Créé par les institutions juives au lendemain de l’attentat de la rue Copernic en 1980, le SPCJ est plus que jamais un interlocuteur privilégié de la police, très sollicité du fait de la forte augmentation du nombre d’actes antisémites en France depuis l’attaque du Hamas en Israël.
Le grand public ignore tout de son existence, contrairement aux responsables de synagogues, centres culturels juifs ou écoles communautaires, qui connaissent par cœur son numéro de téléphone, autant que celui de la police. Depuis le 7 octobre, le standard du Service de protection de la communauté juive (SPCJ), joignable à toute heure du jour et de la nuit, explose.
Au bout du fil, l’un signale une agression, l’autre interroge sur les bonnes pratiques à adopter en matière de sécurité, quand le dernier, enfin, se propose d’intégrer le service… Le massacre de mille deux cents personnes par le Hamas, en Israël, et la riposte menée à Gaza par l’Etat hébreu ont provoqué une onde de choc qui secoue la société française et les cinq cent mille juifs vivant en son sein.
Plus de mille cinq cents actes antisémites ont été comptabilisés en France, selon le ministère de l’intérieur, depuis le début du conflit. Une véritable éruption, en seulement un mois. Sur l’ensemble de l’année 2022, quatre cent trente-six avaient été recensés par les autorités. Si les forces de l’ordre sont mobilisées en masse pour sécuriser les lieux fréquentés par la communauté juive – dix mille policiers, gendarmes et militaires ont été déployés à cet effet selon le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin –, elles n’agissent pas seules. Leur travail se mène en étroite collaboration avec le SPCJ. Un service unique en France, à la discrétion assumée, dont la présence silencieuse de certains de ses membres a accompagné la marche contre l’antisémitisme, le 12 novembre.
Mis sur pied par le directeur général du CRIF
Difficile de savoir ce que recouvre concrètement ce sigle. Ni une milice ni une police, assurent ses promoteurs. « Un service de protection qui vise à pallier d’éventuels manques des autorités », explique l’historien Marc Knobel, spécialiste de l’antisémitisme. Son site Internet est réduit à peu de pages. Aucun nom n’y est affiché, si ce n’est celui de son président – non opérationnel – Alexandre de Rothschild, dirigeant de la banque d’affaires du même nom. Surtout, l’organisation ne dispose pas de statuts déposés auprès de la Préfecture de police de Paris. Joint par téléphone, le directeur du SPCJ, surpris que l’on soit parvenu – non sans mal – jusqu’à lui, ne souhaite pas s’exprimer. Le simple fait de révéler son identité le mettrait en péril.
Les seules personnes habilitées à parler sont les dirigeants des institutions qui chapeautent le SPCJ depuis sa création, en 1980 : le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), le Fonds social juif unifié (FSJU), le Consistoire de Paris et le Consistoire central. La nécessité d’organiser la sécurité de la communauté leur était alors apparue comme une évidence au lendemain de l’attentat à la bombe contre une synagogue de la rue Copernic, à Paris, le 3 octobre. La première attaque mortelle contre des juifs en France depuis la seconde guerre mondiale ; elle causa le décès de quatre personnes.
Le directeur général du CRIF de l’époque, Pierre Kauffmann, mit sur pied le SPCJ. Cet ancien résistant, à la forte personnalité, « incarnait à lui seul la raison d’être des institutions juives, c’est-à-dire la sécurité des juifs », raconte l’actuel président du CRIF, Yonathan Arfi. L’attentat de la rue des Rosiers, à Paris, le 9 août 1982 (six morts), confirma l’impératif.
Force de dissuasion sans armes
Selon le président du Fonds social juif unifié, Ariel Goldmann, le SPCJ compte dans ses rangs « entre cinquante et cent » salariés « à travers toute la France ». Le chiffre reste volontairement vague. « Ce sont des hommes et des femmes de tous âges avec une solide expérience dans le domaine de la sécurité et de la prévention antiterroriste », dit Ariel Goldmann. Une force de dissuasion sans armes.
