Depuis un mois, Noam Alon, un Israélien de 24 ans, attend des nouvelles de sa compagne Inbar Heiman, enlevée par le Hamas. Entre angoisse et espoir, il tente d’alerter sur le sort des otages et de mobiliser les autorités de son pays.
«Avant tout cela, je n’avais qu’un vieux téléphone.» C’est avec ces mots que Noam se lance dans le récit de son amour pour Inbar, enlevée par le Hamas. «Pendant toute la période du Covid, j’avais décroché de mes études de graphisme. Je venais de reprendre, j’étais un peu perdu, quand je l’ai aperçue à la fac. Elle était si belle, si douée, j’ai eu un coup de foudre. Comme je n’avais pas de smartphone, je lui ai demandé de m’envoyer par mail les messages des groupes WhatsApp, c’est comme ça qu’on s’est rapprochés.» Assis sur les marches du musée d’Art de Tel-Aviv, dimanche 29 octobre, Noam Alon conte d’un débit rapide, sans pause, les détails de leur vie depuis un an et demi. Comme pour retarder, en vain, le moment de parler du 7 octobre, jour du massacre et de la prise d’otages commis par le Hamas dans le sud d’Israël.
Un mois plus tard, Noam et la famille de la jeune femme attendent toujours, désespérément, un signe, un message, une image qui leur disent qu’Inbar, qui assistait au festival de musique Tribe of Nova, où le massacre commis par le Hamas a démarré, est en vie, en bonne santé, otage à Gaza avec quelque 240 autres Israéliens.
«Tout était si bien, si normal»
A quelques pas de Noam, une magnifique table de shabbat, dont plus de 200 sièges vides figurent les otages, a été dressée en plein air. L’atmosphère est tendue, émouvante. La plupart des gens présents portent la photo de leur enfant, de leur ami ou de leur grand-mère imprimée sur un tee-shirt blanc, avec son nom et son âge. Le jeune homme aux gestes vifs a préféré enfiler un tee-shirt rose vif orné d’un graffiti et du hashtag «#FreePink». Avec ses cheveux noirs et drus, sa moustache et sa petite barbe, on lui donne plus que ses 24 ans. Inlassablement, il raconte Inbar. «C’est une grapheuse de street art renommée. Son nom d’artiste est Pink. Pour attirer l’attention sur elle, pour que tout le monde connaisse son histoire, je me suis dit qu’on devait être habillés différemment», précise-t-il avec douceur.
Noam et Inbar passent tout leur temps ensemble, à étudier, à créer et réaliser des graffitis, à voyager. Le garçon, engagé, est végan depuis qu’il a 17 ans. «Notre vie était si parfaite, tout était si bien, si normal». Jusqu’au 7 octobre, il travaillait dans un restaurant et était un supporter très actif du club de foot Maccabi Haïfa – depuis, tous les matchs ont été suspendus, et lui se consacre à temps plein à alerter sur le sort d’Inbar. Ils avaient passé l’été à camper, et avant leur rentrée en quatrième année, ils devaient partir une semaine en Egypte, pays frontalier d’Israël. Mais Inbar tenait à aller d’abord à une fête dans le Sud. «Ils en parlaient depuis des mois avec ses meilleurs amis. Ils sont partis à cinq dans une voiture.»
Les parents de Noam se sont approchés, patients et bienveillants. Ils portent eux aussi le tee-shirt rose. Nirit, la mère de Noam, nous montre des photos. On y voit Inbar, très naturelle avec ses longs cheveux bruns bouclés, radieuse en train de tagger à la bombe, embrassant Noam sur un quai de gare ou dans les tribunes d’un match de foot. Sur la dernière, siglée «Nova Festival» et prise le vendredi 6 octobre, elle danse dans une petite robe noire grunge.
