Aîné d’une fratrie de cinq, ce concessionnaire auto de Tel-Aviv est venu en France plaider la cause de son cadet, otage du Hamas.
C’est un mélange des genres, une hétérogénéité qui montrent que tout est plus complexe qu’on ne le croit : des parents israéliens devenus au fil des ans des religieux orthodoxes peuvent avoir des enfants religieux, d’autres qui ne le sont pas, et très bien s’entendre avec eux tous. Daniel Toledano, l’aîné de cinq enfants, n’est pas un juif orthodoxe. Il vient de passer quarante-huit heures en France avec d’autres familles d’otages pour sensibiliser la communauté internationale à leur sort. Le concessionnaire de voitures est installé à son compte, à Tel-Aviv. Il explique néanmoins en souriant qu’on ne «délimite pas les lieux exactement comme ça, en Israël». Certes, il habite à Tel-Aviv, «mais le pays est si petit que pour le travail, et pour le mien notamment, on raisonne par district, et non par ville». Il adore son métier, il aime parler avec les familles, potentielles clientes des marques qu’il représente. Son frère Elya a été enlevé le 7 octobre lors d’une rave party dans le désert du Néguev, dans le sud du pays. Elya n’est ni religieux, ni militant d’une cause politique. Ni lui ni Daniel n’ont manifesté contre la réforme judiciaire ces derniers mois : «Nous ne sommes pas politisés. Il y est allé pour se détendre, écouter de la musique avec ses amis, danser, boire, ou rencontrer une fille, pourquoi pas ? Il a 27 ans, il a envie et besoin de faire la fête.» Ni Elya ni Daniel n’ont fait leur service militaire. Ce dernier esquive nos questions sur la raison de ce refus, mal vu en Israël.
Le métier d’Elya consiste à organiser des événements festifs : mariages, anniversaires, bar-mitsva : «Mon frère est doux, très souriant, plus que moi d’ailleurs. On ne peut pas se disputer avec lui. Moi, je suis moins facile. C’est normal, je suis l’aîné, je protège mes frères et sœurs. Je parviens à faire bonne figure ces jours-ci, ce qui peut être déconcertant pour ceux que je rencontre. Mais Elya est mon frère, pas mon fils. Pour mon père et ma mère, c’est autre chose. C’est comme si une partie d’eux-mêmes leur était arrachée. Je n’ai pas d’enfant, moi.» Célibataire, Daniel tient un discours exempt de sentimentalisme, mais sans brutalité. Il est pragmatique. Il est aussi menu que tonique, vif dans sa façon de bouger, de regarder. Entièrement vêtu de bleu foncé, il parle de son frère au présent, bien qu’il ignore s’il est vivant. Un homme dont la fille a été prise en otage s’est déclaré soulagé d’apprendre qu’elle était morte parce qu’elle ne serait plus ni violée, ni torturée. Daniel connaît le témoignage de ce père. Lui aussi imagine de temps en temps les horreurs que son frère pourrait être en train de subir : «Pendant la première semaine, j’y ai beaucoup pensé. Elya était déclaré manquant, c’est-à-dire qu’il était soit mort et non identifié, soit kidnappé. Puis l’armée nous a dit qu’il était otage, et à partir de là j’ai décidé de le croire vivant.» En contact avec l’armée comme tous les proches d’otages, Daniel a vu les vidéos envoyées par le Hamas et pense qu’il est important qu’elles soient visionnées au-delà d’Israël.
Il comprend le français, il le parle un peu, mais il est plus à l’aise en anglais. Sa mère est française. Elle a grandi à Strasbourg, où elle a rencontré le père de Daniel qui y faisait un voyage alors qu’il venait de terminer ses études de droit. Cet homme né au Maroc est parti en Israël quand il avait 4 ans. Avant de devenir orthodoxes, et de quasiment cesser de travailler, lui était avocat et sa femme dentiste. Jusqu’à ce qu’il soit scolarisé, Daniel parlait français avec ses parents et ignorait l’hébreu : «Je suis fier de mon origine française. Enfant, je me promenais le nez en l’air, en m’en vantant. La France, c’est un empire. C’est la culture, la beauté, le raffinement. J’aime l’Europe. Mais je voyage peu, je travaille beaucoup. Le travail c’est la santé. Depuis le 7 octobre, une alerte retentit toutes les trente minutes à Tel-Aviv, la population file se cacher dans les abris. Mais entre deux alertes, on travaille.»
N’ayant de goût ni pour les réseaux sociaux, ni pour la télévision, ni pour la radio – ce que nous n’aurions pas cru car il semble coller à son temps –, c’est assez tard dans la matinée du 7 octobre, vers 10 h 30, que Daniel a découvert le carnage qui venait de se dérouler. Un ami à lui, connaissant l’étanchéité entre Daniel et les médias, lui a téléphoné pour lui dire de ne pas mettre le nez dehors ; les terroristes étaient à l’intérieur du pays. Très vite, il appelle l’un de ses frères, puis il tente d’appeler l’autre, Elya, qui ne répond pas. Il lui envoie un message sur WhatsApp et constate que son frère ne le consulte pas. Peut-être qu’il est sorti tard et qu’il dort. L’heure tourne. Toujours sans nouvelles, il fonce chez Elya : il n’y est pas, sa voiture non plus. Le pays est petit, si Elya a pris sa voiture, c’est qu’il est parti un peu loin. Daniel contacte des amis de son frère et reconstitue la soirée de la veille. Il ne prévient ni ses parents, ni ses sœurs, pratiquantes aussi, de la disparition d’Elya. Le 7 octobre était un samedi, c’était shabbat : cela allait de soi qu’il ne fallait pas les avertir. L’une de ses sœurs est professeure d’histoire, l’autre dirige un centre où étudient les filles de familles défavorisées ou dysfonctionnelles. La famille Toledano est étonnamment disparate. Le soir, parce qu’il est l’aîné de la fratrie, c’est Daniel qui annonce la disparition d’Elya.
Il ne se penche pas sur l’opportunité, dans de telles circonstances, de l’usage du mot pogrom : «Ma priorité est ailleurs. Je laisse ces débats de côté. De même, je ne veux pas parler de Nétanyahou, ni du gouvernement : ce n’est pas le sujet du moment. Je me concentre sur ce que nous pouvons faire pour la libération des otages.» Parmi ses amis, Daniel compte des Arabes et des chrétiens qui lui ont manifesté une solidarité entière : «Vous savez, je partage mon quotidien avec les Arabes. Nous vivons ensemble. Des médecins arabes et juifs soignent ma famille et moi-même, des Arabes achètent les voitures que je vends, je sors dîner avec des Arabes.» L’un des buts de la présence de ces familles juives en France est de «faire entendre la vérité, car il y a une vérité. Le Hamas, c’est pire que l’enfer. Ce que nous essayons de dire à l’occasion de ce voyage en France c’est que, si nous les laissons gagner, ils agiront en dehors du Proche-Orient.» A l’Assemblée nationale, la délégation des familles d’otages a été reçue par plusieurs députés : «C’était un moment émouvant et chaleureux. Nous nous sentons soutenus.» Daniel Toledano ne fait pas de politique, mais il est diplomate.
18 avril 1991 Naissance en Israël.
7 octobre Enlèvement de son frère Elya Toledano.
31 octobre Arrivée en France d’une délégation de familles d’otages israéliens.
par Virginie Bloch-Lainé