Exilé en Floride depuis le printemps, l’encombrant fils aîné du Premier ministre, influent mais à la réputation de troll d’extrême droite débauché, a fait son retour en Israël.
L’ambitieux ministre israélien des Affaires étrangères, Eli Cohen, est dans l’embarras. Selon une enquête du quotidien Haaretz, il aurait fait pression pour obtenir des passeports diplomatiques pour plusieurs cadres du Likoud, dont Yaïr Nétanyahou, 32 ans, fils aîné de Benyamin et Sara Nétanyahou. Le ministre réfute, le train de l’information continue à s’enfoncer dans le chaos de la situation politique israélienne – mais cette affaire montre que l’influence du dauphin reste intacte.
Ces dernières années, Yaïr Nétanyahou est devenu une personnalité médiatique en Israël, déversant sans compter sur X (anciennement Twitter) et Facebook des opinions d’extrême droite et de la marchandise complotiste. Depuis le mois de mars, il avait peu à peu disparu des réseaux sociaux, après avoir été écarté, exilé à Miami après des propos, repris par le New York Times, qui accusaient l’administration Biden de financer directement la contestation visant Benyamin Nétanyahou, «pour conclure un accord avec les Iraniens». Après le 7 octobre, son séjour en Floride est devenu intenable, alors que ses compatriotes rentraient dans Gaza le fusil au poing. Il est finalement rentré discrètement, mi-novembre.
Yaïr Nétanyahou a grandi sous les projecteurs. Il avait moins de 5 ans quand son père est devenu Premier ministre pour la première fois, en 1996 ; presque 18 ans quand il a remis ça, en 2009. Sur le papier, son parcours est plutôt discret : sorti d’un lycée réputé avec un baccalauréat option théâtre, il a fait son service militaire au porte-parolat de l’armée. C’est loin d’être l’unité de commando d’élite dans laquelle a servi son père, ou une place de pilote dans un F35, ou même l’autoroute vers l’enrichissement dans le secteur de la Tech que représente le renseignement israélien. Mais le porte-parolat reste une institution d’importance, un endroit où se faire un réseau, une porte d’entrée vers le monde des médias. Or les médias, c’est le fonds de commerce de la famille Nétanyahou, qui entretient avec la presse israélienne une relation d’amour vache.
«Le fils est pire»
Des esclandres à répétition ont donné à Yaïr Nétanyahou une image d’enfant gâté un peu bêta. Il y a en particulier cet enregistrement de 2015, où, en route vers un club de strip-tease, il fait des allusions alcoolisées au fait que son père ait facilité un contrat d’exploitation de gaz naturel pour un milliardaire israélien. Ceux qui ne l’aiment pas l’appellent yeled zain, une expression grossière et intraduisible qui invoque, selon la journaliste et autrice Neta Hoter, «un enfant qui, dans la cour de récréation, verse un paquet entier de chips par terre, les écrase en sautant dessus, frappe un plus petit et lui ordonne : “mange”».
C’est le magnat des médias Shaul Elovitch qui l’aurait employé pour la première fois, dans un enregistrement entendu pendant un des procès visant le chef du Likoud pour trafic d’influence. Ces audiences, qui ont repris depuis le 1er décembre, viennent souvent confirmer les rumeurs plus ou moins avérées sur la vie colorée de la famille Nétanyahou. Le public israélien prend un plaisir obscène à entendre les descriptions du caractère exécrable et des sautes d’humeur de la première dame, Sara Nétanyahou. «Le fils est pire», témoignait Shaul Elovitch sous serment en 2019.
Les révélations infirment aussi cette image d’un Yaïr Nétanyahou incompétent. On apprend que c’est lui qui conseille à son père de jouer toute sa campagne de 2015, qu’il était pourtant sûr de perdre, sur les réseaux sociaux. La stratégie marche, cimentant d’un coup la position du fils au sein du cercle de plus en plus restreint de personnes de confiance autour du sempiternel Premier ministre. Pour les analystes israéliens, la personnalité au vitriol que cultive Yaïr Nétanyahou en ligne n’est pas juste une représentation de ses opinions politiques ou de son idéologie d’extrême droite. C’est une des chevilles ouvrières de ce qu’ils appellent la «machine à poison» : un groupe de commentateurs et d’organes de presse qui attaquent, de manière coordonnée, les rivaux politiques et les personnalités médiatiques qui déplaisent à Benyamin Nétanyahou.
Liens avec l’alt-right américaine
Sur Internet, mais aussi de plus en plus dans la presse traditionnelle, Yaïr Nétanyahou est devenu depuis 2019 une sorte d’alter ego de son père. «Le Premier ministre et son fils poussent les mêmes arguments, en les habillant différemment», explique Itamar Benzaquen, journaliste au site d’information spécialisé dans les médias HaEin HaShiviit (le septième œil). «Yaïr sort en tirant à boulets rouges, en insultant, en relayant les théories du complot les plus vicieuses – et Benyamin Nétanyahou fait référence aux mêmes choses, mais de manière plus lissée», ajoute le journaliste. Yaïr Nétanyahou ne s’adresse pas à la base traditionnelle du Likoud – mais à un public plus jeune, plus radical, un réservoir de nouveaux électeurs franchement rangés à l’extrême de la droite israélienne.
Depuis mars, pour éviter l’embarras et les multiples procès en diffamation – qui lui ont coûté plusieurs centaines de milliers de shekels – Yaïr a délaissé X et Facebook au profit de Telegram, moins surveillé. Il ne touche plus que quelques milliers de personnes, mais ses messages sont régulièrement relayés dans la presse israélienne. Pas aussi bien qu’avant : le choc existentiel du 7 octobre a créé des failles dans la «machine à poison», estime Itamar Benzaquen, qui espère que cela contribuera à en révéler les rouages.
Chez les Nétanyahou, la politique est une affaire de famille. Il est difficile d’envisager pour Yaïr Nétanyahou, entaché par cette réputation de troll débauché, une carrière dans les plus hautes sphères de l’Etat hébreu. Mais rien n’est impossible : on sait qu’il a profité de son exil pour rencontrer plusieurs personnalités influentes dans les sphères libertariennes aux Etats-Unis. Il pourrait puiser, dans cette élite mondiale de l’alt-right dont il est l’image d’Epinal (le premier épisode du défunt Yaïr Nétanyahou Show est une conversation édifiante d’une heure avec Eduardo Bolsonaro, fils de l’ancien président brésilien d’extrême droite), un soutien financier et pratique important.
par Nicolas Rouger, correspondant à Tel-Aviv