Cet historien de la Shoah âgé de 75 ans est l’un des quelque 240 otages capturés le 7 octobre. Il incarne la paix et la réconciliation en Israël et en Pologne.
« Alex est un homme de vérité, de paix, de dialogue. » Ce sont les premiers mots qui viennent à l’esprit d’Ariel Nahmias, la collègue à l’Institut Yad Vashem d’Alex Danzig, l’historien de la Shoah qui fait partie des 80 otages raflés au kibboutz de Nir Oz par les islamistes du Hamas, lors de l’attaque du 7 octobre. Cet homme de 75 ans, né à Varsovie, est le symbole d’un dialogue établi entre deux pays qui ne se parlaient plus, recroquevillés sur leurs stéréotypes réciproquement hostiles : la Pologne et Israël.
À la fin des années 1980, cet ingénieur en irrigation a été l’un des pionniers de l’École internationale pour l’enseignement de la Shoah à l’Institut de la mémoire de Yad Vashem à Jérusalem. C’est là qu’il a organisé les premiers voyages d’Israéliens en Pologne, dans les camps de la mort, dans les anciens ghettos, dans les cimetières, pour leur expliquer non seulement l’extermination mais aussi son contexte et l’existence des Juifs en Pologne.
« Même les gens cultivés en Israël ne savent plus rien des Juifs polonais ni de la vie qu’ils avaient eue là-bas », raconte-t-il dans un documentaire qui lui a été consacré, Voices 4 Dialogue, où il insiste sur la nécessité du voyage et de la rencontre pour comprendre ce que les livres ne peuvent faire comprendre. « Dire que les camps de la mort ont été ouverts en Pologne parce que les Polonais étaient antisémites est un mensonge, une manipulation. »
De même a-t-il formé, au sein du Département des séminaires internationaux de l’Institut israélien, des milliers de professeurs polonais, qui devaient enseigner la Shoah dans leur pays. « Il a toujours voulu leur montrer que les Juifs polonais n’étaient pas seulement des victimes, qu’ils vivaient là-bas depuis des siècles, avec des voisins polonais, avec aussi une civilisation qui a péri et qu’il fallait décrire », poursuit Ariel Nahmias.
Mobilisation en Pologne pour sa libération
Ces enseignants polonais qui allaient parfois lui rendre visite dans son kibboutz ne l’ont pas oublié : sa disparition connue, ils ont créé un groupe Facebook, Help Bring Alex Home (Aidez-nous à ramener Alex à la maison), où ils témoignent de l’empreinte indélébile laissée par cet homme. « Le 17 janvier, Alex a visité Ostrow Mazowiecka. Lors d’une rencontre avec des jeunes à l’école élémentaire n° 1, organisée par notre musée, il a parlé aux étudiants de ses premières années en Pologne d’après-guerre, des relations entre la Pologne et les Juifs après la Seconde Guerre mondiale », rappelle la famille Pilecki. Les étudiants du groupe de projet The Academy – Génération Europe au Complexe scolaire n° 2 à Mragowo ont lancé un appel à soutenir la pétition pour une action diplomatique pour la libération d’Alex.
Ici et là, fleurissent en Pologne des portraits de l’historien rebaptisé « Ambassadeur du dialogue », dont le fils a été reçu par le président Duda. « Il m’a assuré qu’à ses yeux mon père était polonais, et qu’il allait tout faire pour qu’il soit libéré, la Pologne a d’ailleurs rédigé une déclaration dans ce sens à l’ONU », nous confie-t-il. Même si Alex Danzig avait perdu la nationalité polonaise en quittant Varsovie en 1957 avec ses parents, survivants de la Shoah, il a reçu, pour son engagement, les prix les plus prestigieux – notamment du ministère de l’Éducation – réservés aux citoyens polonais. C’est d’ailleurs cet argument que sa collègue au département polonais de Yad Vashem, Orit Margolit, essaie de faire jouer afin d’augmenter ses chances de libération comme binational.
La double identité de ce grand fan de football
S’il est cet homme de dialogue, c’est parce qu’il porte en lui cette double identité : « Mon identité juive et mon identité polonaise vivent en paix. » Il fait partager cette paix depuis qu’il est retourné en 1986 en Pologne, pour revoir la maison où il avait grandi : « C’était le printemps, les lilas étaient en fleurs, j’ai retrouvé cette si belle saison que l’on ne connaît qu’en Europe, et ce fut comme une nouvelle vie », racontait-il dans Voices 4 Dialogue.
Renouer le fil ne l’a pas toujours laissé en paix, il avouait ne pas toujours bien dormir au retour de ses voyages, critiqué aussi en Israël. « Certains affirment qu’il n’est pas besoin d’aller en Pologne pour comprendre la Shoah, que Kant n’a pas eu besoin de quitter Königsberg pour comprendre le monde. Le problème, c’est que 99,9 % des gens ne sont pas Kant. »
Cette fibre polonaise, ce fan de football l’avait parfois exprimée dans les moments les plus incongrus, comme en octobre 1973 lors de la guerre du Kippour. Engagé parmi les parachutistes, il avait hurlé de joie – ses compagnons avaient cru la guerre finie – à l’annonce dans son transistor du but égalisateur contre l’Angleterre de la Pologne qui la qualifiait pour la Coupe du monde 1974.
Un homme très fier de son kibboutz
Le 7 octobre, Alex Danzig était au téléphone avec son fils Yuval, à 8 h 30, quand il a dû raccrocher. Les tueurs arrivaient. « Je ne pense pas qu’il s’est rendu compte de ce qu’il se passait. Il croyait que c’était des terroristes isolés. » Comment supporte-t-il sa détention ? « Il a subi une opération cardiaque, il doit prendre chaque jour des médicaments », s’inquiète Yuval qui a eu de ses nouvelles indirectement, par le biais d’une otage de Nir Oz récemment libérée.
De ce kibboutz, Alex était très fier, se souvient Ariel Nahmias. « C’est un kibboutz très ouvert aussi au dialogue avec les Arabes qui sont très nombreux à y travailler. Le voisin d’Alex, M. Lifshitz, va souvent chercher des Palestiniens malades au checkpoint de Gaza pour les emmener dans des hôpitaux israéliens. » Yuval confirme : « C’était un endroit de dialogue, une autre sorte de dialogue qu’entre la Pologne et Israël. Mon père était bien conscient du Hamas, mais convaincu aussi qu’il était possible de vivre avec les Palestiniens. »Une fois par mois, ce kibboutzim revenait à Jérusalem pour participer aux séminaires. « Parfois, il nous apportait des cartons de cacahuètes, à ne plus savoir quoi en faire », sourit Ariel Nahmias, qui ne cache pas son affection pour cet électron libre très attachant. Une semaine avant son enlèvement, il était encore à Cracovie. Pour aller à la rencontre des jeunes Polonais. Pour porter son message de paix, de dialogue, de vérité et d’Histoire.