Elie Barnavi, l’ancien ambassadeur d’Israël à Paris (2000-2002), est l’invité du Grand Entretien. Il revient sur la situation au 46e jour de la guerre entre Israël et le Hamas.
Au début de l’affrontement entre Israël et le Hamas, l’ancien ambassadeur israélien Élie Barnavi disait ne pas savoir comment tout cela allait se terminer. Au 46e jour de la guerre, il n’y voit « pas vraiment » plus clair : « Je ne sais pas comment la campagne militaire va se terminer, la guerre, c’est l’incertitude par définition« . Rappelant que le but de la guerre est le démantèlement du Hamas, « la grande question c’est de savoir si on nous laissera finir cette campagne militaire, parce qu’il y a beaucoup de pressions notamment américaines, et surtout, qu’est-ce qu’on fait après ? La guerre n’a de sens, même si on la gagne, que si on sait quoi faire après« .
La question d’une trêve devant mener à un cessez-le-feu, encore demandée par Emmanuel Macron, « il parle de trêve et de cessez-le-feu, ce sont deux choses différentes : je suis favorable à des couloirs humanitaires aussi larges que possibles et iconditionnels. En revanche, le cessez-le-feu, je ne sais pas ce que c’est : vous déclarez la cessation des hostilités, les reprendre ensuite, c’est quasiment impossible« .
Quid, alors, de la négociation autour des otages ? « Ce pool d’otages dont ils se servent fait que la négociation peut durer indéfiniement, ils veulent s’en servir pour nous forcer à une trêve, même à un cessez-le-feu, à la fin de la guerre, pour pouvoir reconstituer leurs forces et recommencer. Et c’est un énorme dilemme. Qu’est-ce qu’on fait ? On laisse crever les otages ? Ou alors on fait ce qu’ils veulent et à ce compte-là tout ça a été fait pour rien ? Je n’envie pas les décideurs« .
« Il y a un manque de culture historique »
Comment expliquer le changement de point de vue de l’opinion publique internationale ? « Je ne m’attendais pas à un changement si rapide. C’est courant : le Hamas attaque, on nous dit que c’est pas bien, et quand on réagit, étant donné les conditions sur place, ça fait forcément des dégâts, et l’opinion tourne très rapidement« , analyse Élie Barnavi. « D’autant plus qu’on n’a jamais su accompagner une campagne militaire d’une offre politique« .
« Vous ajoutez à cela la cassure générationnelle, qui explique la brutalité du retournement de l’opinion publique », par l’intermédiaire de la jeunesse, très pro-Palestinienne. « C’est épouvantable, il y a un manque total de culture historique, quand vous demandez aux États-Unis aux gens qui crient « la Palestine de la mer au fleuve », quand vous demandez quelle mer et quel fleuve, aucun ne sait de quoi on parle« , déplore-t-il. « Dès lors que vous avez dans la tête le binôme tellement contemporain du bourreau et de la victime, que vous voyez toute réalité avec ce prisme, à ce moment-là nous sommes du mauvais côté du manche« .
La négociation autour d’un État palestinien reste-t-elle la solution la plus appropriée ? « C’est la seule possibilité de sortir par le haut de cette tragédie« , assure Élie Barnavi. « La beauté de cette nouvelle situation si j’ose dire, c’est qu’on a moins besoin des interlocuteurs locaux : je plaide pour des années pour une solution imposée. Peu importe qui négociera pour les deux parties, il faudra qu’ils le fassent parce que ça aura été imposé par la coalition internationale » – y compris si Donald Trump reprend la tête des États-Unis, selon lui.
Eli Barnavi, Professeur d’histoire de l’Occident moderne à l’Université de Tel-Aviv, ancien ambassadeur d’Israël en France de 2000 à 2002, directeur du comité scientifique du Musée de l’Europe à Bruxelles.