Médiatique et militant, Patrick Klugman, le conseil du Crif et de SOS Racisme, défend des familles d’otages franco-israéliens détenus par le Hamas.
S’imposer, toujours, même ou surtout quand la barbarie saisit. C’est son histoire, sa façon d’être au monde. Patrick Klugman capte singulièrement la lumière en ces temps crépusculaires. Qui ne l’a pas entendu ferrailler sur les ondes, dénoncer les atrocités du Hamas et les flambées d’antisémitisme, qui n’a pas vu son grand sourire de Cheshire, le chat d’Alice au pays des merveilles, scalper les dangereuses ambiguïtés des mélenchonistes ? Il court les plateaux de télé, multiplie les tribunes, défend les familles d’otages franco-israéliens détenus par le Hamas. «Je réagis toujours en tant qu’avocat», dit-il, début novembre, dos tourné à la tour Eiffel qui se dresse dans l’angle de son somptueux bureau de l’avenue Montaigne. Klugman mouline à cent à l’heure, pupilles intranquilles, barbe en bataille, corps alourdi par le manque de sommeil. Il raconte comment, au lendemain du 7 octobre, il a mobilisé un collectif de juristes, dont François Zimeray, l’ancien ambassadeur rompu aux procédures devant la Cour pénale internationale, avant d’approcher l’entourage des victimes franco-israéliennes, défuntes ou emprisonnées à Gaza. Certains étaient réticents. «Mais on ne veut pas attaquer la France…» disaient-ils, plaçant leur espoir en Emmanuel Macron. Klugman a argumenté, rassuré, fort de son aura dans la communauté juive. Il a une famille respectée, des parrains de renom, de «BHL» à Pierre-François Veil, le fils de Simone Veil, qui lui a transmis, en juillet, la présidence française de Yad Vashem, le mémorial de la Shoah. Il est le conseil du Crif et de SOS Racisme, ex-élu socialiste, adjoint aux relations internationales de la maire de Paris, Anne Hidalgo. Il a une voix qui porte, décapante quand il dénonce les dérives populistes de Benyamin Nétanyahou et s’emplafonne Eric Zemmour, qu’il a, par deux fois, fait condamner. Il s’est illustré dans de lourds dossiers, défenseur des victimes de Mohamed Merah, les époux Sandler, des survivants de l’Hyper Cacher, en Israël aussi quand il a été l’avocat de Gilad Shalit, le soldat franco-israélien capturé en 2006 par un commando palestinien. Mi-octobre, Klugman a déposé plainte, au nom de cinq familles, pour enlèvement et séquestration en relation avec une entreprise terroriste. «Je n’exclus pas d’étendre à la qualification de crime contre l’humanité. Le droit, c’est mon arme. Le droit, rien que le droit.»
Pas seulement, évidemment. L’avocat bataille, l’ego et le cœur débordants, avec sa conscience de petit-fils issus de quatre survivants de la Shoah. Côté maternel, les Frydman sauvés du ghetto de Varsovie, des intellos, collectionneurs, devenus fabricants de jouets à succès, scoubidous, hula-hoops… même des porte-clés à l’effigie de Mitterrand qu’ils admiraient. Côté paternel, les Klugman, Henriette et Henri, ce rescapé du camp de Majdanek qui s’était juré de savourer la vie, fortune faite dans la confection (notamment grâce aux tee-shirts Fruit of the Loom) : maison ouverte à Neuilly, casino à Deauville, bombance chez Castel avec cochonnailles et champagne, la joie comme religion. «Un être extraordinaire», se souvient le grand rabbin de France, Haïm Korsia. Patrick a surgi dans cette histoire tragique et miraculeuse. Il est né précocement avec une dyspnée respiratoire qui imposa six semaines en couveuse. «L’accoucheur me disait : il est petit mais vigoureux», s’amuse sa mère, une élégante pétroleuse qui fut militante à la Ligue communiste révolutionnaire, avant de fonder RCJ, la radio de la communauté juive, de reprendre l’entreprise de jouets familiale et d’ouvrir une galerie d’art contemporain. Le père lui était plus à droite, affairé dans l’immobilier.
