Après trois semaines de conflit, les retombées socio-économiques en Israël se font sentir. Le gouvernement de Netanyahou refuse de mettre la main à la poche.
Des centres commerciaux quasiment vides, des restaurants qui ont fini par rouvrir mais qui, à chaque service, ne font que quelques couverts ; des centres-villes désertés et pas seulement pour cause d’alertes aux roquettes. L’impact de la guerre est partout visible. Y compris sur l’économie israélienne considérée, depuis une vingtaine d’années, comme faite en Téflon, tant rien ne semblait l’atteindre. Ni les conflits successifs, ni les crises financières globales, ni le Covid, ni les élections à répétition, ni même les huit mois de crise pour cause de refonte judiciaire. Aujourd’hui, inutile de se voiler la face, le Téflon semble se fissurer.
Il y a d’abord les aspects financiers, et cette question qui taraude les agences internationales de notation : Israël arrivera-t-il à surmonter l’actuelle tempête ? Trois d’entre elles ont déjà affiché leur défiance. Fitch Ratings, le 16 octobre, puis Moody’s et, enfin, S & P le 24 octobre. Sans toucher à la note accordée à Israël, toutes trois sont, en matière de perspective, passées de « stable » à « négative ». Mais ne nous y trompons pas. Ces agences de notation attendent de voir. En cas de guerre longue, avec augmentation des risques sécuritaires et géopolitiques, elles pourraient revoir la note d’Israël à la baisse. Reste que, pour l’instant, et ce n’est pas négligeable, elles se contentent de lancer des avertissements aux dirigeants israéliens.
Bras de fer entre employeurs et gouvernement israélien
Si ce coup de semonce venu de l’international a fait les gros titres des journaux économiques israéliens, la population, au-delà de la guerre elle-même, se concentre sur les retombées civiles du conflit. C’est la première fois dans l’histoire du pays que 130 000 personnes sont déplacées, 360 000 réservistes mobilisés et 100 000 personnes en congé sans solde. Alors que la guerre n’a que trois semaines et que les chefs militaires parlent d’un conflit qui risque de durer, les retombées sur la réalité économico-sociale se font déjà sentir.
Parmi les secteurs les plus touchés, le tourisme, totalement à l’arrêt, alors que la construction, l’agriculture et le commerce tournent au ralenti. Même la tech, la locomotive de l’économie israélienne, est touchée. Selon un sondage publié par l’Autorité de l’innovation et SNPI (institut en charge de la politique de la start-up nation), 70 % des entreprises de la haute technologie font face à des difficultés opérationnelles. De 15 % à 20 % des réservistes mobilisés sont des employés de la tech. Résultat : projets reportés ou annulés, difficultés financières avec des levées de fonds de plus en plus laborieuses, et investisseurs déjà partis ou plus que frileux.
Économiste, chercheur en sciences sociales et auteur de nombreux ouvrages (dont le dernier en date, Les Années Netanyahou), Jacques Bendelac habite désormais la ville de Rishon LeZion, dans le centre du pays. Quand nous le joignons par téléphone, il vient de sortir de la pièce renforcée après une énième alerte suivie d’un tir nourri de roquettes sur le centre d’Israël. Notre première question concerne le bras de fer entre les employeurs et le gouvernement concernant l’indemnisation des dizaines de milliers d’employés mis au chômage technique ou licenciés. Deux plans sont en concurrence, celui du ministre des Finances et celui du ministre de l’Économie. « À mon sens, dit-il, le problème est politique avant d’être économique. Selon moi, la direction de ce pays n’a pas pris la mesure de l’ampleur du coût de cette guerre. Et aujourd’hui, le gouvernement, en particulier le ministre des Finances Bezalel Smotrich, refuse de mettre la main à la poche. Il pense qu’en jouant le temps, qu’en retardant les choses, cela va s’atténuer. Eh bien, non ! C’est tout le contraire. Il n’y a pas de temps à perdre. »
Jacques Bendelac de poursuivre : « De plus, il existe des modèles tout prêts, comme celui mis en œuvre lors de la crise du Covid, lorsque le gouvernement avait indemnisé totalement les salariés par l’intermédiaire des employeurs. C’est ce que réclament aujourd’hui les entreprises. Elles veulent être indemnisées pour que leurs salariés restent à leurs postes et que les nouveaux chômeurs soient indemnisés rapidement. Problème, aucun plan n’a été finalisé. Il y a des projets, des discussions à la Knesset [le Parlement, NDLR], des plans contradictoires. Mais au bout de trois semaines de guerre, rien de concret. Et c’est très grave, car dans une guerre qui va durer, plus vite on met en place un plan économique d’envergure, et plus, le temps venu, la relance sera rapide. »
Éviter une récession trop forte en 2024
Une absence de décision gouvernementale d’autant plus incompréhensible que, selon Jacques Bendelac, Israël ne manque pas d’argent : « Prenez la décision du gouverneur de la Banque centrale. Il y a une semaine, il a mis à disposition du gouvernement 30 milliards de dollars. Une somme prise sur les réserves en devise du pays, qui se montent à 200 milliards de dollars. Et puis, il y a l’argent du budget de l’État (500 milliards de shekels, soit 116 milliards d’euros). Le budget est bisannuel, 2023-2024. Pour 2023, c’est un peu tard. Mais pour 2024, il suffirait d’un plan permettant une nouvelle répartition budgétaire, compte tenu des retombées économiques et sociales de la guerre. Tout indique que 2024 sera une année de récession. La question est donc de savoir comment s’y prendre pour qu’elle ne soit pas trop forte. Le seul moyen, selon moi, est d’injecter, dès à présent, de l’argent. »
Ce qui n’est pas le cas. En témoigne la lettre adressée par le directeur général du ministère de l’Intérieur aux maires qui accueillent des personnes déplacées : « Vous pouvez compter sur une dépense de 5 shekels [1,16 euro, NDLR] par personne et par jour pour celles et ceux que vous accueillez. Nous vous envoyons une première somme représentant 70 % de la dépense. » Réponse du maire de Herzliya, près de Tel-Aviv : « Vous vous moquez de nous, 5 shekels représentent à peine le prix d’un paquet de biscuits de 125 grammes. » Il faudrait vraiment que le ministre des Finances mette la main à la poche.