Une nouvelle manifestation de masse est attendue ce samedi soir à Tel-Aviv, alors que le pays fait face au cauchemar qu’il appréhendait le plus, la mort d’otages tués par erreur par l’armée lors des opérations contre le Hamas à Gaza.
C’était le cauchemar des familles d’otages, et par extension du pays tout entier : trois otages ont été tués samedi par erreur par l’armée israélienne. La nouvelle de la tragédie est tombée alors que le shabbat était déjà en cours, mettant une sourdine très provisoire au débat public. Mais la colère s’est immédiatement fait sentir. Vendredi dans la nuit, des centaines de personnes se sont spontanément rassemblées devant le quartier général de l’armée à Tel-Aviv. Les pancartes et les slogans étaient sans équivoque : un accord pour ramener les otages, maintenant. Les familles des otages devaient s’exprimer en public dans l’après-midi de samedi et une nouvelle manifestation, où la mobilisation s’annonce massive, était attendue samedi soir.
L’armée prend l’incident très au sérieux. En Israël, il fait l’effet d’une douche froide. Tsahal avait déjà reconnu qu’environ 20% des soldats israéliens morts dans les récents combats auraient été victimes de tirs amis – la rumeur court au sein des réservistes que ce chiffre, déjà énorme, pourrait être encore plus élevé. Les otages ont été tués dans le quartier de Shejaiya, théâtre des affrontements les plus violents depuis le début de l’offensive terrestre israélienne dans le nord de la bande de Gaza.
«Appels à l’aide en hébreu»
Samedi matin, un officiel de Tsahal a tenté d’expliquer le drame. Les trois jeunes hommes, kidnappés le 7 octobre dans trois kibboutz différents, seraient sortis vendredi matin d’un bâtiment en tenant un morceau de tissu blanc au bout d’un bâton, a expliqué l’officiel. «Un des soldats s’est senti menacé, les a identifiés comme étant terroristes et a ouvert le feu. Deux d’entre eux sont tombés à terre, le troisième blessé a réussi à se rabattre dans le bâtiment.» Le soldat qui a tiré se trouvait en hauteur, dans un immeuble voisin, et aurait prévenu son commandement qu’il pensait être face à des membres du Hamas. Plusieurs soldats seraient alors arrivés et entrés dans l’immeuble où s’était réfugié l’otage blessé, pensant qu’il les attirait dans un piège. Il aurait ensuite été abattu. «Les soldats ont ensuite entendu des appels à l’aide en hébreu, l’officier a immédiatement ordonné un cessez-le-feu», continue le gradé. Trop tard. Ce n’est qu’en récupérant les trois corps que les soldats auraient compris qu’il s’agissait d’otages. Les dépouilles de Yotam Haïm, un batteur de Heavy Metal de 28 ans, Samer al-Talalqa, un Bédouin de 25 ans, et Alon Lulu Shamriz, 26 ans, ont ensuite été ramenées en Israël, où elles ont été formellement identifiées.
«Il faut comprendre qu’on se bat contre des terroristes en civil, en jeans et baskets», a expliqué l’officiel de Tsahal, en admettant que les soldats n’avaient pas respecté les règles d’engagement, et que celles-ci avaient maintenant été clarifiées à tout le contingent. Le chef d’Etat-major Herzi Halevi s’est lui-même rendu à la frontière avec Gaza samedi pour s’assurer personnellement de la bonne marche de l’enquête déjà lancée.
Deux jours avant le drame, les soldats israéliens avaient remarqué un immeuble dans le quartier qui portait la mention «SOS» et «A l’aide ! Trois otages» inscrite sur un mur. L’endroit avait été notifié comme étant un possible piège. L’enquête portera sur la question de savoir si cet immeuble était le lieu de réclusion des otages, et s’ils ont été abandonnés par leurs gardiens et s’ils ont réussi à s’échapper. Selon un membre du commandement du sud de l’armée israélienne, ces derniers jours, aucun civil n’avait été repéré dans le quartier.
Une assemblée générale extraordinaire appelée
Le cabinet de guerre du gouvernement d’union nationale devait se réunir samedi pour discuter d’une rencontre en Europe ce week-end, peut-être à Oslo en Norvège, entre le chef du Mossad, chargé du renseignement extérieur et des opérations spéciales en dehors des frontières de l’Etat d’Israël, et le Premier ministre qatari sur la libération des otages, alors que le Premier ministre, Benyamin Nétanyahou, devait tenir une conférence de presse à 20h30 locale (19h30 à Paris).
Une partie de l’opinion publique israélienne ne semble pas tenir les soldats pour responsables, mais bien le gouvernement. Le forum qui représente les familles d’otages est devenu la seule voix à s’opposer clairement à la façon dont le cabinet de guerre, sous le leadership de Benyamin Nétanyahou, mène cette guerre. Samedi, une assemblée générale extraordinaire a été appelée pour «discuter de mesures croissantes» à prendre pour ramener leurs proches à la maison.
Cet énervement, s’il semble majoritaire, ne fait pourtant pas consensus dans la population – et encore moins dans la classe politique, où l’extrême droite tient aujourd’hui le haut du pavé. Dès l’annonce de la mort des trois otages, on a entendu des voix discordantes au milieu des expressions de tristesse venant de tous les politiciens – comme Tally Gotliv, députée du Likoud, qui a exprimé sur X (anciennement Twitter) des suspicions : «A quoi cela sert de dévoiler maintenant cette annonce tragique ?… à rien ! Juste à amener la fin des hostilités, bien avant qu’elles ne doivent cesser.» A demi-mot, ce genre de déclarations se fait l’écho de thèses complotistes sorties ces derniers mois, qui accusent l’état-major de Tsahal d’être corrompu moralement par une gauche molle et défaitiste.
par Nicolas Rouger, correspondant à Tel-Aviv