La couverture par l’Agence France presse du conflit en cours entre Israël et le Hamas émeut au sein même de la rédaction.
Trois jours. Il a fallu trois jours à l’Agence France-Presse pour faire mention des images des exactions commises par le Hamas le 7 octobre en Israël, filmées par les terroristes eux-mêmes et diffusées lundi dernier par Tsahal à la presse internationale. Un paragraphe leur est consacré au détour d’un long récit intitulé « Le samedi noir d’Israël » et publié hier (jeudi 26 octobre). « Les images les plus choquantes sont celles que les autorités israéliennes ont expliqué avoir récupérées dans les caméras utilisées par les hommes du Hamas pour filmer leurs actes : plus de 40 minutes de vidéos ont été montées bout à bout, sans commentaires ni fond sonore, avec seulement parfois la mention des lieux concernés, avant d’être montrées aux médias internationaux », écrit l’auteur de la dépêche.
Un membre du bureau de l’AFP à Jérusalem s’était pourtant rendu à la projection organisée lundi à Tel-Aviv par Tsahal, l’armée israélienne, qui a rassemblé quelque 200 correspondants de la presse étrangère. Parmi eux, de nombreux Français, dont l’envoyé spécial du Figaro Stanislas Poyet qui en a fait le récit le soir-même sur notre site, comme à peu près tous ses confrères pour leurs médias respectifs.
«Pas d’informations nouvelles»
Des sources internes à l’AFP ont rapporté au Figaro que le choix initial de ne pas consacrer de dépêche à l’évènement avait été contesté au sein de l’agence. Face aux protestations, la direction vient de publier un communiqué dans lequel elle assume sa décision. « Cette projection n’a pas fait l’objet d’une dépêche brève (un « factuel », dans notre jargon) le jour même, écrit-elle. La rédaction a estimé que les éléments présentés n’apportaient pas d’informations nouvelles sur le fond par rapport aux reportages et témoignages déjà produits par ses reporters texte, photo et vidéo sur le terrain depuis deux semaines. » Le communiqué mentionne le récit publié hier et rappelle ses reportages dans les kibboutz frappés et sur le site de la rave party « pour rendre compte de l’ampleur des massacres commis ».
Tous les « papiers » publiés par les autres médias lundi après la projection témoignent du caractère difficilement soutenable des images, dont personne n’a été autorisé à faire de copie pour préserver les familles des victimes. Les correspondants ont vu les terroristes se filmant pendant qu’ils commettent leurs atrocités et se vantant de « tuer des juifs » sur WhatsApp auprès de leurs proches, qui les félicitent. Aucun responsable à la tête de l’agence n’a semble-t-il jugé que le comportement des assaillants constituait en soi une information digne d’être diffusée immédiatement.
«Les deux camps pourraient être accusés de crime de guerre»
Le traitement du conflit a donné lieu à l’envoi mardi dernier d’une note de service de la direction de l’AFP intitulée « consignes éditoriales sur la couverture de la guerre entre Israël et le Hamas » à laquelle Le Figaro a pu avoir accès. On y lit notamment que le Hamas peut être désigné comme un « mouvement islamiste palestinien », mais qu’il faut parler de « combattants du Hamas » et pas d’ « islamistes du Hamas ». Le qualificatif « terroriste » est « proscrit » s’agissant du mouvement palestinien pour les journalistes de l’AFP, dont la « mission », précise la même note, est de « rapporter les faits sans jugement sur des groupes ou des individus ». Les rédacteurs sont autorisés à mentionner que l’organisation palestinienne est « qualifiée de « terroriste » par les États-Unis, l’Union européenne et Israël ». Si les circonstances les conduisent à utiliser le terme « crimes de guerre », il leur est conseillé de « rappeler que selon des experts juridiques interrogés par l’AFP les deux camps pourraient être accusés de crimes de guerre ».
Joint par Le Figaro, Phil Chetwynd, directeur de l’information de l’AFP, a justifié le non-emploi du qualificatif de terroriste en nous expliquant que le «mot a perdu son sens». Selon lui, «tous les gouvernements autoritaires du monde utilisent le mot pour parler de leurs opposants, par exemple. Nous privilégions les faits dont nous pouvons témoigner nous-mêmes. La description détaillée des attaques atroces en Israël est claire pour le lecteur». Ce samedi, l’AFP a publié une dépêche pour préciser sa politique : «Conformément à sa mission de rapporter les faits sans porter de jugement, l’AFP ne qualifie pas des mouvements, groupes ou individus de terroristes sans attribuer directement l’utilisation de ce mot ou sans utiliser des guillemets. Il s’agit d’une disposition de longue date à l’Agence, conforme aux politiques rédactionnelles des autres agences de presse internationales et de grands médias comme la BBC».
«Organisme autonome» de droit privé, l’AFP remplit une mission générale pour laquelle elle reçoit une compensation financière de l’État. En 2023, son montant représentera un tiers de son chiffre d’affaires, le reste étant constitué par les abonnements des médias français et étrangers.