«Mon cœur a explosé»
Le samedi 7 octobre au matin, Noam était chez lui à Haïfa, quand un copain l’a réveillé pour lui demander s’il avait entendu les infos. «Je me suis levé, j’ai vu les images de gens qui couraient, je ne comprenais rien. J’ai commencé à stresser, mais je me suis rassuré en me disant qu’il y avait des dizaines de fêtes ce week-end-là. J’ai appelé Inbar, je lui ai envoyé des SMS, je l’ai rappelée, rappelée, elle ne répondait pas. Et puis un ami m’a dit que le festival qui avait été attaqué s’appelait Nova. Mon cœur a explosé.»
Ce jour-là, à 7 h 30 du matin, Inbar avait téléphoné à ses parents pour dire qu’il y avait une attaque de roquettes depuis Gaza et qu’elle allait évacuer. Puis plus rien. «On a mis longtemps à comprendre ce qui se passait.» Dans la soirée, le père de Noam publie un avis de recherche sur Facebook. «A ce moment-là, les gens regardaient en boucle les vidéos de propagande du Hamas, et tout le monde s’est mis à nous en envoyer une. Je n’ai pas voulu la regarder, mais je sais qu’on y voit Inbar, qu’elle a le visage en sang. La manière dont les terroristes la manipulent laisse penser qu’elle est encore vivante.» Mais il n’y a aucune certitude. Dans une vidéo, floutée par ses proches pour protéger sa dignité, on la devine traînée au sol par quatre hommes, ensanglantée et inconsciente. «On devrait l’amener aux brigades al-Qassam [la branche armée du Hamas, ndlr]», dit l’un d’eux. L’heure exacte de la vidéo n’est pas connue.
Priel Biton et Rom Dahary contactent alors le père de Noam. Les deux jeunes hommes ont reconnu la jeune fille qui était cachée avec eux sous la scène du concert. Quand la police a ordonné d’évacuer les lieux, ils sont partis en courant, se sont cachés avec Inbar sous des buissons. «Deux terroristes nous ont poursuivis tous les trois sur environ trois kilomètres, raconte Rom dans une vidéo. On a couru à travers champs, on aidait Inbar à passer les clôtures.» Arrivés sur une piste, un des assaillants a rattrapé Inbar, pointé son couteau sur elle. «Je lui ai crié de se sauver. Mais elle est restée là sans bouger, en pleurant», décrit Priel. Une moto surgit avec deux autres hommes, qui l’emportent avec eux et disparaissent.
«Il y a déjà eu trop de morts»
«Avec leur témoignage, on a pu enfin reconstituer ce qui était arrivé. J’ai imaginé les balles, les cris, les centaines de corps sur le sol, Inbar incapable de se remettre à courir. C’est dur de savoir qu’elle a été kidnappée, mais c’est mieux que si elle était morte, veut croire Noam. Je me dis que le Hamas a intérêt à la garder en vie et en bonne condition pour les négociations. La libération de certains otages me donne de l’espoir. Mais le bombardement de Gaza m’inquiète beaucoup. Si on attend, ils vont tous mourir, c’est sûr.» Pour lui, il y a urgence à négocier et à accepter la libération de tous les prisonniers palestiniens en échange des otages. «Il y a déjà eu trop de morts, 1 400 personnes assassinées le 7 octobre, et maintenant les citoyens innocents de Gaza bombardés. Il faut que cela s’arrête.»
La nuit est tombée sur Tel-Aviv. Noam n’arrive pas à s’arrêter de parler. «Il a vieilli d’un coup, il est très triste et très calme à la fois. Je suis très inquiète pour lui, nous écrit quelques jours plus tard Nirit, sa mère. Il a des idées noires, des frayeurs nocturnes. Il a commencé un suivi psychologique.»
Devant le musée, comme tous les soirs depuis un mois, une petite foule allume des lanternes en papier qui s’envolent dans le ciel, en signe de solidarité pour les otages. Noam est ému aux larmes. Il ne souhaite qu’une chose, «retomber dans l’anonymat. Et retrouver mon amour». Mais il avoue aussi, qu’au fond de lui, il a parfois du mal à y croire.
par Laurence Defranoux, Envoyée spéciale à Tel-Aviv