Dans une tribune au « Monde », Patrick Klugman, conseil de familles françaises d’otages du Hamas, s’indigne que la communauté internationale presse Israël d’entamer des pourparlers avec le Hamas.
Il y a un gouffre où la conscience s’abîme entre les massacres perpétrés le 7 octobre au vu et au su de tous, et leur perception par l’opinion publique occidentale. Pas un juriste, pas un historien des génocides ne peut exclure la qualification de crime contre l’humanité au sujet des massacres perpétrés dans le sud d’Israël par le Hamas. L’institut Yad Vashem, plus grand centre de recherche mondial consacré à la Shoah, a écrit : « Le massacre de juifs par le Hamas le 7 octobre était génocidaire dans ses intentions et incommensurablement violent dans sa forme. »
Malheureusement, il ne s’agit pas que d’une formule : la cruauté des actes commis et planifiés à grande échelle n’avait jamais été observée auparavant, avec des bébés décapités, des cadavres démembrés et profanés, des familles entières torturées et violées avant d’être assassinées. La plus sinistre prise d’otage jamais réalisée par son ampleur et sa durée a eu lieu ; prise d’otage qui vise principalement des familles entières dont des personnes vulnérables, des jeunes enfants ou des nourrissons, parmi lesquels plusieurs ressortissants français.
Bien sûr, les exactions, crimes ou viols sont le corollaire des théâtres de guerre. S’agissant de l’attaque du Hamas, elles en étaient l’objectif unique. Contrairement à la « solution finale », conçue dans le plus grand soin pour être secrète vis-à-vis des victimes et des commettants, ici, tout a été fait pour réaliser le pire pogrom de l’histoire et surtout le faire en GoPro. Les faits sont les faits. Et rien n’aura été fait pour les dissimuler.
Pourtant, hors des déclarations des chancelleries occidentales, fortement décriées d’ailleurs, qu’avons-nous vu ? A Paris, où les actes antisémites explosent, à Barcelone, où on se rassemble devant un hôtel, prétendument propriété d’un Israélien, pour l’investir, et au Daghestan, où une gigantesque chasse aux juifs s’est ouverte dans un aéroport – jusqu’au tarmac d’un avion pour lyncher les passagers en provenance de Tel-Aviv : on n’aura jamais autant attaqué de juifs partout où ils se trouvent, que depuis qu’on en a massacré 1 400 en Israël.
Comment admettre les mises en équivalence omniprésentes ?
Malgré ce contexte dramatique, les familles des otages du Hamas ont une foi irrationnelle dans l’action possible de la France pour ramener leurs enfants chez eux. Comment dire à ces Français d’Israël, à ces Israéliens épris de notre pays, le malaise qui étreint notre pays et s’étale dans le débat public ? Comment leur expliquer que la plupart de nos consciences éclairées se sont tues pendant le massacre, pour ne qualifier de crime que la réplique militaire d’Israël ? Comment imaginer l’obsession de Jean-Luc Mélenchon et de ses amis à ne jamais employer le mot « terroriste » à l’encontre du Hamas ? Comment surtout admettre les mises en équivalence omniprésentes, y compris sous la forme de chroniques humoristiques, entre une organisation criminelle et le premier ministre Nétanyahou ?
La présentation de l’opération donne lieu à une symétrie absurde
Le 7 octobre, le Hamas n’a pas visé la moindre base militaire ou la moindre colonie que le droit international réprouve. Mais tout leur contraire. L’opération menée par le Hamas n’a aucune justification légale, intellectuelle, juridique, historique, morale, humanitaire et surtout pas militaire. Trop souvent, pourtant, sa présentation donne lieu à une symétrie absurde et à un renvoi mimétique que rien ne saurait objectiver.
Ainsi, à écouter nombre d’acteurs engagés, le Hamas serait une organisation étatique dotée d’une armée régulière, alors que tout, de ses modes d’action à son idéologie, en fait un pendant local de l’Etat islamique ou d’Al-Qaida. On appelle à la discussion apaisée voire à des pourparlers avec des assassins sanguinaires, avec lesquels même les autres organisations palestiniennes − à commencer par l’Autorité palestinienne − ne discutent pas. Comble du comble, dans une résolution votée par la France, l’ONU appelle à un cessez-le-feu sans même mentionner le sort des otages, et sans faire de leur libération immédiate et inconditionnelle le préalable à toute autre démarche.
Or, après les attentats du 13-Novembre, nul n’aurait songé à appeler à des discussions avec Daech ou à concéder à cette organisation terroriste le moindre bout de légitimité territoriale, politique, ou religieuse. Au contraire : l’Etat islamique a été défait militairement, tandis que certains responsables des attentats ont été jugés et condamnés en France. Personne, à part dans les rangs de Daech, n’a été mettre en équivalence les victimes des attentats et celles des frappes de la coalition en Syrie.
Affirmer qu’aucune vie ne vaut plus ou moins qu’une autre
Identiquement, après le 11 septembre 2001, il n’y a pas eu de « grande initiative » pour entamer des discussions avec Al-Qaida. Au contraire, une coalition s’est mise en place en Afghanistan au moyen d’une action militaire à laquelle la France a pris part. Depuis quelques jours on s’interroge, on s’insurge, on s’alarme à juste titre, sur le nombre de victimes civiles chez les Gazaouis que cause l’opération militaire israélienne.
Nous devons être capables de soutenir les Palestiniens sans légitimer le Hamas. Nous devons être capables d’être avec les Israéliens quoi que nous pensions de Benyamin Nétanyahou. Nous devons surtout être capables d’affirmer qu’aucune vie ne vaut plus ou moins qu’une autre, et que n’importe quelle vie civile fauchée est une injustice et un drame. Le droit n’oppose pas les vies les unes aux autres et ne les quantifie pas. Ce qu’il distingue, ce sont les commettants avec leurs moyens, leurs méthodes, leurs idéologies et leurs actes. A cette aune, il est impossible et impensable d’assimiler l’action de l’armée israélienne, si critiquable soit-elle, aux atrocités perpétrées par le Hamas.
Ceux dont nous assurons la représentation juridique en France se sentent seuls au monde et nous contemplent avec espoir. Après que leurs enfants ont été capturés, il ne serait pas supportable de les prendre une seconde fois en otage par des considérations qui n’ont pas lieu d’être et sur lesquelles ils n’ont aucune prise. Dans ce contexte, la mise en équivalence ou le renvoi dos à dos est une affliction de l’intelligence qui ne rendra justice à personne, Israéliens ou Palestiniens, et certainement pas à la justice elle-même.
Patrick Klugman est l’avocat de familles françaises d’otages du Hamas.