La France insoumise persiste à renvoyer dos à dos le Hamas et Israël. En dépit des critiques de tous bords, le parti de Jean-Luc Mélenchon semble avoir trouvé de nouveaux alliés…
Sauve-qui-peut. Deux hommes en costume prennent la fuite tandis que l’union de la gauche rend l’âme, les initiales de la Nupes éparpillées façon puzzle aux pieds du Lider maximo des Insoumis. « Alors, Monsieur Mélenchon, quel effet ça vous fait d’être diabolisé ? », lui lance un personnage vêtu d’une marinière bleu-blanc-rouge sur laquelle sont étiquetés les mots « complotiste », « facho », « raciste », « populiste ». En face, l’homme à la cravate rouge semble interloqué, empêché par une queue de diable sur laquelle est écrit « antisémite », qui lui a poussé dans le dos. Le message de ce croquis est clair : Jean-Luc Mélenchon serait victime d’une entreprise de « diabolisation », abandonné de tous (comprendre le « système »), en raison de ses prises de position concernant le Hamas. En effet, depuis l’attaque sanglante du 7 octobre, les Insoumis ont pris le parti de renvoyer dos à dos Israël et le Hamas, qu’ils refusent toujours de qualifier d’ « organisation terroriste ».
Les apparences sont parfois trompeuses. Qui jetterait un œil rapide à ce dessin pourrait croire à l’œuvre d’un caricaturiste acquis à la cause de l’Insoumis, dénonçant implicitement les accusations dont celui-ci a pu faire l’objet, notamment de la part de la Licra qui a dénoncé un « antisémitisme électoral ». Coup de théâtre : le croquis est signé Chard, dessinatrice pour le journal antisémite, négationniste et raciste Rivarol, et figure en tête d’un éditorial daté du 25 octobre de Jérôme Bourbon, le directeur de la publication, intitulé « Mélenchon diabolisé comme l’était hier Le Pen ». Extrait choisi :
« A Rivarol, on se souvient des haineuses campagnes politico-médiatiques contre Jean-Marie Le Pen, à l’occasion du “point de détail” (1987), de “Durafour crématoire” (1988), de “l’internationale juive” (1989), de l’infâme montage de Carpentras (1990), de “l’inégalité des races” (1996) […]. Chaque fois le fondateur du Front national était accusé d’antisémitisme et était renvoyé en dehors de “l’arc républicain”, s’émeut Jérôme Bourbon. La même mésaventure arrive aujourd’hui à Jean-Luc Mélenchon qui subit à son tour des attaques d’une rare violence de la part du même lobby parce qu’il refuse avec un certain courage, et même un courage certain, de s’aligner inconditionnellement sur l’entité sioniste et de cautionner les crimes abominables commis ces dernières semaines, de manière incessante, par le gouvernement israélien sur les Palestiniens bombardés nuit et jour. »
« Baiser du diable »
« Les ennemis de mes ennemis sont mes amis », dit le proverbe. L’occasion était trop belle : un leader politique de premier plan, arrivé largement en tête des candidatures de gauche à la dernière présidentielle, est aujourd’hui critiqué par la plupart des ennemis idéologiques de toujours du journal antisémite, telle la Licra ou le Crif (à dire vrai, Rivarol considère comme faisant partie d’un « système » soumis au « lobby juif » tous ceux qui dénonceraient de près ou de loin l’antisémitisme). De quoi alimenter la diatribe du journal, qui s’empresse d’encenser un Jean-Luc Mélenchon qui « sauve l’honneur d’une classe politique et d’un pays totalement inféodés à une puissance étrangère, à un Etat terroriste dépourvu de toute légitimité et de toute humanité », à savoir Israël.
Puisque Jean-Luc Mélenchon est, selon Rivarol, injustement accusé d’antisémitisme, pourquoi n’en serait-il pas de même pour la figure de Jean-Marie Le Pen ? Le journal profite de cette nouvelle caution intellectuelle et politique pour réhabiliter non seulement le fondateur du Front national (devenu depuis Rassemblement national), mais aussi ces autres figures « courageuses », tels les militants d’extrême droite et essayistes négationnistes Alain Soral, Yvan Benedetti ou encore Hervé Ryssen. Sans oublier de saluer « les députés de La France insoumise comme Mathilde Panot ou Danièle Obono ».
