archéologues assènent des arguments d’autorité, sur lesquels il est très difficile de se faire un avis objectif. » Chercher dans ces ruines la légitimité de la cause israélienne ou palestinienne, ajoute-t-elle, est complètement vain. La principale réalité, c’est celle qu’ont créée les textes. C’est la place prise dans l’imaginaire de millions d’êtres humains par Jérusalem, cité « choisie par Dieu », ville-temple, ville « sainte » : au centre du monde.
Ce qui est certain c’est qu’il n’avait pas encore de musulmans et que le pays ne s’appelait pas « Palestine » a cette époque et que personne n’avait encore rencontré de tribue, race ou groupe ethnique du nom de « Palestinien ».