Les principaux artisans du désastre actuel au Proche-Orient sont à chercher à Jérusalem et à Ramallah, mais aussi à Washington et à Bruxelles. Chronique de Gérard Araud.
Les commentateurs soulignent volontiers l’erreur qu’a constituée l’absence récente de tout effort diplomatique pour régler le conflit israélo-palestinien. Naturellement, chaque camp accuse l’autre d’en être responsable. Pour ma part, il y a longtemps que j’avais conclu que non seulement les deux protagonistes étaient incapables d’aller à la paix par eux-mêmes mais que la communauté internationale considérait que le statu quo était la solution par défaut d’un conflit sans solution. Le symbole en a été le fait que Joe Biden est le premier président des États-Unis depuis un demi-siècle à ne prendre aucune initiative pour relancer un éventuel processus de paix.
C’est là l’erreur que tous les acteurs internationaux ont partagée et qui les rend également responsables de la tragédie que nous vivons aujourd’hui.
Les dirigeants arabes ont jugé que la confrontation avec l’Iran et le retrait américain de la région exigeaient qu’ils se rapprochent d’Israël, la superpuissance régionale. L’ennemi de mon ennemi est mon ami. Ils n’ont ressenti aucune gêne à oublier une cause palestinienne qu’ils avaient d’ailleurs toujours instrumentalisée à leurs propres fins. Ils ont sous-estimé le capital émotionnel que conservait celle-ci dans leur opinion publique et n’ont pas compris qu’ils laissaient ainsi l’initiative aux terroristes du Hamas, leur pire ennemi, et au gouvernement d’extrême droite de Netanyahou.
Les États-Unis ont essayé pendant trente ans de parvenir à une solution définitive du conflit. De président en président, ce fut toujours plus ou moins la même équipe diplomatique qui, à Washington, reprenait inlassablement le même effort. Ses membres, que je connais pour les avoir rencontrés dès le début des années 1990, avaient la conviction qu’il serait impossible d’imposer un règlement à Israël. De cette conclusion de bon sens, ils ont commis l’erreur de soumettre la politique américaine aux volontés d’un pays dont ils n’ont pas osé reconnaître qu’il faisait tout pour faire échouer leurs efforts parce qu’il ne voulait pas céder la Cisjordanie. Les Israéliens les ont conduits en bateau en soulevant toujours de nouvelles objections et en présentant toujours de nouvelles exigences. Trente années perdues.
« Si tu négliges le Moyen-Orient, il te rattrapera »
Cela étant, nul ne les a remplacés à Washington. Jared Kushner, le beau-fils de Trump, s’y est essayé de manière tellement caricaturalement pro-israélienne qu’il est difficile d’y accorder le moindre crédit. Les États-Unis se sont donc retirés : ils n’ont plus besoin du gaz et du pétrole de la région. L’administration Biden a oublié le dicton : « Si tu négliges le Moyen-Orient, il te rattrapera. »
Les Européens se sont contentés du rôle passif du financier et du donneur de leçons, rôle que tout le monde est d’accord de ne pas leur contester. Essaieraient-ils de prendre l’initiative que non seulement les Israéliens ne voudraient pas d’eux mais qu’ils seraient incapables de surmonter leurs divisions entre Européens de l’Est, soutiens inconditionnels de l’État juif, et les autres, prudemment plus critiques. Ils financent la survie des territoires palestiniens et donc, par la même occasion, l’occupation, ce qui n’empêche pas Israël de détruire au bulldozer leurs projets de développement, quand il ne les approuve pas. Non seulement les Européens se taisent mais ils ne réagissent pas aux violences que font subir, sous leurs yeux, les colons en Cisjordanie aux Palestiniens. La politique européenne est pitoyable du début – l’efficacité – jusqu’à la fin – les valeurs.
Le Hamas… par lassitude
Les Palestiniens ne se sont jamais dotés d’une direction qui soit capable de prendre les décisions que supposerait un traité de paix avec Israël. Il y eut d’abord les ambiguïtés d’Arafat dont il est difficile de dire si elles étaient sa personnalité ou une stratégie de survie et ensuite l’immobilisme pesant de son successeur, l’un et l’autre à la tête d’une administration corrompue et inefficace. Les deux n’ont su (ou voulu ?) ni mettre à la raison les groupes terroristes ni endosser franchement une solution. Ils ont louvoyé dans l’attente d’une formule magique américaine. Nulle surprise que l’autorité palestinienne ne soit discréditée et que la population, par lassitude plus que par adhésion, ne se soit tournée vers d’autres, notamment le Hamas.
Les Israéliens, enfin, sont trop forts, et leur ennemi trop faible, pour ressentir le besoin de faire des concessions douloureuses. Douloureuses en termes de sécurité puisque ce serait créer un État à quatorze kilomètres de Tel-Aviv et six de l’aéroport international, mais aussi en termes politiques puisque la Cisjordanie est la terre de la Bible, chère à une droite nationaliste et religieuse qui s’y est enracinée. « Le vainqueur prend tout », dit un proverbe américain, que les Israéliens ont repris implicitement à leur compte. Dans l’immédiat, leurs implantations grignotent la Cisjordanie au point sans doute déjà atteint d’y rendre illusoire la perspective d’un État viable.
L’attaque du Hamas a donc effectivement remis la question palestinienne sur la table mais nul ne paraît aujourd’hui capable de s’en saisir, ni les protagonistes plus éloignés que jamais ni une communauté internationale trop divisée pour consentir l’effort global qui serait nécessaire. Peu de raisons d’espérer…
Gérard Araud