« On y retrouve des jeunes qui ont fait leur service militaire en Israël », complète Serge Benhaïm, président de la synagogue de la Roquette, dans le 11e arrondissement de Paris. Ils aident notamment, au moment des fêtes religieuses, à filtrer les entrées. « Ils ont un regard plus affûté que la police, juge-t-il. Ils savent reconnaître quelqu’un qui serait membre ou pas de la communauté pour le laisser pénétrer à l’intérieur. » Le dîner annuel du CRIF, où sont conviés des responsables politiques, est aussi placé sous la bonne garde du SPCJ, en plus de celle des forces de l’ordre.
La formation aux règles de sécurité représente une autre mission du SPCJ. Le 11 octobre, quatre jours après l’attaque du Hamas, le service a diffusé un communiqué pour rappeler aux membres de la communauté certains principes à adopter lors des rassemblements dans les synagogues ou les écoles : « Contrôlez, à votre arrivée, qu’il n’y ait aucune trace d’effraction sur le bâtiment », « Maintenez les accès fermés », « Limitez les attroupements et activités communautaires à l’extérieur »…
Des référents SPCJ, bénévoles, se chargent de répéter ces règles de base. « Le jour de shabbat, dans certaines communautés, ce sont eux qui vont convaincre de ne pas débrancher les caméras ou se dévoueront pour nous appeler en cas de problème, alors qu’il est en théorie interdit d’utiliser des appareils électroniques », raconte un policier.
Accompagner dans les commissariats
Sa connaissance du terrain fait du SPCJ un interlocuteur privilégié des pouvoirs publics. En particulier depuis le déclenchement de la deuxième Intifada, en 2000, qui provoqua en France une explosion du nombre d’actes antisémites. Ses représentants sont régulièrement conviés, aux côtés de ceux des institutions juives, à des réunions dans les préfectures, à échanger avec le renseignement territorial, voire jusque dans le bureau du ministre de l’intérieur. Une proximité renforcée lors du premier passage de Nicolas Sarkozy place Beauvau (2002-2004).
« Il existe une très bonne entente avec l’Etat », confirme Manuel Valls, qui a reçu des dirigeants du SPCJ aussi bien au ministère de l’intérieur (2012-2014) qu’à Matignon, les deux années suivantes. La recension du nombre d’actes antisémites sur le territoire est ainsi coproduite depuis deux décennies par la place Beauvau et le SPCJ, sur la base des plaintes et mains courantes déposées. Ce dernier jouit de remontées directes, qui le conduisent parfois à accompagner les membres de la communauté dans les commissariats afin de les inciter à ne pas taire les agressions dont ils sont victimes.
Le service, financé par les institutions juives qui le chapeautent et par la Fondation pour la mémoire de la Shoah, ne recevrait pas d’argent public, affirme Ariel Goldmann, du Fonds social juif unifié. Néanmoins, il aide à flécher les subventions allouées à la protection des lieux communautaires dans le cadre du fonds interministériel de prévention de la délinquance. Un dispositif qui concerne tout le monde associatif, confessionnel ou non.
Quelques dérapages
Dans les pays anglo-saxons, à tradition communautariste, l’existence d’organisations telles que le Community Security Trust, au Royaume-Uni, ou le Shomrim, aux Etats-Unis, apparaît naturelle. C’est moins le cas dans un pays laïque comme la France. « La police n’est pas capable de protéger toutes les organisations juives, toutes les écoles, toutes les synagogues. Elle est bien contente qu’il y ait un organisme privé qui assure une bonne partie de cette sécurité », défend l’ancien président du CRIF Roger Cukierman.
De fait, le SPCJ est décrit par une source policière comme une institution « sérieuse ». Cette dernière rapporte pourtant quelques dérapages. Un membre du service aurait ainsi été surpris, à Paris, en train de brandir un Uzi, un pistolet-mitrailleur israélien. Un autre policier évoque un épisode comparable à Sarcelles (Val-d’Oise), ville où se concentre une forte communauté juive : des armes auraient été sorties au moment des manifestations pour Gaza, en 2014. Des cas isolés, assure-t-on toutefois, et désapprouvés par la direction du SPCJ. Car il ne faudrait pas que des fauteurs de troubles viennent déranger son travail discret.