Un « baiser du diable ». C’est ainsi qu’Hugo Melchior, chercheur indépendant en histoire politique contemporaine, interprète ce surprenant soutien. « Ordinairement, détaille-t-il, cette droite nationaliste, racialiste et antisémite abhorre le leader charismatique de LFI et son ode au processus de créolisation de la société française. Elle se délecte ainsi de le voir “excommunié” par les autres forces du champ politique et, en lui apportant un tel soutien public contre-nature autour de la question palestinienne, elle essaye cyniquement de le mettre dans l’embarras. »
« Front de la foi »
La sournoiserie vengeresse d’un camp se réjouissant de la chute de l’un de ses contempteurs historiques est-elle bien suffisante pour expliquer cette apparente « convergence des luttes » ? A l’extrême droite, Jérôme Bourbon est loin d’être le seul à voir en Jean-Luc Mélenchon et consorts le dernier bastion de « l’honneur » de la classe politique française… Ainsi d’Egalité & Réconciliation, le site de l’essayiste d’extrême droite Alain Soral, condamné par la justice à de multiples reprises, notamment pour avoir imputé aux juifs l’attentat du 11 septembre 2001 à New York (2020). On y trouve par exemple un article en défense de la « gauche LFI, sous le feu du combo Crif-Intérieur », après que plusieurs des lieutenants de Jean-Luc Mélenchon ont dénoncé les accusations « racistes » formulées par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin à l’encontre du footballeur Karim Benzema, qu’il accuse d’avoir un « lien notoire » avec les Frères musulmans. « Face à cette honteuse soumission, c’est encore Mélenchon qui sauve l’honneur en matière diplomatique », peut-on lire sur le site.
La sympathie idéologique du camp Soral est loin d’être feinte. « Depuis des années maintenant, explique le politologue et fondateur de l’observatoire du complotisme Conspiracy Watch Rudy Reichstadt, une partie de l’extrême droite antisémite, regroupée notamment autour d’Alain Soral, appelle de ses vœux la constitution d’un “front de la foi”, c’est-à-dire une union des chrétiens et des musulmans contre les “forces mondialistes”, lesquelles sont le plus souvent assimilées purement et simplement aux juifs. A mesure qu’elle exprime de plus en plus clairement son antisionisme et son tropisme pro-islamiste, La France insoumise est ainsi identifiée comme un allié naturel pour mener ce “combat”. Sans compter que Jean-Luc Mélenchon détient désormais un inquiétant palmarès de déclarations puisant directement dans les stéréotypes classiques de l’antisémitisme. »
Nous sommes le 22 octobre. Alors que la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, entame un déplacement en Israël, Jean-Luc Mélenchon publie un tweet lui reprochant de « camper à Tel Aviv pour encourager le massacre » à Gaza. « Voici le message subliminal de Jean-Luc Mélenchon : désigner les juifs comme le parti de l’étranger et de la guerre », s’est indigné sur X (anciennement Twitter) le président du Crif Yonathan Arfi, dénonçant « une rhétorique antisémite ». « Ce tweet, Alain Soral aurait pu l’écrire », réagit à son tour Rudy Reichstadt.
Du côté des « dominés »
A gauche, l’une des raisons qui en pousse certains à faire la moue devant les condamnations fermes du Hamas, c’est la grille de lecture binaire opposant « dominant » à « dominé », « colonisateur » à « colonisé ». Comme l’écrit Yascha Mounk dans une tribune à L’Express, « le Hamas étant une organisation de « personnes de couleur » défavorisées luttant contre des juifs « blancs » privilégiés, il doit être considéré comme faisant partie d’une lutte globale contre l’oppression ».
Certes, dans l’imaginaire collectif, l’extrême droite antisémite se caractérise bien davantage par son culte de l’homme fort et sa volonté de dominer les minorités (notamment ethniques). Mais comme l’explique le politologue Jean-Yves Camus, « cette extrême droite se voit comme persécutée, exilée de l’intérieur. Cette dernière année, elle a fait l’objet d’une cascade de mesures d’interdiction. Si bien qu’elle se situe du côté des « dominés ». Les dominants étant le pouvoir et par extension, la marionnette de forces secrètes qui dirigeraient le monde ».