«Patounet» − son surnom − a grandi dans le XVIe à Paris, choyé, intenable, viré du collège, récupéré dans des boîtes à bac. Seize ans, divorce des parents, célébration du cinquantième anniversaire du ghetto de Varsovie. Il dit : «La judéité m’a enlevé l’insouciance de ma condition sociale.» A la fac parisienne d’Assas, il a découvert le droit, structurant, et le militantisme, dévorant. Jeune président de l’UEJF (Union des étudiants juifs de France), il affrontait les fachos du GUD, avec les copains de SOS Racisme. A 25 ans, en 2002, il a publié un livre blanc sur l’antisémitisme en banlieue, les Antifeujs, réception à l’Elysée, premières télés, tournée en Israël. Klugman s’est alors marié avec une Française séfarade, religieuse, qui lui donnera cinq enfants, éduqués dans une école juive au désespoir de sa mère. Il s’est affûté à l’ombre de ténors, Pierre-François Veil, son premier mentor, puis Francis Szpiner et Richard Malka, l’avocat de Charlie Hebdo qui loue sa constance : «Patrick a toujours été avec nous, de tous les combats.» Avant son premier grand procès en 2017, celui de l’affaire Merah, Klugman est allé trouver Robert Badinter. «Il me demande si j’ai visionné les images de l’horreur qui étaient déjà enregistrées sur une GoPro… Il me dit : “Voyez-les, sinon vous ne pourrez pas plaider”.» Baptême du feu face à un Eric Dupond-Moretti déchaîné, alors conseil du clan Merah. Début d’une tenace inimitié. A l’époque, Patrick Klugman est aussi adjoint à l’international d’Anne Hidalgo, à ses côtés dans tous les voyages, New York, Erevan, Phnom Penh, mais aussi à Tel-Aviv et Ramallah, devant le mausolée de Yasser Arafat. Toujours, il pense pouvoir tout tenir : la défense du sionisme et d’un Etat palestinien, la politique et le business, la vie de famille et la fiesta. Haute voltige. Et divorce douloureux, avec plainte pour violences conjugales, opportunément relatée par Valeurs actuelles, avant son classement sans suite, en septembre 2019.
Finie la politique, Klugman s’est recentré sur sa vie d’avocat pour pouvoir conseiller librement la terre entière, des héritiers du chef, Joël Robuchon, au rappeur Booba. Il a même créé avec Matthias Fekl, éphémère ministre de l’intérieur en Hollandie, une entreprise de médiation dans le monde des affaires, Equanim, dont le premier coup d’éclat fut le règlement du conflit Suez-Veolia. «Concentrons-nous sur le business, lui conseillent souvent ses anciens amis socialistes. La gauche est morte.» Klugman a tout de même soutenu Hidalgo lors de la présidentielle, et plaidé, avec SOS Racisme, contre Zemmour : «Ses propos sur Pétain sauveurs des Juifs m’étaient insupportables.» Il dit que son «combat contre l’antisémitisme a longtemps été théorique, je ne l’avais personnellement jamais éprouvé dans ma chair».
Tout a changé ce 7 octobre noir. Soudain, la peur. Sidération quand il s’est rendu, avec le Crif, au kibboutz ensanglanté de Kfar Aza, au camp militaire de Shura, devant ces congélateurs remplis d’humanités déchiquetées : «Je n’ai même pas les mots.» Ça l’empêche, peut-être, de s’attarder sur les morts de Gaza : «Bien sûr, oui, c’est affreux.» L’histoire se déchaîne, Patrick Klugman se démène comme il peut pour les otages, il a même sollicité l’aide de Nicolas Sarkozy, jadis actif pour le soldat Gilad Shalit, qui fut libéré en 2011 contre plus de 1 000 prisonniers palestiniens. Parmi eux, il y avait les barbares qui ont massacré 1 200 vies, et retiennent celles des innocents qu’il défend.
11 juillet 1977 Naissance à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine).
2004 Prête serment.
2014 Adjoint aux relations internationales d’Anne Hidalgo.
2017 Procès Merah.
2023 Avocat de familles d’otages retenus par le Hamas.
par Sophie des Déserts