Rien d’étonnant, donc, à ce que le site Egalité & Réconciliation érige en symbole… Mathilde Panot. Le 21 octobre, la présidente du groupe insoumis à l’Assemblée nationale déclarait dans l’Hémicycle que « la France de [Gérald] Darmanin est devenue le pays où le seul crime de Benzema est de s’appeler Karim. Madame la Première ministre, rendez-vous compte, il n’y a qu’en France où la solidarité avec un peuple bombardé depuis quatorze jours est criminalisée ! ». De quoi inspirer au site négationniste un article intitulé « Israël/Palestine : Mathilde Panot sauve l’honneur de la France », où l’on peut lire que « [Mathilde] Panot, c’est la France qui ouvre sa gueule, qui défend le faible contre le fort, qui ne se couche pas devant les puissances visibles ou occultes, bref, qui rend à nouveau fier d’être français. C’est une Gauloise. D’ailleurs, elle pourrait figurer en bonne place dans Astérix, et on dit ça sans ironie, puisqu’elle a été traitée de « poissonnière » il y a huit mois par un député macroniste. » C.Q.F.D.
La faute au « système »
Le philosophe politique Jean-Pierre Faye a développé la théorie du « fer à cheval ». Selon lui, il n’y aurait pas un axe politique gauche-droite avec l’extrême gauche et l’extrême droite à chaque extrémité. Mais un arc de cercle où les deux bouts se rejoindraient presque. De son côté, Rudy Reichstadt explique que « l’extrême droite antisémite portée par des personnalités telles que Dieudonné ou Soral ne se positionne pas dans les termes du clivage gauche-droite. Ils s’inscrivent plutôt dans une géographie politique de type centre-périphérie et revendiquent leur statut d' »infréquentables ». Les théories du complot font office de passerelles entre des individus aux parcours militants parfois très hétérogènes mais qui peuvent se retrouver à communier dans leur opposition à un « système » dont ils se sentent exclus. C’est la raison pour laquelle on peut parfois avoir l’impression que les extrêmes se rejoignent. De fait, certains propos tenus par des personnalités de gauche radicale et d’extrême droite sont interchangeables ».
Mardi 17 octobre, une explosion a frappé l’hôpital Al-Ahli, à Gaza. Alors que l’incertitude était à son paroxysme, le Hamas accusant l’État hébreu, et le gouvernement israélien imputant la responsabilité au groupe Djihad islamique, le site Égalité & Réconciliation a conclu sans surprise que l’hypothèse d’une roquette tirée par le Djihad islamique a « du mal à tenir : quand le Hamas arrose Israël de roquettes artisanales, il est rare qu’elles fassent des victimes, leur effet est surtout psychologique. Pourtant, cette (dés)information a la préférence des médias mainstream français ».
Plus surprenant : au lendemain de l’explosion, le sociologue-député de la France insoumise Hadrien Clouet assurait sur X que « l’armée israélienne bombarde désormais des hôpitaux ». Ainsi de Mathilde Panot qui, au micro de France inter le 19 octobre, estimait que la version accusant Israël restait « la plus crédible » car « le gouvernement a déjà menti et que dans les guerres, les armées mentent ». Tant pis si, au lendemain de la frappe, comme l’a écrit CheckNews, la majorité des experts et des chercheurs en sources ouvertes penchaient (sans être conclusifs) vers un tir raté palestinien.
Certes, le chaos informationnel couplé aux travers d’une époque donnant la préséance à l’immédiateté pousse de nombreux individus à embrasser telle ou telle version avant même que l’une ou l’autre aient pu être éprouvées. Et ce, il faut le reconnaître, qu’importe les convictions politiques. « Aujourd’hui, on assiste à une inversion de la maxime de saint Thomas, qui affirmait ne croire que ce qu’il voyait, écrit le sociologue Gérald Bronner dans sa chronique à L’Express. Nous voici arrivés à une situation où nous ne voyons que ce que nous croyons ».
Qu’on en juge : le 24 octobre, le New York Times publiait une enquête battant en brèche l’une des hypothèses brandie par Israël et la majorité des enquêtes effectuées, à savoir qu’un projectile palestinien serait retombé sur l’hôpital après un problème en vol. L’analyse visuelle réalisée par le quotidien conclut ainsi que « le clip vidéo – tiré d’une caméra de la chaîne de télévision Al Jazeera diffusant en direct dans la nuit du 17 octobre – montre autre chose. Le missile que l’on voit dans la vidéo n’est très probablement pas à l’origine de l’explosion à l’hôpital. Il a en fait explosé dans le ciel à environ trois kilomètres de là, selon le Times, et n’a rien à voir avec les combats qui se sont déroulés à la frontière entre Israël et la bande de Gaza cette nuit-là ».